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Sacrum Profanum: La Pologne à l’avant-garde
09/23/2012



(© Wojciech Wandzel)


Steve Reich, un des artistes de l’édition du Sacrum Profanum 2011, reçoit un coup de téléphone sur son portable. «Je suis au festival le plus important du monde», répond Reich à une question posée par son interlocuteur. «Mais où es-tu ?», lui demande-t-on apparemment: «à Londres, à Darmstadt... ?». «Non, je suis à Cracovie». C’est Izabela Helbin, responsable de l’organisation du Festival Sacrum Profanum de Cracovie, qui nous raconte cela et ils sont légitimement fiers à Cracovie. Cela fera partie de la légende d’un festival de musique de notre temps où les époques se mêlent avec les sensibilités les plus différentes, mais sans contrainte.



Le Festival Sacrum Profanum prend son origine dans les célébrations de Cracovie en tant que capitale culturelle de l’Europe, en 2000, en même temps que d’autres villes historiques du continent. Les organisateurs voulaient poursuivre l’effort déployé pendant cette année magique, continuer la recherche d’un public différent mais aussi plus large, plus nombreux, de tous les âges et de tous les temps. Ainsi, le Festival Beethoven (dirigé par Mme Elzbieta Penderecka) est passé de Cracovie à Varsovie, et la ville de Wisława Szymborska a créé deux festivals de musiques apparemment opposées mais complémentaires, deux festivals-frères : Misteria Paschalis (musique ancienne, Renaissance, Baroque, instruments originaux) et Sacrum Profanum (contemporaine, fusion, rencontre créative du pop, de l’électroacoustique, des dernières tendances, l’avant-garde, et des classiques du XXe siècle…).



Sacrum Profanum en est à sa dixième édition cet été 2012, et depuis le début, en 2003, ses « folles journées » ont une véritable vocation pédagogique. La dénomination Sacrum Profanum suggère la fraternité, ou la coexistence de la musique spirituelle (chorale, au moins) et la musique profane (pas moins spirituelle, en principe). Il y avait, nous dit-on, une hégémonie de la musique populaire, électroacoustique, mais elle cède au fur et à mesure des différentes éditions. On a pu se rendre compte de ce phénomène, de fusion, de mélange, de discours mutuel, paraphrase créative de ces deux univers musicaux aux sensibilités propres à chacun, mais avec pour double objectif la création artistique et le public.



Mais le volontarisme ne suffit pas. Il faut aussi un financement. À la mairie de Cracovie, on trouve déjà une espèce de «tradition naissante » qui a pour vocation de soutenir les deux festivals. Les conseillers municipaux se passent le relais mais également la consigne: encourager cette créativité afin de maintenir la légitimité de Cracovie comme capitale culturelle de la Pologne, et en dépit d’éventuels changements politiques dans la composition des majorités. La Mairie subventionne pour plus de la moitié, le Ministère de la culture polonais à environ 20 %, le reste est apporté le mécénat et le parrainage.



Chaque édition du Sacrum Profanum a un thème central : un pays et une culture musicale nationale précise. En 2011 ce furent les Etats-Unis ; en 2010, l’Islande. En 2012 on a considéré qu’il était juste de mettre en valeur ses propres apports nationaux : les Polonais jeunes, et les moins jeunes, certainement, mais aussi les grands noms polonais : Lutoslawski, dont le centenaire sera célébré en 2014, ainsi que les compositeurs de la « génération résistante », qui ont aujourd’hui presque l’âge des avant-gardistes de l’Ouest : Krzysztof Penderecki (1933), Wojciech Kilar (1932), Henryk Górecki (1932-2010).


Nous n’avons pas tout vu, tant s’en faut : on a malheureusement manqué un concert monographique du jeune et très important compositeur polonais Marcin Stanczyk, celui de la jeune musicienne Agata Zubel ainsi que la version du Roi Lear de Shakespeare par Pawel Mykietyn. Fort heureusement, on a assisté à trois événements mémorables les 14, 15, et 16 septembre.



Le théâtre Laznia Nowa, dans la périphérie de Cracovie, est un espace trop vaste pour la musique de chambre, mais c’est justement là où on voit se déployer, entre autres, une des caractéristiques de ces concerts cracoviens : l’amplification du son présupposée nécessaire. Le jeudi 14, au Laznia Nowa, le jeune compositeur Slawomir Kupczak proposait quatre pièces : Anaphora VI, Analogya 1, Res Facta et Report, des titres rappelant ceux de la génération de l’avant-garde, et plus particulièrement Xenakis). C’est Kupczak lui-même qui dirigeait en alternance depuis le synthétiseur, l’ordinateur, ou le theremin cette symbiose de sons électroniques, d’éléments préenregistrés, et tout cela soutenait, ou motivait, faisant même semblant de provoquer le discours du magnifique Ensemble Cikada (quintet pour cordes, flûte-piccolo, clarinette-clarinette basse, piano, percussion). Tout était présent, comme une avance sur les concerts des jours suivants, autour ou au dessus du son amplifié : l’écran, les lumières, les projecteurs, certains éléments aléatoires, les séquences ad libitum, la volonté de fasciner, voire même d’hypnotiser. Les séquences aléatoires étaient parfois un peu trop dilatées, comme à la fin de la dernière pièce, avec sa petite provocation, provocation innocente, certes, mais qui rallongeait un peu trop une soirée jusqu’alors équilibrée. Peut-être s’agissait-il précisément de « déséquilibrer » en s’éloignant autant que possible de la structure du concert traditionnel?



Il semblerait que ces concerts ne s’adressent pas à l’intellect, ni au sentiment. Le maître-mot ici, on l’a dit, c’est la fascination. Et surtout ne pas contredire l’ensorcèlement sous peine de rester en marge de la foule. Ces foules-là sont différentes des concerts rocks traditionnels. Il s’agit de quelque chose de plus raffiné, de plus subtil où l’ivresse, parfois forte, fait partie du jeu. Les concerts des 15 et 16 en offraient la preuve.


Le concert central du Sacrum Profanum 2012 était celui des Icônes polonaises, un spectacle frappant où plusieurs propositions électroacoustiques ainsi que des manipulations sonores préenregistrées « commentaient » les quatre grands noms de la musique polonaise dont il était question plus haut. Penderecki était là, regardant le Quatuor Kronos jouer son Quatuor à cordes avec les musiciens, le dos au public, lisant la partition à quatre voix qui parcourait le grand écran). Une ovation méritée.



Le concert se déroulait dans l’usine d’Arcelor-Mittal cédée au festival pour quelques jours et située dans l’ancienne ville de Nowa Huta (aujourd’hui le grand district XVIIIe de Cracovie), lointaine utopie urbanistique témoin d’une industrialisation polluante née pendant la période d’obédience communiste.



La partition du quatuor de Penderecki affichée à l’écran nous préparait déjà au rôle principal tenu par l’image. Le Kronos, l’un des grand protagonistes du festival, définissait en quelque sorte le concept: une œuvre revisitée par les interprètes qui y rajoutent leurs variations, leurs gloses, les récréations, les ostinati, des sons de type DJ. Echos d’une proposition inopinée et non prévue dans l’original, où vient se greffer tout l’art sonore de groupes comme Skalpel, deux musiciens de l’électroacoustique, comme King Cannibal (qui définit ses performances musicales comme des «créations luxueuses et brutales »), comme les formidables Grasscut, ou encore des DJ virtuoses du son électronique comme DJ Food ou DJ Vadim.


Le groupe islandais Sigur Ros était à l’affiche des deux derniers concerts du Sacrum Profanum : amplification élargie du son, lumières, couleurs vives, fumées, vapeur sur la voix haute, aiguë, magique de Jon Por Birgisson soutenue par de nombreux instruments : guitares électriques, des claviers, des percussions, quelques cordes (trois), quelques cuivres (trois, également). Tout cela n’était pas sans rappeler certains groupes des années 70, comme Pink Floyd. La veille Kronos proposait la partition, l’œuvre du maître. Aujourd’hui Kronos commence son spectacle par la déclinaison du « chant », des thèmes typiques de Sigur Ros... Et ce dernier continue le concert, en crescendo, jusqu’à l’apothéose. Les deux concerts, joués à guichets fermés devant un public jeune, enthousiaste, et pas encore blasé, ont été salués par grand succès, mais, rappelons-le, nous ne sommes pas dans l’ambiance des concerts rocks, malgré une apparente ressemblance. Oui, il s’agit bien de « public » que les organisateurs et programmeurs de ce festival ont pour cible. Sans doute peut-on dire que ces trois concerts inouïs illustrent les trois aspects d’un même phénomène, et Sacrum Profanum, offre une synthèse de son essence.



Le site du Festival Sacrum Profanum


Santiago Martín Bermúdez

 

 

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