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Un mois dans la vie d’un mélomane 03/01/2012
Avec un mois de février fidèle à sa réputation de mois le plus froid de l’année, il n’est pas étonnant que Le Voyage d’hiver de Schubert ait été programmé à trois reprise. A l’Athénée ce fut un arrangement très réussi de l’œuvre par Takénori Némoto dans une mise en scène de Yoshi Oïda pour trois chanteurs au lieu d’un et pour un octuor au lieu du piano pour l’accompagnement. Un aspect unifiant de l’œuvre, qui au prix de changements dans l’ordre des lieder, lui donne une continuité dramatique. Mention spéciale pour Didier Henry dans le rôle du Musicien vagabond menant le Poète et la Femme vers leur destin. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à une idée de jeunesse de transcrire les trente-deux Sonates de Beethoven pour quatuor à cordes. Par un hasard heureux, j’ai trouvé, retour du concert, la version Quasthoff-Barenboim à la télé. Quasthoff parfait avec un Barenboim endormi. Appris avec tristesse la décision de Quasthoff de ne plus chanter en concert. La troisième fois, ce fut l’incompréhension totale de la conception du cycle par Matthias Goerne. J’ai souffert. Les piano trop piano, les forte trop forte, les changement de rythme loin de l’esprit dans lequel l’œuvre baigne. Ce n’est pas un homme désespéré qui chantait mais un homme en grande forme psychique. Le pire fut le «Leiermann» avec son orgue de Barbarie. Au lieu de cette monotonie non musicale du lied, chanté sans vibrato et sans effet, qui lui donne sa vraie émotion qui vous serre la gorge à la fin, un vrai lied à effet théâtral. Dommage!
A la Cité de la Musique, une soirée avec Platée de Rameau. Je n’y étais pas. J’ai vu l’œuvre une fois et savais que je ne la reverrais plus. Dostoïevski, dans Les Frères Karamazov, m’a appris que rien n’était plus pénible que l’humiliation suivie d’un rire moqueur. Je me sens du côté du batracien contre les dieux.
Heureux moment un dimanche matin au Théâtre des Champs-Elysées avec Beethoven sous les doigts d’Elisabeth Leonskaïa. La Pathétique, la Neuvième, la Trente-deuxième (quel chef-d’œuvre!) et un mouvement de l’Appassionata. Moment de grâce.
Le Louvre nous offre un cycle sur l’opéra du XXe siècle vu par des musiciens qui ont participé à l’aventure. J’ai choisi Moïse et Aaron de Schönberg, un film de Straub et Huillet, présenté par Pascal Dusapin. Que dire devant cette pureté parfaite? Straub prenant la parole, on se demande pourquoi les gens ne se cantonnent pas à ce qu’ils savent faire.
Je n’ai pas honte d’avoir regardé et aimé les Victoires de la Musique. Vu le nombre réduit de jeunes qu’on rencontre dans les salles, c’est une œuvre utile, d’autant plus que le présentateur était parfait cette année.
Peu à dire sur La Cerisaie de Fénelon à L’opéra. Déjà le décor à l’ouverture du rideau m’a refroidi.
Le violon est encore à l’honneur au disque. Coffret d’un hommage à Fritz Kreisler pour le cinquantenaire de sa mort avec plusieurs Liebesleid (souffrance d’amour – Leid – et non mélodie d’amour – Lied!) et un autre dédié au concours Reine Elisabeth de Belgique avec quelques concertos par les lauréats. Tout n’y est pas mais ce qu’il y a est époustouflant. Il y a aussi les deux Concertos de Chostakovitch par Sayako Shoji. Comment d’un corps aussi frêle peut sortir une telle charge d’énergie!
En fait de violonistes, nous avons eu la tristesse d’apprendre la mort tragique de Devy Erlih. J’étais là, en 1955 à Gaveau, lorsqu’il a remporté le premier prix du concours Jacques Thibaud après avoir brillamment interprété le Concerto de Tchaïkovski.
Il reste les heures passées devant la télé ou l’ordinateur. Trois opéras du Met. Orfeo ed Euridice de Gluck, chanté en italien par Stephanie Blythe qui a une voix magnifique mais a besoin de cours d’art dramatique tellement elle est mal à l’aise dans sa présence scénique. Je ne dis rien de la partie dansée de Mark Morris qui confirme encore l’aberration de certaines mises en scène actuelles. Carmen avec Alagna tout à fait crédible dans le rôle de Don José, qui est certainement l’un de ceux qui lui vont le mieux. Et puis, aveu vaut excuse, Thaïs de Massenet que je n’avais jamais vu. Je connais par cœur, pour l’avoir jouée des centaines de fois, la «Méditation», mais c’est tout. Surprise plus qu’agréable, puisque l’œuvre est franchement magnifique, puisque Renée Fleming est splendide dans son double aspect de courtisane et de sainte et puisque la mise en scène est tout simplement belle.
Je termine avec une expérience très personnelle. Une demi-heure de bonheur sur YouTube. Cela commence par le chœur des Ecossais, début du quatrième acte de Macbeth de Verdi. Comme la suite, l’air de Macduff, n’y est pas, je vais la chercher et la trouve chantée par le grand Caruso en 1916. Il y a aussi «Una furtiva lagrima» par le même en 1902! qui m’amène au même air par Beniamino Gigli en 1933. Gigli, qui fut mon idole pendant mon adolescence et qui m’a valu mon surnom chez les copains pendant des années.
Et Tino Rossi, oui, lui, dans Les Pêcheurs de perles: dites-moi que vous l’avez adoré. La voix, la diction, la justesse, l’émotion. Inégalable!
Benjamin Duvshani
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