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Le soixante-quinzième anniversaire de Tanglewood 08/27/2012
Pour fêter son soixante-quinzième anniversaire, le festival de Tanglewood est allé puiser dans ses archives pour mettre en ligne sur son site une mine de documents retraçant son histoire.
Ces publications sont des enregistrements radiophoniques. Les amateurs de très haute fidélité risqueront d’être déçus par les bruits de fond inhérents à toute prise de concert tandis que les puristes regretteront que le public applaudisse parfois entre les mouvements ou manifeste trop bruyamment sa présence; enfin, les pédants regretteront que L’Histoire du soldat devienne A soldier’s tale et que de nombreux chanteurs n’aient qu’un français approximatif dans les œuvres de Berlioz.
Ils auraient bien tort car ces documents nous permettent d’apprécier une pléiade d’artistes qui représentent très probablement une certaine aristocratie musicale issue de la Nouvelle Angleterre sous l’impulsion de Serge Koussevitzky et qui s’est prolongée sous la houlette de Charles Munch, Seiji Ozawa, Bernard Haitink et James Levine.
Parmi la quantité de documents, Koussevitzky est présent par la Vingt-cinquième Symphonie de Mozart, une œuvre où on ne l’attendait pas. Le style a beaucoup évolué depuis ce concert de 1944 et on peut y regretter certaines lourdeurs mais au moins son Mozart est-il dramatique à des années-lumière du style viennois bien confortable de l’époque. Toujours chez Mozart, la Symphonie concertante pour violon et alto dirigée par Charles Munch est elle aussi anachronique mais c’est une bien belle surprise que d’entendre le «grand Charles» dans du Bach accompagner dans le Concerto pour deux claviers en ut mineur avec Lukas Foss et Seymour Lipkin avec autorité et en soignant l’articulation. La Deuxième Suite pour orchestre souffre quant à elle d’une mise en place un peu incertaine. La tradition berliozienne établie par Munch se retrouve dans une Damnation de Faust de haut vol et surtout dans Béatrice et Bénédict dirigé avec distinction et subtilité par un Ozawa très inspiré et avec une Béatrice de rêve en la personne de Frederica von Stade.
De nombreux compositeurs américains sont passés par Tanglewood. Il y a des trouvailles à ne pas manquer dans les œuvres présentées: l’opéra de 10 minutes Introductions and Goodbyes de Lukas Foss est pétillant, Aaron Copland y dirige El Salón México et son Concerto pour clarinette, pleins d’énergie, et le BSO a aucun problème à trouver cette couleur orchestrale si particulière aux compositeurs américains. Leonard Bernstein, qui dirigea son dernier concert à Tanglewood, est présent via le Divertimento pour cordes et de si émouvantes Danses symphonique de «West Side Story». C’est Bernstein lui-même qui a créé à Tanglewood la Turangalîla-Symphonie de Messiaen. Seiji Ozawa en a fait un de ses chevaux de bataille et c’est plus que normal que de le retrouver avec aux piano et ondes Martenot respectivement Yvonne et Jeanne Loriod. Ozawa est également présent en tant qu’accompagnateur de Rudolf Serkin avec qui il a beaucoup travaillé dans un Premier Concerto de Mendelssohn tout simplement sublime qui nous rappelle l’autorité dont faisait preuve le pianiste dans le répertoire allemand.
La musique contemporaine a été finalement bien représentée à Tanglewood. Berio y dirige lui-même une Sinfonia lumineuse et très équilibrée (mais de façon inhabituelle, n’a pas droit au «Thank you, Mr. Berio» à la fin du troisième mouvement). La Troisième Symphonie d’Oliver Knussen est une œuvre forte et dramatique qui devrait être programmée avec régularité.
Les documents récents bénéficient d’une meilleure qualité sonore et les présentations des speakers de la radio n’ont pas été conservées ce qui, en fin de compte, s’avère une bonne idée lors d’écoutes répétées. C’est Bernard Haitink qui a assuré la permanence du BSO entre les ères Ozawa et Levine. Il s’avère un accompagnateur attentif d’Emanuel Ax dans le Concerto «Jeunehomme» de Mozart mais c’est surtout sa lecture classique et attentive de la Troisième Symphonie de Roussel (encore une commande de Koussevitzky) qui mérite de figurer parmi les enregistrements de référence de cette œuvre.
James Levine est également présent dans une Symphonie des Mille de très haute tenue avec un plateau vocal des habitués du Met. Mais le sommet reste la Huitième Symphonie de Dvorák, où Levine dirige non pas le BSO mais le cru 2008 du Tanglewood Music Center Orchestra, un orchestre formé chaque année de jeunes instrumentistes. Très inspirés par sa baguette, les musiciens trouvent de belles couleurs. Les cordes sont pleines de douceur et de noblesse et les pupitres s’équilibrent avec naturel (il s’agit d’une prise de concert, il n’y a ni reprises, ni «aide» possible d’ingénieurs du son...). Le délicat Molto vivace dramatique qui conclut le troisième mouvement est particulièrement somptueux et d’une mise en place impeccable.
Avec de tels musiciens, la relève des instrumentistes des orchestres américains ne devrait pas poser de problèmes et Tanglewood pourra sans mal célébrer avec panache ses futurs anniversaires.
Liste des enregistrements susmentionnés (sauf indication contraire, l’orchestre est le Symphonique de Boston):
Wolfgang Amadeus Mozart: Symphonie n° 25, K.183, Serge Koussevitzky (direction), Theatre-Concert Hall, 5 août 1944; Symphonie concertante pour violon et alto, K.364 , Charles Munch (direction), Ruth Posselt (violon), Joseph de Pasquale (alto) Koussevitzky Music Shed, 11 juillet 1958); Concerto pour piano n° 9, K. 271 «Jeunehomme», Bernard Haitink (direction), Emanuel Ax (piano), Koussevitzky Music Shed, 25 août 1996.
Johann Sebastian Bach: Concerto pour deux claviers, BWV 1060 , Charles Munch (direction), Lukas Foss & Seymour Lipkin (piano), Theatre-Concert Hall, 5 juillet 1957; Suite n° 2, BWV 1067, Charles Munch (direction), Doriot Anthony Dwyer (flûte), Theatre-Concert Hall, 8 juillet 1955.
Luciano Berio: Sinfonia, Luciano Berio (direction), The New Swingle Singers, Koussevitzky Music Shed, 22 août 1982.
Oliver Knussen: Symphonie n° 3, Tanglewood Music Center Orchestra, Gunther Schuller (direction), Theatre-Concert Hall, 5 août 1981.
Leonard Bernstein: Danses symphoniques de «West Side Story»; Divertimento, Leonard Bernstein (direction), Koussevitzky Music Shed, 4 juillet 1981.
Antonín Dvorák: Symphonie n° 8, opus 88, Tanglewood Music Center Orchestra, James Levine (direction), Seiji Ozawa Hall, 30 juin 2008.
Felix Mendelssohn: Concerto pour piano n° 1, opus 25, Seiji Ozawa (direction), Rudolf Serkin (piano), Koussevitzky Music Shed, 18 juillet 1975.
Hector Berlioz: La Damnation de Faust, Charles Munch (direction), Eleanor Steber (Marguerite), John McCollum (Faust), Martial Singher (Méphistophélès), David Laurent (Brander), Festival Chorus, Koussevitzky Music Shed, 14 août 1960); Béatrice et Bénédict, Seiji Ozawa (direction), Frederica von Stade, Jon Garrison, Sylvia McNair, Janice Taylor, David Parsons, John Ostendorf, Italo Tajo, William Young, Tanglewood Festival Chorus and Tanglewood Choir, John Oliver (chef de chœur), Koussevitzky Music Shed, 4 août 1984).
Lukas Foss: Introductions and Good-Byes, Fellows of the Tanglewood Music Center, Stefan Asbury (direction), Michael McGee (baryton), Matthew Anderson, Rosa Betancourt, Steven Ebel, Rachel Hauge, Alex Lawrence, Saul Nache, Olenka Slywynska, Christin Wisman (chœur), Seiji Ozawa Hall, 20 juillet 2009.
Albert Roussel: Symphonie n° 3, opus 42, Bernard Haitink (direction), Koussevitzky Music Shed, 8 juillet 2006.
Aaron Copland: El Salón México; Concerto pour clarinette, Aaron Copland (direction), Harold Wright (clarinette), Koussevitzky Music Shed, 5 juillet 1980.
Olivier Messiaen: Turangalîla-Symphonie , Seiji Ozawa (direction), Yvonne Loriod (piano), Jeanne Loriod (ondes Martenot), Koussevitzky Music Shed, 16 août 1975.
Gustav Mahler: Symphonie n° 8, James Levine (direction), Susan Neves, Deborah Voigt, Heidi Grant Murphy, Yvonne Naef, Jane Henschel, Johan Botha, Eike Wilm Schulte, John Relyea, Tanglewood Festival Chorus, The American Boychoir, Koussevitzky Music Shed, 8 juillet 2005).
Antoine Leboyer
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