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Le Festival Beethoven de Varsovie 04/04/2013
La chaleur de Varsovie sous la neige
(© Bruno Fidrych)
Apparemment, il existe plus de 3000 festivals dans le monde. Pourtant le Festival Beethoven de Varsovie n’a pas pour vocation d’être un festival comme les autres. On ne s’y satisfait pas de la qualité musicale ou d’un petit trait d’originalité. C’est un festival avec des objectifs propres mais qui inclut aussi les objectifs traditionnels des festivals.
A l’origine (de 1997 à 2003), le Festival Beethoven se déroulait à Cracovie. L’évocation du génie de Bonn date du tout premier festival à l’occasion du 170e anniversaire de la mort de Beethoven. Et les éditions suivantes vont poursuivre dans cette voix. Mais Cracovie a déjà des festivals de très bons niveaux, très spécialisés, se démarquant des musiques de chambre, symphonique, ou lyrique. Ce sont, par exemple, le Festival Sacrum Profanum (lire ici) et le Festival Misteria Paschalis, spécialisé dans la musique de la Renaissance et du Baroque, voire de la musique du Moyen Age, toujours sur des instruments anciens.
Le Festival Beethoven de Varsovie s’attache aussi à sortir du cadre de la musique et à présenter des talents jeunes ou confirmés dans les domaines de la peinture, du graphisme, ou des arts plastiques. Sans négliger le passé, ce festival offre une vision du futur, avec le souci de renouveler le répertoire ou de commémorer d’immenses compositeurs comme Lutoslawski et, en 2013, anniversaires obligent, Verdi et de Wagner.
En 2004, le Festival Beethoven s’installe à Varsovie. Le siège est toujours à Cracovie (l’ancienne capitale où reposent les rois de Pologne) mais les concerts sont donnés à Varsovie. Varsovie est un symbole, une terrible mémoire, un témoignage : celui de la ville détruite par l’Allemagne en fuite mais toujours assoiffée de sang ; la ville, aujourd’hui reconstruite, ressemble à peu près à ce qu’elle était dans le passé; un symbole qui va au-delà du devoir de mémoire et fait vivre les pierres neuves en évoquant celles détruites. Le Palais Royal Zamek Królewski, par exemple, où ont été donnés deux superbes concerts qui ont permis d'entendre notamment le Quatuor à cordes de Verdi interprété par le Quatuor Artis, trois sonates pour violon et piano, ou encore, en bis, le premier mouvement de la Sonate pour violon et piano No. 5, « Le Printemps » de Beethoven (Julian Rachlin et Itamar Golan). Ces concerts sont placés sous l’égide de diplomates en poste à Varsovie. Les Ambassadeurs d’Israël, d’Italie, d’Autriche, et des Etats-Unis, se joignent à toute l'équipe artistique du festival sous la houlette de son directeur Andrzej Gita et la présidence d’Elzbieta Penderecka forment un groupe très actif qui a, en dehors de l’objectif musical, celui de refermer les blessures sans oublier le passé. Et ce patronage est aussi l’un des traits caractéristiques du Festival de Varsovie.
L’Ambassade des Etats-Unis s’est engagée dans ce projet avec deux concerts extraordinaires, une soirée symphonique et un opéra de Verdi dans une version pratiquement jamais entendue. Le premier par l’Orchestre philharmonique national dirigé par l’Américain John Axelrod le 23 mars, avec le chœur de l’Opéra de Podlasie, dans un programme Charles Ives, Richard Strauss, et l’émouvante Symphonie No. 2, opus 31 de Henryk Górecki.
Deux jours plus tard, le 25 mars, l’autre concert donné dans la même salle de la Philharmonie nationale, faisait figure d’événement. Pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Verdi, la programmation s’était portée sur la version originale (1857) de Simon Boccanegra par l’Orchestre de la radio polonaise et le chœur de la philharmonie polonaise dirigés par le formidable Lukasz Borowicz. Version qui, on le sait, fut un échec à la Scala lors de sa création, et fut l’objet par la suite de multiples chirurgies. Il existe toutefois une version enregistrée de cette première mouture sous le label « Opera Rara » par l’Orchestre de la BBC dirigé par John Matheson (1976). La distribution, essentiellement américaine et d’un très bon niveau. Amanda Hall (Violetta, Donna Anna, Blanche de la Force), excelle dans le rôle de Maria Boccanegra par sa puissance, mais également par sa subtile coloration des passages piano et forte et remporte un franc succès. Les deux voix graves : le protagoniste, un grand baryton, Stephen Powell, et son antagoniste, une basse formidable, le Russe Nikolaï Didenko, dont la voix profonde rappelle l’heureuse continuité de ces types de voix dans l’école nationale. Les duos sont deux moments privilégiés de ce concert : le duo père-fille et le duo Boccanegra-Fiesco, constituent les meilleurs moments de toute la soirée. Célébrons aussi la direction intense, agile, dotée d’un grand sens lyrico-dramatique de Borowicz. Ce jeune chef à l’avenir prometteur possède déjà une grande expérience dans l’enregistrement des opéras de plein répertoire et des titres polonais rescapés des négligences de l’oubli, dans un pays où l’oubli, justement, répond souvent, aux attentats répétés contre sa culture et son histoire (Monbar, de Dobrzynski; Maria, de Statkowski, etc.).
Le concert a été enregistré pendant la répétition générale, la veille, et si la captation est à la hauteur du concert du 25, la qualité devrait être exceptionnelle.
Justement, le 24, au moment où cette version de Simon Boccanegra était enregistrée, on assistait à un concert tout à fait différent, un croisement d’esthétiques dont le résultat était pour le moins fascinant. Le titre : Les Racines folkloriques de Witold Lutoslawski (dont on célèbre le centenaire de la naissance). La voix de Grazyna Auguscik et trois groupes d'instrumentistes assez différents dans leurs esthétiques et objectifs offraient un récital plein de vie, de musicalité changeante, agile, en perpétuelle mobilité. Une véritable jam session où le folklore polonais récent et celui du temps jadis se mêlent, s’entrecroisent, se laissent influencer par le jazz, la musique brésilienne, l’improvisation, la danse, la musique légère. L’invocation de Lutoslawski est peut-être un peu outrancière, mais qu’importe, le concert à ses qualités propres, et sa richesse est tellement évidente que Lutoslawski, sans doute, l’aurait aimé. Accompagnant la formidable Grazyna Auguscik, une dizaine de musiciens tout à fait ensorcelants et dont on pourrait copieusement parler le Trio folklorique Janusz Prusinowski, le Quatuor à cordes Atom, apparemment comme les autres, mais apparemment seulement, et un trio tout à fait jazz, le Trio Jan Smoczynski. L’idée d’engager tous ces musiciens trouve son origine dans un projet de Grazyna Auguscik, une voix capable de tous les agilités, pas complètement à l’écart des salles de concerts, mais pleinement engagée dans des projets comme celui-ci, métissés et salutaires. Malgré une tragédie familiale survenue le jour d’avant, Auguscik a tenu à participer afin de ne pas mettre en péril un spectacle si particulier et si émouvant. Heureusement, ce concert avait lieu dans la salle de concerts/studio Lutoslawski de la Radio polonaise et on attend sa diffusion avec grand intérêt.
Le Festival Beethoven de Varsovie avait d’autre richesses, certainement, d’autres initiatives artistiques. Pendant ces quatre jours passés à Varsovie on a eu la chance, quand même, d’assister à cinq concerts. Le niveau de ce festival est incontestable.
Santiago Martín Bermúdez
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