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CD, DVD et livres: l’actualité d’octobre 10/15/2012
Les chroniques du mois
Must de ConcertoNet
Hervé Niquet dirige Sémiramis de C.-S. Catel
Sélectionné par la rédaction
Thord Svedlund dirige Weinberg
Oui!
Rachel Talitman interprète Jongen
Œuvres de Jacques Lenot
Carolyn Sampson chante des cantates de T.-L. Bourgeois
Iván Fischer dirige Mahler
Bernard Haitink dirige Mahler
Magdalena Kozená chante Dvorák, Ravel et Mahler
Michael Endres interprète Schubert
Gary Hoffman et David Selig interprètent Mendelssohn
Le Quatuor Talich interprète Debussy et Ravel
Idil Biret interprète Schumann
Le pianiste Winston Choi
Minsoo Sohn interprète des transcriptions de Lizzt
Grzegorz Nowak dirige Chostakovitch
Eric Le Sage et le Quatuor Ebène interprètent Fauré
Alan Gilbert dirige Nielsen
Günter Wand dirige Schubert
Jean-Efflam Bavouzet interprète Haydn
Une nouvelle série de programmes «Presto»
Jukka-Pekka Saraste dirige Schönberg
Entretiens autour des cinq premiers opéras de P. Eötvös
Les 25 ans du Concert Spirituel
Pourquoi pas ?
Les Noces de Figaro mis en scène par Strehler (2010)
Hommage à Dieter Klöcker
Les Phil’Art’Cellistes
Musiques de ballet de Saint-Saëns
Le Trio KMW interprète Chaminade
Francesco La Vecchia dirige Casella
Le Grand ensemble de cuivres d’Alsace
Vladimir Jurowski dirige Tchaïkovski
Emmanuel Krivine dirige Ravel
Viole de gambe et guitare baroque
Dominique Visse chante Dowland
Pas la peine
Simon Rattle dirige Carmen
Leonard Slatkin dirige Berlioz
Hinrich Alpers interprète Schumann
La pianiste Katherine Chi
Arabella Steinbacher interprète Prokofiev
Paavo Berglund dirige Sibelius
Nicholas McGegan dirige Brahms
Documentaire sur Ramon Lazkano
Hélas !
Peter Breiner orchestre les Préludes de Debussy
L’entretien du mois
Hervé Niquet
En bref
La dolce volta se met à la musique de chambre
Saint-Saëns compositeur pour le ballet
Ici Londres
L’idylle de Biret avec Schumann
Lazkano et les craies d’Oteiza
Viole de gambe et guitare baroque
Les 25 ans du Concert Spirituel
La quatrième étape haydnienne de Bavouzet
Les pianistes «Honens»: une écurie canadienne
Slatkin à l’abordage de la capitale des Gaules
Petite anthologie ravélienne
Arabella Steinbacher dans Prokofiev: contrat rempli
Fauré par Le Sage, la suite
Les violoncellistes du Philhar’
Le bel équilibre d’un programme tout Schönberg
Naxos poursuit son cycle Casella
Wand dans Schubert: nihil novi
«Presto», du baroque au romantisme
Dominique Visse chante Dowland
Cuivres français à la russe
La somme schubertienne de Michael Endres à petit prix
Peter Breiner orchestre les Préludes de Debussy
Les Trios avec piano de Chaminade
McGegan, donneur de Sérénades brahmsiennes
Eötvös entre création et interprétation
Nielsen de retour à New York
La dolce volta se met à la musique de chambre
Les nouveautés parues chez La dolce volta se sont jusqu’à présent cantonnées au clavier, et ce avec succès – en témoigne notamment la récompense suprême récemment décernée par ConcertoNet à Philippe Bianconi dans les Préludes de Debussy. Mais avec deux de ses dernières publications, le jeune éditeur se lance maintenant dans la musique de chambre. Excellente idée que d’avoir confié à Gary Hoffman et David Selig une intégrale de l’œuvre pour violoncelle et piano de Mendelssohn, dont la production chambriste, hormis l’Octuor et les Quatuors, demeure assez méconnue. Si le joyau en est sans nul doute la magistrale Seconde Sonate, le violoncelliste canadien et le pianiste australien s’amusent dans les juvéniles Variations concertantes, chantent à plein poumons dans la Romance sans paroles en ré, investissent avec chaleur la Première Sonate et n’omettent pas un très bref Feuillet d’album (LDV 05). Le Quatuor Talich, déjà présent chez La dolce volta, qui a réédité les Mozart des Tchèques dans leur formation antérieure, a choisi quant à lui les Quatuors de Debussy et Ravel. Même s’il est habilement scénarisé par la notice de présentation («Une amitié manquée»), le couplage n’est guère original: leurs prédécesseurs l’avaient d’ailleurs déjà eux-mêmes enregistré à deux reprises (Calliope, 1972, puis Supraphon, 1985). Mais la jeune génération (emmenée depuis 1997 par Jan Talich, le fils et homonyme du fondateur, lui-même neveu de l’immense Václav Talich), si elle n’est pas très idiomatique, n’en livre pas moins une interprétation enflammée et instrumentalement somptueuse, spectaculaire et généreuse, d’une expression intense et frémissante (LDV 08). SC
Saint-Saëns compositeur pour le ballet
Saint-Saëns compositeur de ballet? A brûle-pourpoint la question déclenchera quelques réponses prévisibles: la «Bacchanale» de Samson et Dalila certainement, et puis «Le Cygne» du Carnaval des animaux dont la musique rappelle immédiatement les ports de bras uniques de telle ou telle danseuse restée célèbre. Et après? Quelques autres éléments seront apportés par ce disque original enregistré en Australie, compositions dérivant d’ailleurs d’une autre problématique: qu’en est-il de Saint-Saëns compositeur d’opéras, territoire à peine mieux défriché aujourd’hui? Au croisement des deux genres, ces séquences dansées obligatoires insérées dans les grands opéras à la française et souvent coupées aujourd’hui quand on essaie de remonter ces œuvres. Un énorme vivier de musique utilitaire (les compositeurs y ont rarement investi ce qu’ils avaient de meilleur à proposer) où quelques perles authentiques resteraient à dénicher. Connaissant le savoir faire académique de Saint-Saëns, on s’attendait à en trouver quelques belles dans ce programme, mais on reste un peu sur sa faim. Quel que soit le genre musical abordé, plutôt néo-médiéval on néo-Renaissance pour less ballet extraits d’Henry VIII et Etienne Marcel, plutôt néo-classique aux allures de pastiche mythologique pour le long divertissement extrait d’Ascanio, on peine à identifier quelque chose de vraiment passionnant. Un thème ravissant accroche tout à coup l’oreille, mais la pochette nous apprend qu’il a été récupéré d’un recueil historique (L’Orchésographie de Thoinot Arbeau, de 1588). Le plus intéressant arrive à la fin, avec le long Prologue de l’opéra Les Barbares, composé en 1900 en vue de représentations au théâtre romain d’Orange. Une belle pièce symphonique à la structuration narrative convaincante. Exécution irréprochable par ailleurs, même si tout ici n’est pas du premier rayon (Melba MR301130). LB
Ici Londres
Le London Symphony, depuis plusieurs années, auto-édite certains de ses concerts publics sous sa propre étiquette LSO Live. Mais dans la capitale britannique, ville riche en phalanges réputées, il n’est pas le seul ni même le premier: c’est en effet le Royal Philharmonic qui, s’y étant mis dès 1986, est en droit d’en revendiquer l’initiative. On le retrouve capté en janvier 2011 dans un programme Chostakovitch «grand public», non pas avec son directeur artistique et chef principal Charles Dutoit, mais sous la baguette de Grzegorz Nowak (né en 1951), principal associate conductor depuis 2008: une excellente surprise, pas tant de la part de l’orchestre, solide mais pas toujours très séduisant, que dans la conception du chef polonais, sûr de ses effets dans une Cinquième Symphonie «coup de poing», allant droit à l’essentiel dans le drame comme dans le grotesque, jusque dans une péroraison écrasante où l’apothéose tourne délibérément à vide. Même la très superficielle Ouverture de fête se révèle ici d’une inquiétante frénésie (RPO SP 037). Sous son étiquette fondée quant à elle en 2005, le London Philharmonic n’est pas en reste, d’abord avec Vladimir Jurowski (né en 1972), principal conductor depuis 2007, dans un double (mais très court) album Tchaïkovski réalisé à partir de concerts donnés au printemps 2011. Dans la Quatrième Symphonie, le chef russe privilégie, comme à son habitude, la recherche interprétative et le travail instrumental, mais, comme en novembre 2009 au Théâtre des Champs-Elysées, il n’est pas toujours aisé de le suivre, d’un premier mouvement dont le caractère cyclothymique est fortement souligné jusqu’à un finale survolté. Difficile en revanche de ne pas admirer une Cinquième enthousiasmante, menée à bon port en moins de 42 minutes, tendue, incisive, sans alanguissement, beethovénienne en quelque sorte, et servie qui plus est par une fort belle couleur instrumentale (LPO-0064). On retrouve par ailleurs Paavo Berglund (1929-2012) dans son cher Sibelius, dont l’orchestre avait déjà publié une Deuxième Symphonie de 2005 et une Septième de 2003. Daté lui aussi essentiellement de 2003 mais opportunément présenté comme le «chant du cygne» du chef finlandais, moyennant... Le Cygne de Tuonela enregistré en septembre 2006, ce nouvel album comprend une Cinquième compacte, bien dans sa manière à la fois dense, sombre et lumineuse comme un Soulages, mais manquant un peu de souffle, et une Sixième un peu plus convaincante mais demeurant en deçà de ce que Berglund avait précédemment montré dans ses trois intégrales des Symphonies (LPO-0065). SC
L’idylle de Biret avec Schumann
Enregistré à Ankara en janvier 2012, ce disque d’Idil Biret (née en 1941) témoigne des remarquables affinités que la pianiste turque entretient avec Schumann. L’élève de Nadia Boulanger y déploie des trésors de richesse sonore, dans des Variations Abegg aux proportions généreuses comme dans une Deuxième Sonate à la pointe un peu sèche mais à la musicalité constante – au bord de la rupture dans un sculptural «So rasch wie möglich». Franche et directe, sans détours ni chichis, Idil Biret livre également une Fantaisie intensément vécue, admirable de prosodie dans le «Durchaus phantastisch und leidenschaftlich vorzutragen», bouillonnante d’émotion dans le «Langsam getragen». Dommage que le deuxième mouvement soit aussi raide et heurté – un défaut qui pointe aussi le bout de son nez dans les deux derniers mouvements de la Sonate, ainsi qu’à la toute fin de la redoutable Toccata, jusqu’alors admirable de vigueur et de délié (et, partout, d’une incontestable musicalité). Un disque édité dans le cadre des Idil Biret Archives... une démarche qui rappelle celle de Cyprien Katsaris (IBA 8.571291). GdH
Lazkano et les craies d’Oteiza
La musique entretient plus souvent des relations avec la littérature et la peinture qu’avec la sculpture, mais l’inspiration que Ramon Lazkano (né en 1968) tire de l’œuvre de Jorge Oteiza (1908-2003) prouve que l’interaction entre les deux disciplines peut également se révéler très puissante. Un film de Francesca Bartellini, Les Laboratoires des craies, montre ainsi comment Lazkano, depuis plus de dix ans, a repris à son compte le «laboratoire des craies» de son aîné et compatriote, petites sculptures tenant dans cette mesure du monde qu’est le creux d’une main: le laboratoire comme lieu d’expérimentation et de recherche, les craies comme miniaturisation des formes. La rencontre est féconde: à ce jour, le «laboratoire» du compositeur basque comprend cinq cycles rassemblant au total seize pièces d’effectif et de durée variables. Les 55 minutes du documentaire demeurent hélas trop souvent en retrait de ce sujet prometteur, se bornant généralement à juxtaposer de façon prévisible différents entretiens avec le compositeur, une musicologue et des spécialistes de l’œuvre du sculpteur: s’ils ne sont certes pas dépourvus d’intérêt, ils sont furtivement agrémentés de paysages de la région, d’aperçus de l’œuvre du sculpteur ou de vues du musée qui lui est dédié. Plutôt que des moments aussi captivants que la livraison et l’installation d’un piano à queue au musée, où le violoncelliste Razvan Suma et le pianiste Josu Okinena vont ensuite répéter en présence de Lazkano, on retiendra en revanche ceux dans lesquels la musique peut enfin s’exprimer, avec l’interprétation par les deux musiciens des deux derniers des trois mouvements formant Wintersonnenwende-2 (2007), ou bien cet extrait d’un reportage où le sculpteur pique une sainte colère pour proclamer que l’art ne l’intéresse pas. Un diaporama reprenant certaines des images du film permet en outre d’entendre in extenso les 2 minutes et 30 secondes du revigorant Wintersonnenwende-1 (2005) pour trio à cordes et célesta (Le Chant du monde LDC 9781154). SC
Viole de gambe et guitare baroque
Viole de gambe (Jonathan Dunford) et guitare baroque (Rob MacKillop): un alliage de timbres rares confidentiel sur le plan auditif et qui peut susciter quelques émotions d’un autre âge, comme un coin de voile levé sur les sonorités d’un passé étranger (en l’occurrence l’Ecosse du XVIIe siècle et son «style sentimental»)... A l’écoute de ces 70 minutes d’arrangements effectués à partir de recueils d’époque, destinés à l’origine soit à la basse de viole soit à la guitare, il est difficile de ne pas éprouver une certaine fatigue, la substance musicale paraissant ténue. Une irréprochable transparence de prise de son ne laisse rien échapper du grincement de l’archet et des attaques d’un jeu de guitare subtilement égrené. Ne manquent que les crépitements d’un feu de cheminée et le bruit de la pluie qui tombe sur les carreaux pour qu’une ambiance à la Vermeer soit joliment recréée. Certains apprécieront sans doute. «Love is the cause»: c’est le titre ambigu de l’objet (Alpha 520). LB
Les 25 ans du Concert Spirituel
Il y a 25 ans, un jeune hurluberlu généralement coiffé d’un bob et habillé de manière excentrique créait avec quelques amis issus des Arts Florissants un orchestre de musique baroque destiné à ressusciter le répertoire du Grand Siècle, Gilles, Campra, Charpentier et Boismortier en tête. Un quart de siècle plus tard, Hervé Niquet et son Concert Spirituel ont gagné leur pari: non seulement ils sont devenus incontournables dans ce paysage pourtant aujourd’hui surpeuplé par des dizaines (voire davantage) d’ensembles similaires, mais ils ont également largement gagné leurs galons de défricheurs en chef du répertoire français. Qui, avant Niquet, donnait et enregistrait Le Carnaval de Venise de Campra, Andromaque de Grétry ou, dernièrement, Sémiramis de Catel? Ce double album, constitué de multiples extraits de disques (au sein de presque une centaine) gravés au fils de ces 25 ans, célèbre avec joie cet anniversaire et la seule lecture des noms de compositeurs, outre ceux déjà cités, laisse facilement percevoir à quel point Hervé Niquet et les siens nous auraient manqué s’ils n’avaient existé. Certes, Purcell et Händel sont là, mais c’est surtout notre répertoire national qui est à l’honneur, servi en toute occasion par un orchestre et un chœur au sommet de leur forme et de leur implication. Le lyrisme du Requiem de Bouteiller nous laisse à peine respirer que nous sommes plongés dans la magnificence de cette Messe de Striggio avant que l’enthousiasme de Boismortier ne nous entraîne sous d’autres cieux. Si l’on parcourt avec distraction les hommages rendus par ses divers amis de toujours pourrait-on dire (Jean-Jacques Aillagon, René Koering, Nicole Bru...), on lira, en revanche, avec une grande attention le texte d’Hervé Niquet lui-même, émouvant et fantasque hommage à sa grand-mère aussi bien qu’aux musiciens qu’il a pu croiser, hommage tout court à l’aventure humaine ainsi dessinée. Evidemment, on espère que l’aventure n’est pas près de s’achever et que l’envie qui le saisit parfois de tout laisser tomber pour aller ouvrir un hôtel à Brive-la-Gaillarde le prendra le plus tard possible (Glossa GCD 921626). SGa
La quatrième étape haydnienne de Bavouzet
Jean-Efflam Bavouzet poursuit chez Chandos son intégrale des Sonates pour clavier de Haydn. Accompagné d’une présentation experte de Marc Vignal et d’une intéressante note d’intention de l’interprète, le quatrième volume comprend trois sonates du début des années 1770 mais aussi les tardives Variations en fa mineur (y compris une première version, un peu plus brève, de la cadence, raturée dans le manuscrit). On ne sera pas surpris de trouver la confirmation des affinités du pianiste, au demeurant superbement servi par la prise de son, avec ce répertoire: droit mais sans raideur, l’esprit toujours en éveil, se mouvant avec aisance dans le style classique tout en se ménageant des espaces de liberté, aussi bien dans les reprises ornementées que dans la citation du premier mouvement du Deuxième Concerto de Beethoven au détour de trois mesures de l’Allegro moderato initial de la célèbre Trente-huitième (en fa) ou dans le choix d’une cadence de Kocsis dans l’Andante central de la Trentième Sonate («Divertimento» en ré) – salut à l’ami hongrois qui, vingt ans plus tôt, avait écrit la notice de son premier disque Haydn. Ce piano concentré sur l’essentiel, séduisant mais jamais décoratif, impressionne peut-être plus encore dans la plus rare et puissante Quarantième (en mi bémol) ainsi que dans les Variations (CHAN 10736). SC
Les pianistes «Honens»: une écurie canadienne
En marge du concours international de piano organisé tous les trois ans à Calgary, Honens édite une série de disques enregistrés par d’anciens lauréats. Primé lors de l’édition 2003, Winston Choi (né en 1977) compose un intelligent album où la seconde série des Images de Debussy est mise en perspective des très rares (et non moins captivants) A la mémoire de Claude Debussy de Florent Schmitt et Roman Sketches de Charles Griffes. Ce dernier – «impressionniste» américain mort en 1920 (à l’âge de 35 ans) – fut influencé à la fois par Debussy et Scriabine – dont Choi exécute la Cinquième Sonate. Hypnotiques, les Métopes de Szymanowski viennent soutenir l’édifice d’un programme d’une belle cohérence, où l’interprétation repose sur une esthétique soignée et unitaire, arrimée à une lenteur souvent contemplative – privilégiant partout la clarté crépusculaire sur l’extraversion sonore... mais souffrant malheureusement d’un manque de densité dans Debussy et Scriabine (200302CD). Deuxième de l’édition 2006, Hinrich Alpers (né en 1981) présente un disque tout entier consacré à des chefs-d’œuvre (surenregistrés) de Schumann... et ne fait guère illusion dans un Carnaval de Vienne scolaire et dans des Scènes d’enfants somnolentes. Esthétisante et ampoulée (à la limite du nombrilisme parfois), la Première Sonate pèche par des tempos erratiques et expose un jeu qui doit encore s’affirmer (200602CD). Honens réédite également les albums enregistrés par les vainqueurs des éditions 2000 et 2006. Minsoo Sohn (né en 1976) interprète avec un bon dosage de sérieux et d’enthousiasme des transcriptions de Liszt, offrant une lecture sobre du Prélude et Fugue en la mineur d’après Bach, mais une exécution plus ardente de l’Adélaïde de Beethoven et – plus encore – des Grandes Etudes d’après Paganini, où sa technique épatante de délié fait merveille. Vives et fougueuses, les Réminiscences de «Don Juan» d’après Mozart confirment que le nom du pianiste coréen est à retenir (200601CD). Katherine Chi – l’aînée de cette écurie de pianistes, première femme et première Canadienne à remporter le concours Honens en 2000 – déçoit franchement dans la Hammerklavier de Beethoven, en raison d’un jeu qui n’est pas à la hauteur de l’enjeu (tout à la fois trop timide, littéral et laborieux – s’égarant même dans la fugue finale). Les Variations sur un thème de Corelli de Rachmaninov se prêtent mieux à ce toucher délicat et sensible... mais bien peu marquant (200001CD). GdH
Slatkin à l’abordage de la capitale des Gaules
L’Orchestre national de Lyon poursuit sa collaboration avec Naxos dans le répertoire français, entamée avec son précédent directeur musical, Jun Märkl, par une importante série Debussy et un album Messiaen. Dès son arrivée à la tête de la formation lyonnaise, au début de la saison passée, Leonard Slatkin a enregistré avec elle un programme Berlioz. Le chef américain se lance à l’abordage de la capitale des Gaules avec une ouverture Le Corsaire pleine de verve et de gaieté, mais les choses se gâtent dans une Symphonie fantastique privilégiant certes la méticulosité et une clarté des lignes toute française, mais, à force de se situer aux antipodes de la démesure et du délire berlioziens, demeurant bien trop sage et éteinte, manquant cruellement d’élan et de tension, particulièrement dans les trois derniers mouvements. Il faut enfin signaler que le disque est complété par la version révisée d’«Un bal», comprenant une partie obligée de cornet (8.572886). SC
Petite anthologie ravélienne
Outre ce qui ressemble tout doucement à une intégrale Debussy chez Timpani, l’Orchestre philharmonique du Luxembourg a enregistré, toujours avec Emmanuel Krivine, une anthologie Ravel chez Zig-Zag Territoires. A quoi bon puisque non seulement les références abondent pour chacune de ces œuvres mais aussi parce que la formation n’a plus à prouver sa valeur dans le répertoire français. Le disque ne comporte que des tubes, exécutés, dans le pire des cas, de façon correcte : Une barque sur l’océan et Pavane sur une infante défunte moyennement convaincants mais Alborada del gracioso plein de couleurs et d’hispanisme (basson idéalement indolent), Valse entraînante puis fracassante comme il se doit, Boléro ramassé (13’50) et fermement rythmé, Shéhérazade sensible et délicatement ouvragée. Valeur sûre de la mélodie française, Karine Deshayes adopte le style approprié et, si la prononciation ne constitue pas son point fort, le timbre est velouté et le chant d’une grande finesse. Le chef obtient à chaque instant une texture aérée, une sonorité attrayante (valorisée par la prise de son) et des solos onctueux. Un produit de qualité qui trouvera son public (ZZT 311). SF
Arabella Steinbacher dans Prokofiev: contrat rempli
Après Dvorák et Szymanowski, puis un excellent disque Bartók, Arabella Steinbacher (née en 1981) poursuit son parcours soliste chez PentaTone classics avec les deux Concertos de Prokofiev. L’archet est toujours haut en couleur, au point de s’autoriser quelques facilités, mais c’est sans doute à peu près tout ce qui peut lui être reproché. L’Orchestre national de Russie, confié à Vasily Petrenko, est également au-dessus de tout soupçon. Chacun donne ainsi l’impression de remplir parfaitement son contrat, mais le problème, justement, est que cela ne va guère au-delà. La violoniste allemande semble en revanche plus impliquée dans le bref complément de programme, la tardive et allègre Sonate pour violon seul (PTC 5186395). SC
Fauré par Le Sage, la suite
L’intégrale de la musique de chambre de Fauré par Eric Le Sage et ses amis chez Alpha se poursuit à bonne allure: quatre mois après la chronique du deuxième volume, voici déjà le suivant qui réunit les Quintettes avec piano. Le pianiste s’associe cette fois avec le Quatuor Ebène qui a enregistré il y a quatre ans le Quatuor du compositeur – le choix de cette formation n’étonne donc pas. Le niveau de l’entreprise reste élevé: inutile de revenir sur le piano impeccable d’Eric Le Sage ni sur la maîtrise et l’engagement du Quatuor Ebène. L’association fonctionne remarquablement et l’écoute de ce disque, rendue agréable par une belle prise de son, permet d’apprécier dans des conditions optimales la splendeur des thèmes, le charme pénétrant et, surtout, la force créatrice de ces deux chefs-d’œuvre. Dans un style irréprochable, cette interprétation parfaitement mesurée possède l’ampleur, la franchise et les couleurs requises. Les longues phrases se déploient avec naturel et le dialogue se déroule dans la plénitude. Quelques traits moins aboutis constituent tout au plus un léger bémol (602). SF
Les violoncellistes du Philhar’
Comme on peut s’en douter, Les Phil’Art’Cellistes ne sont autres que douze violoncellistes du Philharmonique de Radio France qui, en 2005, ont suivi l’exemple de leurs collègues du Philharmonique de Berlin et se sont constitués en ensemble. Pour leur premier disque, huit d’entre eux sont réunis dans un programme qui, s’attachant à mettre en valeur les correspondances entre les arts (danse, théâtre, peinture) et la musique, est presque intégralement consacré à des transcriptions réalisées par deux des membres, Renaud Guieu et Jérôme Pinget, tant il est vrai qu’au-delà de Villa-Lobos, le répertoire original pour ce type de formations demeure assez limité. Seuls les trois mouvements enchaînés de ... del matiz al color... (1999) de Martin Matalon (né en 1958), font exception, dans une grande subtilité d’écriture, tour à tour brillante et contemplative, inspirant le titre de l’album, «De la matière à la couleur». Certaines transcriptions – Prélude du premier acte de Lohengrin, «Nuages» et «Fêtes» des Nocturnes de Debussy – sonnent remarquablement, bien que paraissant pourtant assez improbables sur le papier. Donnant l’impression, sans doute à tort, de constituer des défis moins audacieux, les autres – Deuxième des Danses slaves de l’Opus 72 de Dvorák, Pelléas et Mélisande de Fauré, trois extraits de West Side Story de Bernstein – ne s’écoutent pas moins avec plaisir, plus particulièrement encore le Fauré, interprété avec une belle sensibilité (Saphir LVC 1186). SC
Le bel équilibre d’un programme tout Schönberg
Directeur musical depuis 2010 de l’Orchestre symphonique de la WDR de Cologne, c’est à la tête de cette phalange que Jukka-Pekka Saraste propose une interprétation houleusement rhapsodique, du Pelléas et Mélisande de Schönberg. Saraste favorise l’épanouissement de l’intensité et de la violence des émotions dans un élan continu, une rafale de tourments et d’excès portée sur le souffle de sa direction et appuyée par l’opulence des sonorités orchestrales constamment liées. Malgré les leitmotivs, les émotions réactives prennent le pas sur la caractérisation, alors que la version, peut-être de référence, de Pierre Boulez à la tête de l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler en 2004 enchaîne les onze sections sans en négliger l’articulation ni donc les retournements des climats qui passent d’une fragilité poétique à une violence extrême, son souci de relief instrumental et son contrôle judicieux des puissances sonores tout à fait remarquables. Erwartung, la deuxième pièce du programme, est un excellent choix car, non sans lien avec la densité chromatique de Pelléas, le monodrame vient à un point de bascule dans la carrière du compositeur, déjà riche des Cinq Pièces pour orchestre. Boulez en 1977 en souligne le caractère expressionniste qui touche aux confins de la folie, son orchestre merveilleusement transparent. Sans en atténuer la modernité, Saraste reste plus proche de l’opulence expressive de Pelléas, Jeanne-Michèle Charbonnet plus classiquement lyrique malgré un travail sur la voix vers le cri éperdu. Si les nuances orchestrales restent un régal, la prestation de la soprano se diversifie peu, passant à côté des revirements psychiques d’une hystérique en plein drame (Profil Hänssler PH 12021). CL
Naxos poursuit son cycle Casella
Longtemps oublié, Alfredo Casella (1883-1947) est actuellement choyé par deux éditeurs à la curiosité toujours en éveil, qui consacrent chacun un cycle à son œuvre symphonique: Chandos a confié le sien, qui en est à son deuxième volume, au Philharmonique de la BBC et à Gianandrea Noseda, tandis que Naxos publie déjà son cinquième volume, toujours avec l’Orchestre symphonique de Rome et Francesco La Vecchia (né en 1954), qui en est le directeur artistique et musical depuis sa fondation en 2002. Ce nouvel album revendique trois premières discographiques, ce qui peut surprendre dans la mesure où le Concerto pour orchestre (1937) est sorti chez Chandos au printemps dernier (voir ici), mais de fait, l’enregistrement réalisé pour Naxos, datant de juin 2011, est antérieur de cinq mois. Le moins qu’on puisse dire est que les deux versions désormais disponibles ne se ressemblent pas: La Vecchia se révèle ainsi nettement plus lent (un écart de plus de 5 minutes, portant principalement sur les deux premiers des trois mouvements), au détriment de la Sinfonia initiale, qui paraît dès lors trop pesante, tandis qu’on pourra préférer, dans la Passacaille centrale, son approche plus mahlérienne, annonçant déjà la Troisième Symphonie, face à celle de Noseda, regardant davantage vers Hindemith. Dans l’Hymne conclusif, le mordant et le brio de Noseda font de nouveau la différence. Les deux compléments proviennent de périodes antérieures de la carrière du compositeur. La Suite en ut majeur (1910) remonte même au long séjour parisien du compositeur (1896-1915), ce dont témoigne sa dédicace au pianiste, organiste et compositeur Jean Huré (1877-1930). Si, comme dans les Suites d’Enesco, la référence baroque est affichée dans le titre des mouvements, ce sont davantage des réminiscences postromantiques qui s’imposent, prenant parfois un tour curieusement envahissant, comme le début de la Première Symphonie de Mahler dans l’Ouverture ou l’un des motifs de la Gigue finale, qui évoque le thème initial de la Troisième de Sibelius. Casella se montre en revanche à son meilleur dans la Sarabande centrale et son climat de splendeur désolée (ou de splendide désolation). Tout juste de retour dans son pays natal entré en guerre, il écrit pour les actualités cinématographiques quatre brèves vignettes pour piano à quatre mains illustrant des épisodes du conflit: orchestrées trois ans plus tard et complétées par une cinquième pièce, ces Pages de guerre (1915/1918) marquent un tournant stylistique vers le modernisme. Mais si le dessin implacable de la première pièce («En Belgique: avance de l’artillerie lourde allemande») anticipe de quelques années les Fonderies d’acier de Mossolov, d’autres pièces («En France: devant les ruines de la cathédrale de Reims» ou «En Alsace: croix de bois...») savent aussi toucher par leur émotion sincère (8.573004). SC
Wand dans Schubert: nihil novi
Au fil de sa longue carrière, Günter Wand (1912-2002) a toujours dirigé Schubert. En témoignent ainsi trois intégrales au disque, auxquelles il faut ajouter des enregistrements effectués selon les cas en concert ou en studio à la tête des orchestres de la NDR, du Gürzenich de Cologne, Philharmonique de Berlin ou, comme ici, Philharmonique de Munich. Cette Neuvième n’apporte pas grand-chose au paysage discographique de l’œuvre, pas plus d’ailleurs qu’à la discographie du chef allemand. Cette captation réalisée en concert à Munich le 28 mai 1993 fait entendre un orchestre irréprochable de bout en bout: les solistes (petite harmonie, cors) sont d’une suavité exemplaire, les ensembles de cordes bénéficiant d’une puissance qui n’a d’égale que leur fantastique cohésion (quel pupitre de basses!). La conception de Wand n’est en rien révolutionnaire, qui plus est pour un chef alors âgé de plus de quatre-vingts ans. Les tempi sont retenus mais, contrairement à d’autres qui s’enlisent et qui alourdissent la moindre phrase, le discours avance avec majesté et finesse. Les échanges entre pupitres (dans le premier mouvement) sont très beaux de même, évidemment pourrait-on ajouter, que la poésie du deuxième mouvement. En fin de compte, une très belle version mais qui, dans la discographie de Wand, est éclipsée par sa version superlative – la plus belle de toute la discographie? – à la tête du Philharmonique de Berlin en mars 1995, là aussi en concert (Profil Hänssler PH06014). SGa
«Presto», du baroque au romantisme
«Presto» poursuit une belle carrière hors du petit écran: après deux parutions chez BelAir, la série de vignettes de 2 minutes à 2 minutes 30 chacune conçue pour la télévision et présentée par Pierre Charvet a rejoint un autre éditeur, Wahoo, qui publie un deuxième volume de ces (très) courts métrages. Si le premier volume commençait en 1850, celui-ci explore la période qui précède – vaste période, de Lully à Chopin, en quinze épisodes et douze compositeurs (Bach, Mozart et Vivaldi apparaissent chacun deux fois). Le propos n’a pas changé: les œuvres, connues voire très connues, appartiennent souvent au répertoire orchestral, car François-Xavier Roth et Les Siècles, formation polyvalente s’il en est, demeurent les fidèles partenaires de cette collection. Ils s’associent cependant à des chanteurs (Haendel, Mozart) et laissent même la place, pour trois de ces émissions, à Shani Diluka (Beethoven, Chopin) ou au Trio Wanderer (Schubert). Les textes clairs et pertinents de Pierre Charvet, la caméra dynamique et plaisante d’Olivier Simonnet mais aussi le graphisme ludique et tendre des animations de Grégoire Pont contribuent à faire de ce DVD un excellent outil pédagogique, d’autant qu’il recèle davantage que ces quinze petits films: en audio, l’intégralité des morceaux – aucun ne peut en effet être filmé en entier, compte tenu du format de ce programme – mais aussi, en plus de la traditionnelle notice, des fiches au format pdf réalisées sous l’égide du Centre national de documentation pédagogique (CNDP), qui n’étant évidemment pas destinées au seul usage scolaire, pourront également satisfaire la curiosité des adultes (WAH003). SC
Dominique Visse chante Dowland
Les Lute Songs de Dowland étaient destinées à l’intimité d’un petit salon et c’est dans cet esprit qu’Eric Bellocq accompagnait Damien Guillon chez Zig-Zag Territoires dans un programme bien réussi. Toutefois, Dowland composait ses ayres comme les consort songs d’un Byrd – une ligne soliste élevée avec accompagnement polyphonique – et, lors de la publication de ses trois Bookes of Songs or Ayres, il ouvrit la possibilité d’accompagnement au-delà du luth seul jusqu’au consort de violes à quatre parties, avec luth ou orpharion. C’est ainsi que le contre-ténor Dominique Visse et Eric Bellocq au luth (cordes en boyau) ou à l’orpharion (cordes métalliques) selon la couleur recherchée, obtiennent la collaboration enthousiaste du consort de violes londonien Fretwork pour présenter, sous le titre «Tunes of Sad Despaire», les airs bien connus sous cette forme plus pleine. L’audace est d’adjoindre une voix de basse (le velours de Renaud Delaigue) à trois «incontournables» du compositeur, If my complaints, Flow my teares et Come, heavy sleepe, en contrepoint du consort et en appui à un faux air de continuo, aussi étranger à Dowland que le tremblement vocal qui orne la conclusion du vif Fine Knacks. Deux pavanes, la seconde à diminutions, et trois airs confiés aux instruments seuls s’intercalent agréablement entre les douze airs interprétés par un Dominique Visse assagi, la voix peu vibrée, le timbre aux graves soyeux parfois acide dans l’aigu ou lors de tenuto, plus à l’aise lors de la vivacité de Fine Knacks ou d’Away with these silie lads, son accent sans doute une tentative de reconstruction d’accent élisabéthain. On peut préférer le Dowland intime mais cet éclairage différent ne manque pas d’intérêt (Satirino SR121). CL
Cuivres français à la russe
Sis à Saint-Louis (Haut-Rhin), le Grand ensemble de cuivres d’Alsace (GECA) fête son vingtième anniversaire avec la parution chez Animato d’un disque intitulé «Russie éternelle». L’ensemble, qui compte notamment dans ses rangs Philippe Litzler, ancien trompettiste solo du National et actuel titulaire de la fonction à la Tonhalle de Zurich, y interprète des arrangements réalisés par son directeur artistique et chef, Miguel Etchegoncelay, et son premier corniste, Jean-François Taillard, par ailleurs soliste du Symphonique de Bâle. Les seize cuivres et cinq percussionnistes s’attaquent avec une franchise et une virtuosité d’excellent aloi aux pages les plus célèbres de Tchaïkovski (Capriccio italien, 1812, trois danses extraites d’Eugène Onéguine) et Borodine («Danses polovtsiennes» du Prince Igor), mais offrent aussi deux pièces moins attendues de Stravinski (Circus Polka) et Chostakovitch (Danses folkloriques, en fait l’adaptation d’une «Danse de la jeunesse» extraite de la Suite Leningrad natale, elle-même tirée d’une musique de scène écrite en 1943). Même si les arrangements ne sont nullement en cause, on est en droit de préférer les versions orchestrales originales, mais on a le devoir de saluer l’agilité, la musicalité et l’enthousiasme des musiciens ludoviciens (ACD6133). SC
La somme schubertienne de Michael Endres à petit prix
Pour une vingtaine d’euros, l’éditeur autrichien Capriccio met sur le marché une séduisante anthologie en dix disques de la musique pour piano de Schubert, réunissant l’intégrale des Sonates et des Danses. Par ces dernières, il faut entendre non seulement les diverses Deutsche Tänze et Originaltänze, mais également l’ensemble des Valses, Ecossaises, Menuets, Trios, Ländler et autres Variations écrits par Schubert (... il y a fort à parier que beaucoup découvriront le Cotillon, D. 976 ou le Grazer Galopp, D. 925!). Ensemble de pièces d’importance inégale, cette somme est composée d’enregistrements réalisés entre 1993 et 1997 par le pianiste allemand Michael Endres (né en 1961) et bénéficiant d’une réédition soignée. Choix judicieux tant l’éminent schubertien maîtrise son propos et donne son unité à ce corpus pianistique. L’interprétation est tout entière placée sous le signe de la tendresse et de la danse. Même les dernières sonates sourient avec candeur et espérance – plongées dans la lumière plutôt que tournées vers la mort. Justesse des climats, maîtrise des dynamiques, subtil équilibre entre la sérénité et la profondeur, partout Endres attise le feu sous la glace – situant le musique de Schubert à sa juste échelle: celle de l’humain. Si la dimension métaphysique s’approfondira ailleurs, cette réédition n’en constitue pas moins un premier choix (C7125). GdH
Peter Breiner orchestre les Préludes de Debussy
L’intégrale de l’œuvre symphonique de Debussy éditée chez Naxos sous la direction de Jun Märkl bifurque: remplacé par Leonard Slatkin à tête de l’Orchestre national de Lyon, le chef allemand dirige cette fois-ci l’Orchestre royal national d’Ecosse, rompu à la musique française durant le mandat tout juste achevé de Stéphane Denève, ce dont témoigne notamment un remarquable cycle consacré à Roussel. Surtout, ce n’est plus d’œuvres originales de Debussy qu’il est question dans ce huitième volume, mais d’orchestrations: orchestré, il l’a certes été à de nombreuses reprises, parfois même de son vivant, par Ansermet, Büsser, Caplet, Koechlin, Ravel, Roger-Ducasse ou Satie, mais l’entreprise est ici de taille, puisqu’il s’agit de l’intégralité des deux Livres de Préludes. Le compositeur, pianiste et chef slovaque (mais résident new-yorkais) Peter Breiner (né en 1957), auteur de nombreux arrangements et orchestrations (dont la énième des Tableaux d’une exposition) mais sur lequel la notice juge bon de garder le silence, sinon pour affirmer un peu imprudemment que les Préludes, grâce à lui, seraient devenus «maintenant un joyau orchestral», s’attaque ainsi à forte partie. Non pas tellement parce qu’il ne serait pas le premier – puisque Colin Matthews a achevé en 2006 le même travail (qu’il présente quant à lui dans un ordre différent de celui retenu par les deux recueils) et qu’il existe par ailleurs des orchestrations isolées de certaines de ces vingt-quatre pièces (entre autres «La Puerta del Vino» par Büsser, «Bruyères» par Grainger, «La Cathédrale engloutie» par Stokowski et même, plus récemment, une série de cinq d’entre elles par Hans Zender) – mais parce que dans un tel recueil, pour lequel le compositeur a soigneusement pris la précaution de placer les titres entre parenthèses, précédés de points de suspension, qui plus est non pas au début mais à la fin de chaque pièce, le risque est grand d’expliciter trivialement le propos. Breiner tombe hélas dans le piège: s’il n’est pas nécessairement fondé de lui reprocher de ne pas être idiomatique – Stokowski et Zender ne le sont guère non plus – il a eu la main lourde, privilégiant des textures épaisses et grasses. Passe encore qu’on pense à Puccini («La Cathédrale engloutie») ou à Respighi («Bruyères»), mais le style, parfois hollywoodien («Feux d’artifice») voire complètement hors de propos («Ce qu’a vu le vent d’ouest»), reste irrévocablement à la surface des choses. Voilà un album qui ne trouvera même pas sa place sur l’étagère des curiosités de cette «année Debussy» (8.572584). SC
Les Trios avec piano de Chaminade
Cécile Chaminade (1857-1944): les Anglais en sont toujours aussi fous, paraît-il. Le pianiste Eric Parkin ou la chanteuse Anne Sofie von Otter ont déjà consacré de jolis disques à cette compositrice française spécialisée dans des petites formes où l’idée mélodique prend souvent des allures très attachantes. Ici, toutefois, c’est quand même de grandes architectures qu’il devrait être question, dans ces deux Trios avec piano de dimensions conséquentes. Et malheureusement la plume semble tirer davantage à la ligne. L’inspiration est présente mais quand il s’agit de développer, d’unifier, bref de convaincre que l’on fait de la vraie musique de chambre sur le terrain des grands... il ne se passe plus grand-chose et on passe simplement au mouvement suivant. La jeunesse de l’auteur au moment de ces essais explique peut-être la relative insignifiance de ces pages. Cela dit l’écoute reste constamment agréable, grâce aussi au talent d’interprètes féminines sans reproche, le Trio KMW (dB Productions dBCD 149). LB
McGegan, donneur de Sérénades brahmsiennes
Premières pages destinées par le jeune Brahms à l’orchestre seul, plus de quinze ans avant sa Première Symphonie, ses deux Sérénades, nonobstant leur séduction et leurs qualités, n’ont guère la faveur du concert ou du disque. Leur inspiration XVIIIe contribue à justifier le recours à un effectif formé majoritairement (de copies ou) d’instruments d’époque, mais le Philharmonia Baroque Orchestra et son directeur musical, Nicholas McGegan, convainquent moins que dans leur récent album consacré à Haydn, également enregistré en public et publié sous leur propre étiquette. Les mouvements vifs divertissent toujours autant par leur élan et leur mordant, mais les teintes de l’orchestre réservent parfois des surprises peu agréables et, tout particulièrement dans la Première, captée deux ans plus tôt que la Seconde, quelques affèteries, dont une tendance excessive des cordes au portamento, finissent par agacer. Le minutage est certes généreux mais Abbado (DG) dans la Première comme Casals (Sony) dans la Seconde ne sont pas menacés (PBP-05). SC
Eötvös entre création et interprétation
A la suite de sa thèse de doctorat Peter Eötvös, le passeur d’un savoir renouvelé. Pour une archéologie de la composition ou 10 ans d’opéra, soutenue à Paris 4, Aurore Rivals, dans Entretiens autour des cinq premiers opéras de Peter Eötvös se tourne de nouveau vers le compositeur pour livrer les fruits d’une série d’entretiens généreusement révélateurs menés principalement en 2009 auprès de Peter Eötvös lui-même et de certains des interprètes. Les entretiens avec Eötvös ne concernent pas tant l’écriture que la réalité des circonstances qui imposent telle décision ou telle prise de position au compositeur parfois contre sa volonté première, que ce soit au niveau du texte, des interprètes ou la durée même de l’œuvre. L’importance accordée à la musique de la langue et au timbre de la voix s’avère déterminante. La jeune musicologue donne une certaine unité à son ouvrage par quelques questions systématiquement posées à tous les interprètes, sa richesse relevant des éclairages multiples des réponses nuancées et personnelles à chaque fois différentes. Une question récurrente concerne l’accessibilité d’un opéra à un public ne sachant rien par avance du livret ou de la pièce ou du roman qui l’aurait inspiré. Une question analogue se pose au sujet de cet ouvrage. Est-il nécessaire de connaître les opéras de Peter Eötvös – pour mémoire, Trois Sœurs, Le Balcon, Angels in America, Love and Other Demons et Lady Sarashina – pour s’y intéresser et pour y puiser un enrichissement? Non. Bien que les connaître le rende plus passionnant en soi et peut-être plus significatif encore, l’intelligence privilégiée qu’il donne des approches, des renoncements, des aléas et de la nature des décisions entourant l’acte créateur que ce soit celui du compositeur ou de l’interprète le porte bien au-delà de la problématique d’un opéra précis (Aedam Musicae AEM-107). CL
Nielsen de retour à New York
Alan Gilbert marche sur les pas de Bernstein, l’un de ses prédécesseurs au Philharmonique de New York, avec lequel il avait enregistré trois des six Symphonies de Nielsen (Sony). L’intérêt de l’actuel directeur musical pour le compositeur danois n’est pas nouveau – on se souvient peut-être encore de sa Quatrième «L’Inextinguible» à Radio France avec le Philhar’ en janvier 2003. Dans ce qui ressemble beaucoup au début d’une intégrale, Dacapo publie les deux symphonies précédentes, enregistrées en concert début 2011 et en juin 2012 au Lincoln Centre, un lieu où, contrairement à d’autres, l’on n’a visiblement pas peur de programmer cette musique trois soirs de suite. Gilbert possède certes une personnalité moins flamboyante que Bernstein, et son orchestre est moins rugueux que certaines références scandinaves dans ce répertoire – Schmidt (Unicorn), Blomstedt (Decca), Vänskä (Bis), Schønwandt (Dacapo). Mais son approche sérieuse et équilibrée, pas très éloignée de celle de Colin Davis dans son intégrale voir chez LSO Live en ce qu’elle met en valeur des affinités autant avec Sibelius qu’avec Elgar ou Vaughan Williams, a ses mérites, peut-être moins dans la Deuxième «Les Quatre Tempéraments», qui manque un peu de caractère, que dans la Troisième «Sinfonia espansiva», à la sonorité soignée, tout en rondeur, presque suave, avec son Andante pastorale bien chanté par Erin Morley et Joshua Hopkins (6.220623). SC
La rédaction de ConcertoNet
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