Back
CD, DVD et livres: l’actualité de décembre 12/15/2012
Les chroniques du mois
Sélectionnés par la rédaction
Philippe Herreweghe dirige Bach
Antoine Tamestit interprète Bach
Oui!
Allison Brewster Franzetti interprète Weinberg
Leonard Bernstein dirige Sibelius et Stravinsky
Alexandre Tharaud interprète Kagel
Celibidache et Furtwängler de Klaus Lang
«Europakonzert» 1998 dirigé par Claudio Abbado
Hommage à Yuri Ahronovitch
Mitsuko Uchida interprète Mozart
L’ensemble Les Basses réunies interprète Purcell
Le Trio Arbor interprète Martinů
András Schiff interprète Bach
Le Quatuor Talich interprète Beethoven
Le Quatuor Belcea interprète Beethoven
L’ensemble Aliquando interprète Louis-Gabriel Guillemain
Le Quatuor Ysaÿe interprète Brahms et Schönberg
Debussy: enregistrements pianistiques historiques
Les Cahiers de Francis Poulenc
Le Quatuor Girard
Youri Temirkanov dirige Dvorák et Chostakovitch
Les «autographes vocaux» de Pathé-Art
Didier Talpain dirige Amadis de Gaule de J.-.C Bach
Pourquoi pas ?
Alexei Lubimov interprète Debussy
Roberta Invernizzi chante Vivaldi
«Europakonzert» 2006 dirigé par Daniel Barenboim
La pianiste A. Gourari
Renaud Capuçon interprète Brahms et Berg
Musique de chambre d’Eduard Franck
Brahms autour des frères Capuçon
Le Quatuor Modigliani interprète Brahms
La harpiste Agnès Clément
Trois œuvres de Georges Lentz
Enregistrements rares d’Ataúlfo Argenta
Paul Stewart interprète Medtner
De la Chaconne de Bach au Requiem de Fauré
Pas la peine
«Europakonzert» 1991 dirigé par Claudio Abbado
Vilde Frang interprète Tchaïkovski et Nielsen
Le Quatuor Kuijken interprète Beethoven
Gabriele Baldocci interprète Beethoven/Liszt
Le Duo Invencia interprète Schmitt
L’entretien du mois
Antoine Tamestit
Le match du mois
Quatuors de Beethoven: Belcea, Kuijken ou Talich?
En bref
Heureux comme Brahms en France
Prenez vos Cahiers!
Une collection pour Temirkanov
Grand Piano: lancement des cycles Medtner et Schmitt
Une chaconne et des chorals
Amadis de Gaule de J.-C. Bach: avis aux amateurs
La harpe dansante d’Agnès Clément
L’enthousiasme du Quatuor Girard
Franck (mais pas César)
Ataúlfo Argenta chez ICA Classics
Louis-Gabriel Guillemain: une pointure
Debussy et les pianistes du passé
L’univers de Georges Lentz
Gabriele Baldocci aborde les Symphonies de Beethoven/Liszt
«Signatures vocales» de compositeurs français
Heureux comme Brahms en France
Il fut un temps où Brahms ne constituait pas le pain quotidien des musiciens français, mais cette époque est décidément révolue, comme le montrent ces trois parutions. Renaud Capuçon, Gérard Caussé, Gautier Capuçon et Nicholas Angelich s’attaquent ainsi aux trois Quatuors avec piano: même si une telle appréciation tient fâcheusement du cliché, comment ne pas qualifier d’éminemment «française» une interprétation privilégiant la subtilité et la finesse sur la densité et la charge expressive, quitte à ce que la délicatesse flirte avec l’affectation? Du coup, c’est le paisible Deuxième qui convainc sans doute le plus (Virgin Classics 50999 519310 2 5). Le Quatuor Modigliani s’associe à Jean-Frédéric Neuburger pour le Quintette avec piano: un Brahms plus habité, mais toujours impeccable, maîtrisé et contrôlé, paraissant plus soucieux de perfection que d’expression, de même que la prestation très apollinienne de la mezzo Andrea Hill dans les Deux Chants opus 91 avec alto et piano qui complètent cet album bien court (Mirare MIR 130). Toujours soigneusement auto-édité, sous la forme d’un livre-disque présenté par Bernard Fournier, le Quatuor Ysaÿe, enregistré en mars 2006, offre sa vision du Troisième Quatuor, lumineuse et engagée: ici, l’étincelle qui manquait aux deux autres disques ne fait pas défaut, mais cet engagement n’ôte rien à la signature toute de sensibilité et si immédiatement reconnaissable des musiciens français, parmi lesquels s’illustre le magnifique alto de Miguel da Silva. Plutôt qu’un autre quatuor de Brahms, le couplage, beaucoup plus récent (décembre 2011), en compagnie de deux anciens du Quatuor Alban Berg, Isabel Charisius et Valentin Erben, propose une œuvre située à la croisée des filiations brahmsienne et wagnérienne, La Nuit transfigurée de Schönberg, intense et enflammée à souhait. Les Ysaÿe ont annoncé qu’après plus d’un quart de siècle d’activité, ils mettraient un terme à leur carrière en janvier 2014, mais ce n’est pas ici leur dernière publication: trois quatuors de Beethoven captés en public en 2008 sont d’ores et déjà annoncés pour janvier (Ysaÿe Records YR09). SC
Prenez vos Cahiers!
Editée par Michel de Maule et placée, comme les précédentes, sous la direction de Simon Basinger, la troisième livraison des Cahiers de Francis Poulenc est parue en mars dernier, trois ans et demi après la première. Le principe reste identique: des articles sur et autour de Poulenc, agrémentés d’une précieuse iconographie provenant essentiellement de collections privées. Quelques contributions retiennent l’attention: l’évocation de la relation professionnelle et amicale entre le compositeur et Wanda Landowska et Louise de Vilmorin, le portrait dressé par Gabriel Tacchino, le témoignage du cinéaste Dominique Delouche sur Denise Duval, l’éclairage des rapports entre le musicien et Jean Giraudoux ou encore l’entretien que le directeur de la publication a mené avec Henri Dutilleux. Ce cahier revêt en outre un attrait musicologique: analyse du cycle de mélodies La Courte paille, étude des Animaux modèles, examen de l’usage de la voix dans la production du compositeur. Le point de vue contradictoire de Poulenc sur le jazz fait également l’objet d’un bref texte. Felicity Lott préface cette publication destinée avant tout aux amateurs de «Poupoule» et, dans une certaine mesure, aux chercheurs désireux de mieux comprendre son art. SF
Une collection pour Temirkanov
Contrairement à bon nombre d’orchestres, le Philharmonique de Saint-Pétersbourg n’est pas son propre éditeur, mais Mirare lance une «Collection Youri Temirkanov» qui, à raison de trois ou quatre parutions annuelles, permettra d’entendre en concert (dans sa salle de la Philharmonie) la légendaire phalange de Mravinski avec celui qui en est le directeur musical depuis près d’un quart de siècle. Très brefs mais bénéficiant d’une notice (en français et en anglais) signée respectivement de Rodolphe Bruneau-Boulmier et de Frans C. Lemaire, les deux premiers albums n’offrent pas un programme d’une grande originalité – le chef russe a déjà laissé des témoignages de ces œuvres tant en studio chez RCA (avec le même orchestre) que chez Brilliant – mais n’en valent pas moins le détour. C’est d’abord une Symphonie «Du nouveau monde» de mars 2011, pliée en moins de 40 minutes, très personnelle, fascinante tant par son sens du détail instrumental que par son souffle épique, ses frémissements intenses, ses phrasés insensés, ses fluctuations de tempo, son culot (un Scherzo d’une véhémence démentielle), ses couleurs à la Borodine ou à la Tchaïkovski (MIR 185). Douze mois plus tard, la Cinquième Symphonie de Chostakovitch, pour être sans doute plus attendue de la part de l’orchestre qui en a donné la création voici 75 ans, surprend donc moins mais n’en demeure pas moins recommandable (MIR 196). SC
Grand Piano: lancement des cycles Medtner et Schmitt
Le label Grand Piano (lancé en début d’année) édite deux albums riches en raretés. Avec, tout d’abord, le début d’une intégrale en quatre volumes de la musique pour piano de Nikolaï Medtner (1880-1951), confiée à Paul Stewart. Souvent réduite à la Sonate «Réminiscence» (interprétée ici avec douceur, tristesse presque, et un toucher en mezza voce constante), ce corpus pianistique mérite à coup sûr le détour. Ainsi la reconstitution de la Sonatine en sol mineur (1898) permet-elle d’admirer la délicatesse d’un toucher vif, aux dynamiques claires et limpides. Quant à la Première Sonate (1903), elle trouve le bon dosage entre tendresse et véhémence, des douceurs de l’Allegro à l’emballement inexorable du Finale. Si le toucher du pianiste canadien pourrait par moments être plus conquérant, on regrette surtout que ce disque (au minutage bien bref) souffre d’une prise de son un peu asphyxiante (GP617). L’album consacré à Florent Schmitt (1870-1958) lance, lui, une intégrale de sa musique pour deux pianistes. Bonne idée en soi, qui permet d’entendre les Trois Rapsodies pour deux pianos (1903-1904) et de disposer surtout du premier enregistrement mondial de deux partitions pour piano à quatre mains: les Sept pièces, opus 15 (1899) et la Rhapsodie parisienne (1900). Mais le choix du Duo Invencia se révèle malheureux, tant les pianistes Andrei Kasparov et Oksana Lutsyshyn manquent de magnétisme pour faire vivre cette musique. L’ensemble reste trop timide et plonge l’auditeur dans une certaine indifférence (GP621). GdH
Une chaconne et des chorals
Sous sa propre marque, l’Orchestre symphonique de Londres propose un album enregistré en public en mai dernier, qui se caractérise non seulement par un couplage assez rare – Bach et Fauré – mais aussi par une démarche inattendue. Helga Thoene, qui présente longuement le résultat de ses travaux dans la notice (trilingue), a en effet identifié dans la Chaconne conclusive de la Deuxième Partita pour violon seul le thème de plusieurs chorals, dont Bach, frappé par le décès subit de sa première épouse, Maria Barbara, aurait ordonnancé l’apparition pour écrire une «épitaphe sonore» à sa mémoire. Les quatre premiers mouvements de la Partita, interprétés avec fougue par l’un des concertmasters du LSO, Gordan Nikolitch, alternent avec des chorals, scrupuleusement chantés par le chœur de chambre Tenebrae sous la direction de son fondateur Nigel Short. Mais la surprise – même si Christoph Poppen et l’Ensemble Hilliard ont déjà tenté l’expérience voici plus de dix ans (ECM) – vient de la célèbre Chaconne, où l’ensemble vocal, réduit à huit chanteurs, se joint au violoniste pour mieux faire ressortir les mélodies des chorals identifiées dans la partition originale par la musicologue allemande. Déroutant... mais Bach est assurément l’un de ceux qui suscitent le plus spontanément de tels décryptages. L’ultime ré s’enchaîne sans solution de continuité avec la version de 1893 du Requiem de Fauré, qui réunit les mêmes, accompagnés par quelques musiciens de l’orchestre londonien et avec deux bons solistes de Tenebrae: une vision très Requiem allemand, qu’on pourra juger terne ou sobre, éteinte ou apaisée, mais qui ne dépare pas ce disque au propos original (LSO Live LSO0728). SC
Amadis de Gaule de J.-C. Bach: avis aux amateurs
En fin d’année dernière à l’Opéra royal de Versailles et au début de cette année à l’Opéra Comique, une production a permis de (re)découvrir Amadis de Gaule (1779) de Jean-Chrétien Bach, avec Le Cercle de l’Harmonie et son chef Jérémie Rhorer. Paru simultanément et dans la même collection que La Mort d’Abel de Rodolphe Kreutzer, ce livre-disque peut induire en erreur l’acquéreur pressé puisque ce n’est aucunement un écho de ces représentations, même si Philippe Do incarne le rôle-titre. En réalité, cet enregistrement a été réalisé il y a deux ans à Prague avec une autre distribution (entre autres Hjördis Thébault et Pierre-Yves Pruvot) et une formation instrumentale moins illustre – Solamente Naturali (de Bratislava) – renforcée par Musica Florea (de Prague), sous la direction de Didier Talpain. Un disque d’airs de Mozart et de, justement, Jean-Chrétien Bach (voir ici) ainsi qu’un autre, plus excitant, d’extraits d’opéras français très rares (voir ici) ont déjà permis d’apprécier le niveau non négligeable de cet orchestre et de ce chef. L’exécution tient donc la route et les voix présentent suffisamment d’attraits. Produite par le Palazzetto Bru Zane, toujours soucieux d’apposer sa marque dans ce genre de projet de réhabilitation, cette nouveauté luxueusement présentée procurera bien du plaisir aux amateurs d’opéra français: iconographie recherchée et textes copieux de Pierre Sérié, des frères Dratwicki et de Didier Talpain (Ediciones Singulares ES1007). SF
La harpe dansante d’Agnès Clément
Le facteur américain Lyon and Healy présente Agnès Clément (née en 1990), troisième prix au concours Lily Laskine en 2008, dans un récital intitulé «Dance». Dans sa note d’intention, la harpiste française, notamment issue de la classe lyonnaise de Fabrice Pierre, qui assure la direction artistique de cet enregistrement, affirme avoir «voulu retranscrire cette ambiance insouciante et ce rythme effréné si propres à un bal dans un programme où chaque œuvre évolue selon son style, son époque, son caractère et son histoire sans se soucier des autres pièces, comme autant de couples réunis à travers les âges et les continents, avec comme seul point commun la danse». Hormis une ingénieuse Danse des lutins (1926) d’Henriette Rénié (1875-1956), les pages de caractère dansant sont plutôt à rechercher du côté des transcriptions, mais l’instrument se révèle plus favorable à Brahms (trois des seize Valses opus 39) ou Debussy (Valse romantique) qu’à Falla (Danse espagnole), Khatchatourian (Danse orientale, Toccata) ou Rameau (L’Egyptienne, La Boiteuse, La Danse des sauvages), dont le caractère est quelque peu émoussé. Les partitions originales entretiennent une relation moins évidente avec la thématique du disque, qu’il s’agisse de «saucissons» impeccablement exécutés – Introduction, Cadence et Rondo de l’incontournable Elias Parish-Alvars (1808-1849) et la Légende (1903) de Rénié – ou des Silences naissants (2009) de Michael Maganuco (né en 1987), morceau imposé en demi-finale du concours américain de harpe en 2010 (Lyon and Healy Records). SC
L’enthousiasme du Quatuor Girard
Un enregistrement salle Adyar publié par Les Discophiles français? Non, il ne s’agit pas d’une réédition, car les membres du Quatuor Girard n’étaient pas nés lorsque Marie-Claire Alain, Lili Kraus, Marcelle Meyer, Jean-Pierre Rampal, le Trio Pasquier et le Quatuor Loewenguth y étaient publiés. Troisième prix en 2011 au concours de Genève (remporté ex æquo par les Quatuors Armida et Hermès), la formation associe deux frères et deux sœurs et confirme dans cet album l’excellente impression laissée par son concert parisien de juillet 2011. On y retrouve d’ailleurs en grande partie, dans une prise de son à la fois spacieuse et réaliste, le même programme: l’Opus 76 n° 5 de Haydn, plus convaincant encore de vivacité et de fraîcheur, et le Premier Quatuor de Schumann, porté par une fougue toujours aussi volcanique. Dans le Douzième Quatuor («Quartettsatz») de Schubert, les Girard font souffler un ouragan irrésistible, avec lequel même les Ardeo ou les Ebène ne peuvent rivaliser. Non exempte de débordements, cette énergie devra toutefois être quelque peu canalisée, mais ce disque n’en demeure pas moins revigorant et réjouissant (DF 228). SC
Franck (mais pas César)
Même si le nom d’Eduard Franck (1817-1893) est déjà apparu chez différents éditeurs (notamment Audite), Naxos est encore allé dénicher l’un de ces oubliés de l’histoire de la musique, à ne confondre ni avec son fils Richard (1858-1938), également compositeur, ni évidemment avec César, son contemporain presque exact. Né à Breslau, il devient l’élève de Mendelssohn à Düsseldorf puis à Leipzig, où il se lie également avec Schumann. Après des séjours à Londres, Paris (où l’un de ses frères, Albert, tient une libraire musicale) et Rome, son activité d’enseignant, de Cologne à Berlin en passant par Berne, se conjugue avec l’édification d’un catalogue très volumineux, notamment dans le domaine chambriste, dont seule une petite partie, semble-t-il par modestie, a été publiée de son vivant. Avec un bonheur instrumental variable, James Tocco, Shmuel Ashkenasi (premier violon de l’ancien Quatuor Vermeer) et Yehuda Hanani proposent, à défaut de premières au disque, l’un de ses cinq Trios avec piano (en mi bémol), l’une de ses quatre Sonates pour violon et piano (en la, publiée en 1859) et la seconde de ses Sonates pour violoncelle et piano (en fa, publiée en 1882), trois œuvres de facture et de structure (quatre mouvements) tout à fait traditionnelles, écrites aux alentours de 1850. Avec cet épigone irréprochablement tranquille et appliqué de Mendelssohn, il sera sans doute difficile de parler de révélation fracassante ou même de personnalité forte, sauf peut-être quand il accepte de se départir de son romantisme serein pour une adopter une expression plus profonde (Adagio molto espressivo de la Sonate pour violoncelle), mais il serait injuste de prétendre que cet album attachant et au minutage généreux est dépourvu d’agrément et même d’intérêt (8.572480). SC
Ataúlfo Argenta chez ICA Classics
Comme Guido Cantelli quatorze mois auparavant, Ataúlfo Argenta (1913-1958) disparut prématurément dans des conditions tragiques (l’inhalation de monoxyde de carbone dans son garage, après voir fait tourner trop longtemps le moteur et le chauffage de sa voiture). Même s’il a travaillé en studio à partir 1953 pour Decca à Londres et à Genève et si certains enregistrements de concert sont par ailleurs disponibles, tout témoignage de son art est bienvenu, surtout lorsqu’il s’agit de quasi-inédits. ICA Classics revendique ainsi la première parution en disque compact de cinq Préludes ou extraits symphoniques de zarzuelas de Chapí – dont Música clásica avec ses citations de Beethoven et Mendelssohn – et Giménez (1955-1957): un répertoire d’élection pour le chef espagnol, qui fait pétiller (en studio) le Grand orchestre symphonique de Madrid. Mais il est encore plus intéressant de l’entendre hors de la musique de son propre pays – ses Falla sont tout aussi réputés: il suffit de se souvenir qu’il est mort quelques semaines avant d’entamer une intégrale des Symphonies de Brahms avec le Philharmonique de Vienne. Il n’en reste hélas que des regrets, à en juger par une Troisième Symphonie «Héroïque» de Beethoven (24 mai 1957) de belle allure, malgré une acoustique fluctuante, cotonneuse et réverbérée et un Orchestre national d’Espagne aux timbres peu plaisants. Toujours en public, l’Orchestre de la Suisse romande, pour lequel Ansermet voyait en lui son successeur, est évidemment plus affûté dans l’Ouverture de La Fiancée vendue de Smetana (29 août 1957), svelte et précise (ICAC 5087). SC
Louis-Gabriel Guillemain: une pointure
L’amusante couverture que voici: il s’agit d’un amoncellement de chaussures du XVIIIe siècle, celui de Louis-Gabriel Guillemain (1705-1770). Comme d’autres à cette époque, ce compositeur talentueux et violoniste de renom concilie dans son œuvre, essentiellement instrumentale, le goût français en vogue à la Cour et le style italien, éclatant et virtuose. Il destina sa musique aussi bien aux amateurs de pièces divertissantes qu’à ceux d’ouvrages plus sérieux et ambitieux. Le musicien bénéficia de l’estime de l’aristocratie mais moins de la famille royale que de l’entourage de Madame de Pompadour. En proie à des difficultés psychiques et financières, il sombre dans l’alcoolisme et, selon toute vraisemblance, met un terme à son existence. Intitulé «Amusements», ce disque propose un panorama diversifié de sa musique pour violon seul ou accompagné (basse de viole, violoncelle, flûte, musette, clavecin) qui témoigne d’un niveau d’inspiration élevé – une écoute en aveugle réserverait quelques surprises. L’interprétation délicieuse et pleine de verve de l’ensemble Aliquando, autour de la violoniste Stéphanie Paulet, contribue largement à l’intérêt inattendu de cette publication (Muso MU-004). SF
Debussy et les pianistes du passé
Pour inaugurer sa nouvelle collection «In memoriam», Ysaÿe Records a choisi de marquer l’année Debussy en rassemblant les témoignages de neuf pianistes enregistrés entre 1926 et 1949, chacun dans une ou plusieurs pièces des deux séries d’Images. Dans la notice (en français et en anglais), Betsy Jolas commente ces différentes interprétations que Philippe Morin replace par ailleurs dans leur contexte. Certains noms étaient attendus – Arrau, Benedetti Michelangeli, Gieseking, Marcelle Meyer, Vines – mais d’autres le sont moins: ainsi de Paderewski – alors qu’il fut le premier à réaliser, dès 1912, un disque consacré à Debussy, avec «Reflets dans l’eau», remis sur le métier en 1926 à New York, de façon aussi passionnante que peu orthodoxe – ou même de Rubinstein, lui aussi assez personnel et surprenant. Quant à Jean Doyen, élève de Marguerite Long, et, plus encore, Marius-François Gaillard, qui grava seize 78 tours d’œuvres du compositeur, ils méritent assurément d’être redécouverts. Ce panorama des débuts de l’histoire de l’interprétation debussyste gratouille et crachote parfois beaucoup, mais se révèle véritablement captivant: belle contribution à un anniversaire qui n’en aura finalement pas offert tant que cela (IM01). SC
L’univers de Georges Lentz
Timpani ne s’intéresse pas qu’aux compositeurs (français) oubliés du siècle passé, mais aussi à la musique de notre temps, comme le montre cette monographie consacrée à Georges Lentz (né en 1965). D’origine luxembourgeoise, il a fait ses études à Paris et à Hanovre mais s’est installé depuis 1990 en Australie. C’est à partir de la même époque que son œuvre est marquée par l’appréhension – à la fois tentative de compréhension et peur pascalienne – des «espaces infinis» de l’univers, qui trouve sa traduction dans un cycle intitulé Cæli enarrant.... Adoptant une démarche qui rappelle celle d’un Stockhausen dans son cycle Licht, la septième partie, intitulée Mysterium et commencée en 1994, consiste en une «composition conceptuelle» inspirée par l’harmonie des sphères, par «l’extrême solitude, le grand silence et la fragilité existentielle à laquelle on est confronté dans le désert australien», par la peinture pointilliste aborigène – les titres des trois pièces de l’album font référence à cette culture – et par Le Jeu des perles de verre de Hesse pour former, si l’on en croit la notice de Richard Toop (en français et en anglais), «un groupe d’objets musicaux en permanente évolution, destiné à la contemplation privée». Afin que ses œuvres puissent néanmoins être exécutées en public, Lentz en a réalisé ce qu’il appelle des «arrangements», donnés ici par Emilio Pomarico et l’Orchestre philharmonique du Luxembourg. Ngangkar (2000), Guyuhmgan (2001/2007) et Monh (2005), la pièce la plus développée (avec l’alto solo de Tabea Zimmermann), ne se différencient pas fondamentalement, témoignant ainsi d’une unité stylistique certaine, à partir d’éléments pourtant composites, qui juxtaposent la modernité la plus avancée et les harmonies consonantes, notamment dans des chorals apparaissant dans chacune de ces trois partitions. Certains auditeurs seront sans doute simplement intrigués, d’autres envoûtés (1C1184). SC
Gabriele Baldocci aborde les Symphonies de Beethoven/Liszt
Début d’une intégrale des Symphonies de Beethoven transcrites par Liszt, chez Dynamic. C’est au pianiste italien Gabriele Baldocci (né en 1980) que ce projet titanesque est confié. Enregistré en février 2012, le premier volume déçoit. Le toucher – puissant et vif – de Baldocci est malheureusement monolithique et manque singulièrement de poésie. Certes, il n’est pas aisé de faire vivre la veine symphonique de ces transcriptions où font intrinsèquement défaut le moelleux des cordes, la transparence des vents, la rondeur des bois... Cette limite se fait plus spécialement ressentir dans la Première Symphonie, trop anguleuse sous les doigts de l’interprète italien. Si Baldocci réussit fort bien à faire vivre la tempête du quatrième mouvement, la Sixième est, elle aussi, plombée par l’ennui et l’absence de fantaisie. Comparé à celui de la célèbre version de Glenn Gould, le premier mouvement est ainsi très vide. Bref, un début d’intégrale terne (CDS 731). GdH
«Signatures vocales» de compositeurs français
Même lorsqu’il s’agit de rééditions, Timpani reste fidèle à son exigence de qualité et à sa prédilection pour la musique française. Ainsi de cet album regroupant les enregistrements réalisés en 1930 et 1931 par Pathé-Art et intitulés «Orchestre avec autographes vocaux»: huit compositeurs dirigent (sans doute à la tête de l’Orchestre Pasdeloup) 5 à 16 minutes de leur propre musique puis «signent» leur témoignage pour la postérité en prononçant quelques mots devant les micros. Comme l’indique Philippe Morin (qui assure la supervision artistique de cet album) dans la notice (en français et en anglais), comprenant également une présentation des œuvres par Jacques Tchamkerten, la série fut arrêtée en raison de la crise économique. Elle n’a donc pu recueillir que les interprétations et les voix de Büsser, d’Indy, Inghelbrecht, Ropartz, Roussel (déjà paru en 1993 dans la collection «Composers in Person» d’EMI), Schmitt et Widor (qui ont par ailleurs dirigé ou interprété au disque certaines autres de leurs œuvres) mais aussi d’une personnalité quasi oubliée de nos jours, Georges Hüe (1858-1948), en l’occurrence avec son drame lyrique Le Miracle. La qualité sonore est relativement précaire, mais n’empêche pas d’apprécier des interprétations très convaincantes, de découvrir des partitions peu connues, comme les extraits des ballets La Korrigane de Widor et La Ronde des saisons de Büsser ou la Sinfonia breve da camera d’Inghelbrecht, et, peut-être plus encore, de laisser vagabonder son esprit en entendant d’Indy évoquer la composition de sa «trilogie de Wallenstein» entre 1875 et 1878... Voilà qui vaut largement cet incunable de 1889 qui contiendrait la «voix de Brahms», à peine intelligible et d’attribution douteuse (1C1201). SC
La rédaction de ConcertoNet
|