About us / Contact

The Classical Music Network

Editorials

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Entretien avec M. Arditi
04/17/2013


Metin Arditi est écrivain, président de plusieurs fondations, mécène et Ambassadeur de bonne volonté de l’Unesco. Il a passé dix-sept ans de sa carrière au conseil de l’Orchestre de la Suisse Romande, dont les treize dernières à sa présidence qu’il quittera cette année. Il a reçu ConcertoNet après la conférence de presse traditionnelle de cet orchestre.



M. Arditi (© Grégory Maillot)


Pouvez-vous évoquer votre bilan durant les dix-sept années passées à l’OSR?
Je n’ai pas été président dix-sept ans mais treize ans. J’ai commencé comme membre du comité exécutif et du conseil pendant un an et demi puis ai été nommé vice-président pour trois ans avant de devenir président. J’aurai fait jusqu’à fin juin 2013 treize années de présidence.


Lors de la conférence de presse de présentation de la nouvelle saison, vous avez évoqué ce parcours en présentant des indicateurs chiffrés qui sont fondamentaux.
Ces indicateurs partent à ma présidence. Il y a eu une question lors de cette conférence de presse où quelqu’un s’est levé pour évoquer que «le nerf de la guerre, c’est l’argent». Je me suis permis de dire que non, le nerf de la guerre, ce sont les hommes, c’est l’artistique. La note d’un orchestre, c’est l’artistique, et quand il va bien, alors les gens sont prêts à soutenir. On peut dire, si on est ironique, que les gens aiment bien voler au secours de la victoire. C’est humain, c’est comme ça. Je ne dis pas cela par hasard. Je l’ai dit depuis toujours. Nous voulons avoir de l’aide et des institutions qui nous soutiennent. Il faut leur offrir de la qualité, quoi de plus normal. Qui veut aider des éternels perdants? Non, on veut aider des gens qui savent de leur côté y mettre du leur et c’est ce que nous avons cherché à faire. Au fur et à mesure de l’augmentation du remplissage du Victoria Hall qui est passé de 65% à 90-95% ces dernières années, nous sommes passés de 2400 à 5000 abonnés. Pendant cette période, il y a eu une amélioration de l’état des finances de l’institution, qui était très préoccupant au début de ma présidence. Elle aurait dû, selon les règles du code, déposer son bilan. Elle ne l’a pas fait parce que nous avons très vite mis sur pied un projet et convaincu mécènes, sponsors et autorités de nous faire confiance. Il y a là un cercle vertueux qui s’est mis en place. Au fil des ans, les résultats se sont améliorés, sponsors et mécènes se sont pressés et surtout, comme disent les Américains, les gens ont voté avec leurs pieds, c’est-à-dire qu’ils sont venus à nos concerts.


Pourriez-vous nous redonner les indicateurs?
Les fonds propres et réserves sont passés de 2 à 7 millions de francs suisses, l’effectif administratif de 13 à 19 personnes et le budget de fonctionnement, dont les contributions du canton et de la ville de Genève sont à parts égales, de 21,2 à 26 millions de francs suisse. Le nombre de services des musiciens a diminué de 345 à 320 par an. En parallèle, les salaires ont augmenté de 16% sur la période alors qu’ils avaient été gelés pendant dix ans. Vous voyez d’où on vient.


Les institutions qui vous ont financé ont-elles voulu intervenir dans l’artistique ou la gestion ou vous ont-elles fait confiance?
Pas une seule fois. Les gens ont joué le jeu. J’ai demandé à ce qu’ils nous aident. Vous le savez peut-être, je l’ai fait aussi à titre personnel mais pas tout de suite. Je ne suis pas entré à l’orchestre pour l’aider, je suis entré par hasard. J’aimais beaucoup la musique, je connaissais l’orchestre depuis que j’étais enfant. Mais je ne suis entré à l’orchestre qu’en 1995 parce qu’il avait des problèmes, ce qui est normal, tout orchestre a toujours une activité déficitaire. Par déficitaire, je veux dire qu’il y a besoin de financement entre le coût de production et la billetterie. Une entreprise qui produit des biens les vend plus cher que leur prix de revient. Un orchestre, ce n’est pas possible. On reçoit environ un cinquième du prix de revient en billetterie. Il faut donc combler un trou et en 1995, il y avait une telle situation.
Je n’étais pas du tout «branché» orchestre symphonique. J’aimais, j’aime toujours l’opéra et toutes les musiques. En 1988, j’avais créé ma fondation première. Il existe un magazine – Bilan, qui existe toujours – qui a fait un article sur l’homme du mois, on dirait aujourd’hui la personne du mois, c’était l’époque de la grande crise immobilière qui a duré dix ans. On ne voyait pas le bout du tunnel. L’article était intitulé «Promoteur mais cultivé». Des amis, un ancien président du Parlement genevois sont venus vers moi et m’ont demandé si je ne voulais pas m’occuper de l’Orchestre de la Suisse Romande et entrer au comité. Je leur ai dit que je n’y connaissais rien mais que j’en serais très honoré comme si on me demandait de m‘occuper de la Banque mondiale. Je suis entré au comité. Je ne connaissais rien au fonctionnement d’un orchestre symphonique. Et puis, j’ai appris, comme tout le monde apprend un métier et je l’ai adoré.
Je ne suis pas entré comme mécène; par contre j’ai créé et présidé la Commission sponsoring et mécénat. Pratiquement chaque mois, je venais avec un nouveau sponsor que j’avais été voir et à qui j’avais dit qu’il fallait qu’il nous aide. Je connaissais des gens à Genève, j’étais actif dans le monde du mécénat, les gens m’écoutaient. Cela s’est bien passé.


Au vu de l’état financier et artistique de l’orchestre, vous devriez avoir de très nombreux candidats qui seraient partants pour le diriger en tant que chef titulaire. L’orchestre est dans une situation privilégiée et assez unique.
Je me suis occupé de la recherche de Pinchas Steinberg, Marek Janowski, de celle de Neeme Järvi et de Kazuki Yamada. Avant cela, j’étais à l’orchestre du temps d’Armin Jordan et de Fabio Liusi. Sur les neuf chefs titulaires qu’a comptés l’orchestre depuis sa création, il y a à peu près cent ans, j’ai cohabité avec cinq...
J’ai dit lors dit lors de la conférence de presse que nous avons à subir un handicap très pénalisant. Quarante pour cent de notre activité se déroule à l’Opéra sur laquelle notre chef titulaire n’a aucun contrôle. Vous ne pouvez pas savoir à quel point ceux-ci, que je ne vais pas citer par discrétion, étaient irrités.
Il y a un article de la convention que nous n’avons pas pu changer et qu’il faudra changer si on veut faire du boulot sérieux à Genève, si un jour, ces magistrats ne veulent pas se retrouver face à un peuple qui demande pourquoi il n’est pas de leur responsabilité d’optimiser le produit artistique sur les budgets associés des deux institutions, plus proches de 100 millions que de 50.
Comme je l’ai dit, le problème se pose sur le choix des chefs. Nous avons eu beaucoup de différences avec Jean-Marie Blanchard [Ancien directeur du Grand Théâtre, NDLR], qui a d’éminentes compétences. Il arrive que le Grand Théâtre ait d’excellents chefs mais il a admis que pour des raisons budgétaires, le niveau moyen de nos chefs est supérieur à ceux du Grand Théâtre. Plusieurs fois, notre chef titulaire nous disait en substance: «Je tourne le dos six semaines et il faut tout recommencer». On n’est pas dans la fosse comme on est sur une scène. Il y a une question psychologique, de topologie aussi. On est dans le noir. On est caché. Nos musiciens, ce ne sont pas des machines. La réponse à votre question est grosse comme une montagne, comme 40% de l’activité de l’orchestre qui échappe à notre titulaire.


Si on retourne l’argument, la plupart des chefs seraient ravis de faire à la fois du lyrique et du symphonique avec leur même ensemble.
Bien entendu. Si pour le surplus, on leur donnait une autorité artistique sur le Grand Théâtre, la proposition serait irrésistible. Jusqu’à maintenant cette évidence a été niée. Les magistrats nous ont soutenus dans notre démarche mais pas dans notre requête d’avoir un mot à dire sur la direction artistique du Théâtre.


Vous dites «jusqu’à maintenant»: est-ce en train de changer?
Je l’espère. C’est aussi la première fois, et cela date de deux ans, non pas de la conférence de presse, que j’ai commencé à m’exprimer sans ambages et en public. Encore hier, j’étais dans un restaurant à Genève. Le dirigeant d’une grande banque vient me voir et me dit que je n’y étais pas allé de main morte. Je lui ai dit qu’il fallait bien qu’un jour, les choses soient dites.


Genève est dans la Romandie, qui compte environ 1,5 million d’habitants. Il y a en plus de l’OSR, le Grand Théâtre, l’Opéra de Lausanne, l’Orchestre de chambre de Genève et celui de Lausanne ainsi que l’ensemble Contrechamps. Est-ce trop?
Je ne crois pas. La preuve, c’est que l’on remplit. Ce que vous dites est une hypothèse.


C’est une question.
Je m’y pencherais si je ne voyais pas d’explication. Il y a des forces en présence qui sont très imposantes à Genève. Il y a une certaine Genève qui se retrouve chez elle et entre elle au Grand Théâtre. Peut-être est-ce la volonté de préserver un ordre social, ce qui dans une ville est important. Cette ville a grandi avec des familles influentes et puissantes, je le comprends. Je ne suis pas non plus issu des masses populaires, j’ai grandi en fils de bourgeois, j’ai fait des études de bourgeois, je vis en bourgeois. Mais il faut distinguer entre la consommation de l’acte artistique et sa création, qui elle implique une grande rigueur.


Quels sont vos grands souvenirs de ces dernières années?
Il y en a beaucoup, et de très bons qu’il ne faut pas oublier. Mon premier très fort souvenir, c’est quand on a commencé. J’ai été nommé Président fin juin 2000. Pendant tout l’été, j’ai beaucoup travaillé pour cet orchestre. J’y passais facilement 50 à 60 heures à plein temps en tant que bénévole. La saison 2000-2001 était faite. On s’est demandé comment donner un coup de bambou pour démarrer. L’entente avec Steve Roger, dont j’ai parlé lors de la conférence de presse, était vraiment formidable, jubilatoire. Nous étions deux chenapans en train de faire des coups l’un après l’autre.
L’idée qui a émergé était de Steve, qui avait de la musique une meilleure connaissance que moi, qui ne savais pratiquement rien: proposer qu’on commence la saison avec Vengerov, qui était totalement en dehors de notre budget. On a été ensemble à Monte-Carlo négocier le contrat avec Steinberg. Il ne pouvait pas venir avant deux ans mais pouvait se déplacer en tant que chef invité. On a commencé la saison 2001 avec Steinberg-Vengerov dans le Concerto de Mendelssohn. Je suis allé à Paris pour voir Hugues Gall, qui a été très gentil pour libérer Steinberg de répétitions alors qu’il dirigeait Simon Boccanegra. Vengerov est venu vient avec sa maman et tout a fonctionné. Sur le parvis du Victoria Hall, la foule était là et on a refusé des gens. On n’avait pas vu cela depuis des lustres.
Je revois cette foule. J’ai une photo où je suis de dos entre le maire de Genève et la présidente de la Confédération. C’était vraiment le retour des grands jours, c’était fantastique.


Vous avez des projets en Palestine, pourriez-vous les évoquer?
Ce n’est pas uniquement en Palestine mais aussi en Israël et ce ne sont pas uniquement des projets. J’ai créé il y a quatre ans une deuxième fondation, «Les instruments de la paix», avec mon ami Elias Sanbar, ambassadeur de Palestine à l’Unesco. Cette fondation cherche à favoriser l’éducation musicale en Palestine et en Israël. Nous sommes des deux côtés mais c’est de façon asymétrique, nous faisons beaucoup plus en Palestine où les besoins sont plus grands. Nous avons passé une convention avec le Conservatoire de Musique de Genève, la Haute école de musique de Genève et les conservatoires de musique Edouard Said qui regroupent les conservatoires de Jérusalem Est, Ramallah, Naplouse et maintenant Gaza. Nous les aidons de toutes les manières possibles. Nous envoyons des professeurs donner des masterclasses, des stagiaires, finançons des postes de professeurs à plein temps, des achats d’instruments, des équipements. Nous avons financé une bourse pour un musicien qui est allé se former comme luthier en Italie puis en Allemagne. Nous avons invité des orchestres, des ensembles de jeunes à la Fête de la musique de Genève ou dans la salle du Méjan à Arles et, en décembre dernier, à l’Unesco. Entre temps, l’Unesco m’a nommé ambassadeur de bonne volonté, ce qui ajoute à la nécessité d’entreprendre.
Nous sommes en train de monter au conservatoire de Bethlehem un centre de fabrication et de réparation d’instruments à cordes avec le garçon qui fait sa formation de luthier. Ce centre devrait ouvrir mi-juin, les travaux sont en cours. Nous prenons en charge les travaux, les équipements, et deux ans de salaire.
En Israël, nous avons aidé une école de musique au à Maalot-Tarshiha en Galilée. Du fait de sa position géographique, il y a beaucoup d’Arabes et de Druzes. Nous avons fait venir là-bas cinq pianos, des partitions, des ordinateurs, ... Nous avons fait tout ce que nous avons pu.
Nous avons aussi une autre école près de Tel Aviv, où se retrouvent des enfants qui sont à risques sur le plan social et psychologique. Là, nous avons pris en charge toutes les bourses pour leur formation musicale. C’est du rock... Cela leur donne de la dignité.
Au fond, le dénominateur de tout cela, c’est essayer de donner de la dignité à ces enfants. Nous n’essayons pas de les faire jouer ensemble. Nous ne sommes pas des peace-makers. Nous n’essayons pas de faire de la politique. Il y a beaucoup de gens qui ont des opinions et qui les expriment. Nous essayons de faire autre chose: rendre ces gens plus autonomes, plus forts et donc peut-être de meilleurs interlocuteurs demain.
Et cette fondation a été faite avec Elias Sanbar, nous disant que ce serait bien que les enfants d’Israël sachent que dans cette fondation, un des deux présidents est un Palestinien et que les enfants palestiniens sachent qu’un des deux présidents est un juif.


Une dernière question: dans votre livre Prince d’orchestre, ce personnage principal si destructeur est-il inspiré de certains des musiciens et chefs que vous avez rencontrés?
Aucun, Dieu merci, ce serait triste. L’erreur fondamentale de Prince d’orchestre, son erreur de vie, mis à part ses problèmes d’enfance, a été de s’éloigner de la musique, de l’exploiter plutôt que de rester à son service. Un grand chef a une vie qui peut pousser à la vanité, à déraper vers le narcissisme. Les chefs sont rarement modestes. Mais si vous avez dans votre vie un élément central qui vous ramène à l’humilité, qui est la musique, c’est un facteur d’équilibre.


Ils ont 150 personnes en face d’eux. Il faut les faire bosser.
Il y a un tel afflux de compliments, d’argent, de gloire de tout que le risque de dérapage est là. Ce sont des facteurs de risque. Mais quand vous avez devant vous une partition avec laquelle vous êtes dans une vraie relation, ça ramène beaucoup de choses à la réalité. Un chef reste fort quand il sait qu’il a a devant lui une reine, qui est la musique et devant laquelle il s’incline.


[Propos recueillis par Antoine Leboyer]

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com