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Un mois dans la vie d’un mélomane 05/01/2012
Pleyel fut le théâtre de l’événement du mois d’avril. L’intégrale des Symphonies de Brahms par l’Orchestre philharmonique de Radio France avec Gustavo Dudamel. Lui, avec une gestuelle plus contrôlée qu’à son habitude mais plus concentrée, la maturité en devenir. L’orchestre, au mieux de sa forme rappelant le temps de la Tétralogie avec Janowski. Brahms comme on a envie de l’entendre avec un sommet pour la Quatrième et un sommet de sommet dans la Passacaille, son dernier mouvement. Je ne peux pas oublier le peu de connaissance de Brahms à Paris quand j’y suis arrivé en 1950, en pleine passion brahmsienne. Heureusement que Aimez-vous Brahms? de Sagan et le film qui a suivi ont contribué à changer complètement la donne.
Toujours à Pleyel, la Passion selon saint Matthieu avec Les Musiciens du Louvre-Grenoble et Marc Minkowski, le jour de Pâques. Toujours aussi beau et aussi émouvant, même pour des oreilles non chrétiennes. Nathalie Stutzmann pour «Erbarme dich» bouleversante. Un vrai alto comme on en trouve peu. Etrange que les deux airs les plus beaux de Bach, celui-ci et l’«Agnus Dei» de la Messe en si, sont écrits pour une voix d’alto. Cela me fait penser à Erda du Ring, encore la voix féminine basse, la voix maternelle.
Mois riche au Théâtre des Champs-Elysées. A commencer par Michel Portal et le Quatuor Pavel Haas dans le Quatuor «Américain» de Dvorák et le Quintette avec clarinette de Brahms aux Concerts du dimanche matin de Jeanine Roze. Une heure bénie, la salle archipleine et les musiciens parfaits. Quelle plus belle manière de passer son dimanche matin en attendant le repas dominical?
La Didone de Cavalli avec William Christie et Les Arts Florissants. Si l’on dit en allemand «Ende gut, alles gut», je pourrais paraphraser: «Ende schlecht, alles schlecht», car tout se passe très bien jusqu’à la fin où brusquement Didon, qui se suicide chez Virgile, chez Purcell ou chez Berlioz, point culminant dans la tragédie que nous connaissons, décide de se marier avec Iarbas qui la fatiguait jusque là par ses assiduités. Quelle chute! Du coup, il me vient l’idée d’écrire un vaudeville sur le mariage de ces deux-là avec scènes de ménage et probablement un divorce. Dommage! J’aime tant la Mort de Didon de Purcell!
Anne-Sophie Mutter interprète d’une façon magistrale le Concerto de Dvorák avec le National et Kurt Masur. Pourquoi ne joue-t-on pas ce concerto plus souvent? Ce n’est sûrement pas à cause des difficultés techniques qui ne font plus peur à la jeune génération des violonistes. Il est beau et riche et Mutter le joue avec fougue quand il le faut et tendresse quand il le faut.
Toujours au Théâtre des Champs Elysées, La Walkyrie par l’Opéra d’Etat de Bavière qui nous a offerts un Parsifal inoubliable l’année dernière. Presqu’aussi bien, mais il y a un défaut. Des quatre éléments qui font la musique, la hauteur, le rythme, la dynamique et le timbre, le dernier est loin d’être le moins important. Le timbre de Siegmund, Lance Ryan, n’est pas beau, légèrement rétro nasal. Quel dommage. Nina Stemme magnifique en Brünnhilde et Kent Nagano, un parfait wagnérien.
A Gaveau pour la grande soirée Ivry Gitlis organisée par «Inspiration(s)» dont il est le président d’honneur. Bientôt nonagénaire, il est toujours jeune et en forme. Une soirée chaude et longue (pas encore finie à 1 heure 30). Maxim Vengerov, Akiko Suwanai, Priya Mitchell, Martha Argerich, Itamar Golan et beaucoup d’autres. Un merveilleux moment avec le Concerto pour quatre violons de Vivaldi, joué et bissé par Gitlis, Vengerov, Suwanai et Mitchell. On lui souhaite encore beaucoup d’années et beaucoup de musique. Puis-je oublier avoir été là, à Gaveau, en 1951, à son fameux récital après le concours Jacques Thibaud, où il a si merveilleusement interprété la Sonate pour violon seul de Bartók? Puis-je oublier le jour où il m’a aidé à choisir mon violon chez Vatelot?
Restons au violon pour dire tout le bien possible d’un CD de Decca consacré aux «Violin Encores». Tous les beaux bis du répertoire avec les meilleurs artistes, dont Salvatore Accardo, Joshua Bell, Nicola Benedetti, Janine Jansen et d’autres. Une année où les disques consacrés au violon pleuvent. Ce n’est pas le violoniste que je suis qui s’en plaindra.
J’ai pris le goût d’aller régulièrement aux premières de l’Opéra de Flandre, soit à Anvers soit à Gand, deux villes d’art avec des chefs-d’œuvre de l’architecture et de la peinture. Cette fois-ci, ce fut pour la première mondiale de Rumor, opéra d’un compositeur allemand, Christian Jost (né en 1963). Une vraie tragédie antique sur l’idée d’une victime et de l’obligation de vengeance allant jusqu’à désigner un coupable au hasard pour l’immoler. La musique est belle, inspiré de tout le XXe siècle et surtout, à mon oreille, du Britten de Peter Grimes, autre tragédie bouleversante. Une très bonne interprétation. Excellente direction de Martyn Brabbins. Mention spéciale pour le faux coupable chanté par un Afro-Américain, Gregg Baker. Je lui ai fait remarquer à quel point son rôle rappelait le Sud du temps où cette tragédie touchait les Afro-Américains. Il m’a serré la main d’une façon qu’on n’oublie pas.
Benjamin Duvshani
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