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Les 80 ans de Penderecki 11/28/2013
Penderecki et la Pologne, un double miroir
Le 23 novembre 2013, Krzysztof Penderecki a célébré ses 80 ans. Cela a eu quelque chose d’inouï. Mais on va néanmoins essayer de raconter et d’expliquer cet événement.
La semaine Penderecki à Varsovie (17-23 novembre) a été un événement dont l’importance n’a rien à voir avec les gros titres de la presse. A côté de la destruction européenne, à côté des affaires de corruption, à côté des nationalismes plus ou moins préfascistes, à côté des accords de paix, des désaccords de guerre, à côté des milliers de petites nouvelles de la fausse culture, un festival comme celui-ci n’est pas une nouvelle assez piquante. Mais l’histoire est faite d’événements comme la semaine Penderecki, le festival Penderecki ; l’histoire oublie la fumée aveuglant les yeux des contemporains et fixe son regard sur les événements véritables. Comme celui-ci : sept jours, onze concerts (chambre, symphonique, symphonique-vocal), principalement à la Philharmonie Nationale, mais aussi une Messe (Missa brevis) célébrée à Saint-Jean, dans la vieille ville (reconstruite après sa destruction systématique par les Allemands de 1944, qui comptaient sur la passivité de l’Armée Rouge, arrêtée à quelques kilomètres, de l’autre côte de la Vistule). Et aussi le grand concert final à l’Opéra national.
Ce n’est pas l’apothéose d’un homme. C’est le grand miroir polonais où la Pologne et l’artiste vivant se regardent et se donnent un prestige simultané, partagé, multiplié. La Pologne resurgissant après des décennies, maintenant fière et pleine d’espoir (ce qu’on ne trouve pas souvent en Europe aujourd’hui), se regarde dans le miroir où Penderecki se regarde, à son tour, et voit un pays tout à fait différent à celui de sa jeunesse. Penderecki appartient à la même génération que Górecki et Kilar, et il est engagé depuis de nombreuses années dans des projets concernant la musique en Pologne, comme le Centre European K.P. de musique à Luslawice (des salles de concert, des salles de répétition et de cours, auberge pour artistes et étudiants), à côté de chez lui, sur des terrains à lui, pas trop loin de Cracovie, tout à côté de la Slovaquie. C’est grâce à des initiatives comme celle-ci que l’école de musique polonaise progresse sans arrêt depuis longtemps : il fallait voir les jeunes, parfois très jeunes musiciens qui jouaient comme solistes de chambre durant les concerts dédiés à Penderecki pendant cette semaine.
Outre ces jeunes musiciens, ensembles et orchestres venus de toute la Pologne, ces journées ont rassemblé des artistes du monde entier, engagés avec Penderecki par l’admiration et le travail dans plusieurs moments d’un passé plus ou moins proche. Un luxe que de voir en quelques jours Anne-Sophie Mutter, Leonard Slatkin, Lawrence Foster, Lorin Maazel, Jesús López Cobos, Arto Noras, Marek Janowski, Gabriel Chmura, Maximiano Valdés, Jirí Belohlávek, Itamar Golan, Julian Rachlin, Valery Gergiev, Charles Dutoit, le Kantor Alberto Mizrahi, de la synagogue de Chicago... Il faudrait tous les citer, et on est donc contraint de s’excuser de ne pouvoir le faire. Ils étaient venus du monde entier pour être aux côtés du maestro, lui chanter le Happy Birthday, jouer ses œuvres. Et les concerts symphoniques ont toujours fait salle comble. Du jamais vu pour un artiste vivant, même Picasso ou Stravinski.
On ne va pas faire la critique des concerts – à quoi bon ? Il faut simplement raconter l’histoire de cette semaine – organisée par le festival Beethoven (son âme est l’infatigable, la formidable Elzbieta Penderecka, dont la magie est un secret bien caché mais bien visible) – où Penderecki a reçu le plus grand des hommages. Il était là, tout le temps : avec les jeunes interprètes, avec les divos, avec les maestros, toujours après l’exécution d’une de ses pièces, parce qu’il fallait remercier les artistes parfois venus de très loin, ainsi que cela a été dit.
Les détails se trouvent sur la page Internet du festival. Trop de détails. Tous ces détails donnent une petite idée de la transcendance d’un événement dans lequel la Pologne mais aussi d’autres pays qui ont décoré le compositeur le samedi 23, jour de son anniversaire et clôture du festival, se sont pleinement engagés.
Il est bien dommage de ne pouvoir consacrer davantage de mots et d’explications sur les artistes polonais, jeunes et moins jeunes, qui ont également rendu possible cette semaine inoubliable. Il suffit de regarder la longue liste d’instrumentistes, de voix et de chefs : ils sont le témoignage de la vitalité d’une école nationale... au delà de la seule nation. Ils étaient soutenus par une bonne quantité de sponsors privés et d’institutions, mais les artistes, les orchestres et les villes qui envoyaient leurs troupes donnaient tout indépendamment de quelque prix que ce soit. Peut-être parce qu’il y a de choses qui n’ont pas de prix.
La page du festival
Santiago Martín Bermúdez
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