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Entretien avec Mischa Damev
06/10/2013



M. Damev


Pourriez-vous nous décrire votre parcours, qui vous a conduit de musicien au poste de directeur artistique des concerts Pour-cent culturel Migros?
Je suis né en Bulgarie dans une famille de musiciens. Mon grand-père était chef d’orchestre et ma grand-mère mère chanteuse d’opéra. Déjà très tôt, j’avais l’oreille absolue et les bases dont on a besoin pour devenir musicien. J’ai commencé avec le piano, toujours dans l’optique de la direction d’orchestre. Mon grand-père avait commencé comme répétiteur puis était passé à la direction d’orchestre. J’ai fait mes études de musique à Bâle. J’étais pianiste de concert jusqu’à l’âge de 25 ans, mais suite à un accident en pratiquant des arts martiaux, je me suis cassé le doigt et me suis lancé dans ce qui est mon grand amour, la direction d’orchestre. J’ai eu la chance de rencontrer Mariss Jansons, qui m’a beaucoup aidé. J’ai pu travailler à Vienne pendant deux ans avec son professeur, Karl Österreicher. J’ai eu également une collaboration très étroite de plus de cinq ans avec George Prêtre. J’étais son assistant et nous nous partagions les répétitions, les concerts, les opéras. C’était une expérience absolument unique avec un des grands chefs, un des grands interprètes – il disait toujours: «Je ne suis pas un chef, je suis un interprète».
J’ai eu une césure dans ma vie et pendant deux ans, j’ai été pour des raisons personnelles chef d’entreprise. Cela a été une expérience très intéressante, ne serait-ce que pour m’apercevoir loin de la musique à quel point elle est vitale. Je suis depuis six ans directeur artistique au Pour-cent-culturel Migros, où je m’occupe de la musique.
Pour finir, j’ai toujours été organisateur moi-même. J’ai aidé durant sept ans à organiser un concours à Londres, «Master Prize», pour la musique contemporaine avec l’Orchestre symphonique de Londres. Cela me tenait à cœur de faire jouer la musique contemporaine orchestrale. L’autre projet qui m’a passionné est le festival Orpheum, que j’ai créé avec M. Coninx, le directeur du Tages Anzeiger à Zurich aux débuts des années 1990, et dont j’ai été le directeur artistique durant dix ans. Le but était de faire connaître des jeunes solistes du monde entier qui étaient en train de se lancer et de les mettre en relation avec de grands chefs et de grands orchestres.


Pour ceux qui ne connaissent pas la Migros, il s’agit du premier employeur en Suisse, avec le plus grand réseau de grandes surfaces du pays. C’est l’équivalent local d’entreprises comme Tesco, Wal-Mart ou Carrefour. Qu’est-ce que fait qu’une telle entreprise a des activités musicales aussi conséquentes?
Nous sommes effectivement le premier employeur suisse avec environ 85 000 salariés. Migros a été créé par Gottlieb Duttweiler, qui est un des plus grands «héros» des cent cinquante dernières années en Suisse. Il s’est battu pour beaucoup de choses et, entre autres, pour des valeurs culturelles. Il voulait absolument qu’un large public, ceux qui ne peuvent se payer que des billets à prix modéré, puisse apprécier la musique et leur faire partager des moments de grande émotion avec les meilleurs orchestres et les meilleurs musiciens possible.


La musique classique, en particulier la musique orchestrale, est une activité qui coûte cher. La billetterie ne couvre que 30% du budget de fonctionnement d’un orchestre ou d’une maison d’opéra. Ces concerts sont-ils bien des activités «non rentables» financées par le mécène que serait la Migros?
Ce n’est pas rentable du côté financier, mais ceci a été pris en compte par M. Duttweiler pour contribuer au développement de la société suisse. Les Suisses vont faire leurs achats dans les magasins Migros et une partie de ce qu’ils nous donnent leur revient sous forme de produits culturels, éducatifs ou sociaux. On ne peut donc pas dire que c’est à perte, puisque l’idée est de faire partager les gains à la population suisse.
Nous faisons bien évidemment attention et nous n’avons pas un budget illimité pour nos concerts. Nous allons loin au-delà du chiffre que vous avez évoqué et, en dépit du fait que nos prix sont très raisonnables, nous couvrons plus de la moitié de nos frais avec la billetterie.


Pourriez-vous évoquer les temps forts de la saison 2013-2014?
Je pense que c’est la meilleure depuis six ans. Tous les projets sont des coups de cœur. Ce sont des orchestres, des chefs et des solistes que je voulais rassembler depuis que je travaille à la Migros. Pour prendre un exemple, je voulais depuis longtemps faire venir l’Orchestre du festival de Budapest sous la direction d’Iván Fischer. C’est un des meilleurs orchestres européens et un ensemble qui a une belle histoire: il a été créé il y a trente ans par Iván Fischer; il n’a engagé que des jeunes issus des conservatoires et en très peu de temps, il a formé un orchestre extraordinaire avec une passion et un engagement rares. Après, il y a John Eliot Gardiner, qui est pour moi un des grands spécialistes de l’émotion et de l’intellect musical. Il vient avec deux symphonies de Beethoven, la Deuxième et la Huitième, plutôt rarement jouées. Cela nous tenait à cœur à tous deux de présenter à notre public sa vision, qui sans aucun doute sera très particulière.
Un autre temps fort sera certainement le concert de Kent Nagano et de l’Orchestre symphonique de Montréal, qui ne sont pas venus depuis longtemps en Suisse. Il y a un projet qui me tient enfin beaucoup à cœur, c’est la venue de l’Orchestre du Théâtre Mariinski. Je suis un grand admirateur du travail qu’a réalisé Valery Gergiev. Il vient avec un programme russe, dont deux chevaux de bataille très importants, la Quatrième Symphonie de Tchaïkovski ainsi que Shéhérazade de Rimski-Korsakov. Il y aura aussi deux concertos pour piano rarement joués, le Premier de Rachmaninov et le Deuxième de Tchaïkovski. Cela a toujours été mon idée de mélanger les œuvres connues et moins connues. Je me réjouis également d’avoir Denis Matsuev, un des meilleurs interprètes russes.
Nous tenons absolument à présenter des artistes suisses. C’est important pour moi. J’ai toujours voulu soutenir les artistes locaux. Pour la première fois, nous allons donner la parole à des créateurs comme Dieter Ammann, que je considère être un des plus grands compositeurs suisses contemporains.


Vous avez fait venir des artistes chinois, en particulier l’Orchestre philharmonique de Shanghai, et ce sera le cas encore cette année. Pensez-vous qu’il y a aujourd’hui un renouveau de la musique classique qui passe par la Chine?
Tout à fait. On a cette saison un concert unique à Berne avec l’Orchestre symphonique de Beijing, qui est un des orchestres qui fait le plus parler de lui en Chine. J’ai eu la chance d’aller régulièrement en tant que musicien en Chine et je suis tout à fait de votre avis: l’Asie, et surtout la Chine, vit une renaissance de la musique classique. Celle-ci génère un enthousiasme incroyable. En une seule année, douze nouveaux opéras ont été construits, des établissements extraordinaires situés au milieu des villes. Il y a une volonté, un immense respect et de la passion pour notre musique classique. On m’a souvent dit que la musique classique était considérée comme un des plus grands trésors de la civilisation occidentale.


La Suisse a une image de conformisme. Est-ce vrai et peut-on prendre des risques dans le domaine du classique?
Le risque fait partie de la musique et chaque interprétation en contient. En tant qu’organisateur, je ne prends pas de risques pour le principe de prendre des risques. J’essaye de mettre en place une programmation qui touche le public et qui aille avec les idées des interprètes. Je veux éveiller une certaine curiosité, mais toujours fondée sur ce qui est pour moi la meilleur interprétation possible. Si j’inscris une œuvre à nos programmes, c’est parce que je pense que je vais servir à la fois la musique et mon public.


[Propos recueillis par Antoine Leboyer]

 

 

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