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09/01/1999
Sergiu Celibidache dans Brahms (Symphonies n°1, 2, 3, 4 et Requiem allemand), Beethoven (Symphonies n°2-4, 6-9) et Schumann (Symphonie n°2)

Orchestre philharmonique de Munich, Sergiu Celibidache (direction)
EMI

Comme nous l'avions indiqué pour le coffret des symphonies de Brahms publié par DG (et prélude à une grande édition du chef roumain), ces interprétations se situent au plus haut niveau avec un sens souverain du développement organique, un tempo toujours idéal, une souplesse absolue du phrasé, un matériau musical d'une grande richesse de couleurs. De Brahms, Celibidache exalte la source inépuisable de vie, une vigueur et une énergie en perpétuel renouvellement. Mais les enregistrements publiés par EMI déploient une plénitude, une sérénité et un accomplissement supérieurs, Celibidache a encore mûri son approche et la Philharmonie de Munich dépasse nettement l'orchestre de la radio de Stuttgart. Des disques d'une richesse inépuisable.

Mais le Requiem allemand constitue une découverte encore plus fulgurante. On dira certainement un jour qu'avant cette version aucune n'était satisfaisante. Celibidache, en effet, ne dirige pas l'opus 45 de Brahms comme ses symphonies, c'est à dire en lui conférant un dynamisme et une vivacité hors de propos (erreur de la plupart des chefs), mais comme un requiem, avec ampleur, intériorité, recueillement. La cohérence formelle de l'oeuvre devient soudain évidente et culmine dans un dernier mouvement où l'expression "s'abîmer dans la contemplation" prend tout son sens. La douceur, la finesse et la richesse de timbre du choeur est absolument extraordinaire, l'orchestre parfait, les solistes excellents. Un enregistrement historique à acquérir d'urgence.

Le Beethoven de Celibidache, par contre, n'emporte pas la conviction. Cioran disait très justement, même si l'on refuse son parti pris : "Beethoven a vicié la musique : il y a introduit les sautes d'humeur, il y a laissé entrer la colère" (Syllogismes de l'amertume, Folio page 119). C'est précisément cette colère à laquelle se refuse un Celibidache tout imprégné par le bouddhisme zen. Si la Pastorale n'en souffre pas (son interprétation est belle sans être absolument convaincante), l'ouverture Leonore III qui l'accompagne sur le disque tourne presque au supplice par son statisme. La bizarrerie fait même son apparition avec le scherzo de la Neuvième affublé d'un trio extrêmement vif et incohérent que Celibidache, dans le livret, s'acharne à justifier le nez dans la partition comme un vulgaire baroqueux ! Celui qui nous a fait redécouvrir Bruckner et Brahms ne semble pas avoir trouvé la clé pour ce compositeur qu'il dirigeait peu.


Rappel :

L'Edition Celibidache

Dix disques vendus séparément plus un uniquement disponible avec le coffret (le Concerto pour orchestre de Bartok et extraits de répétition) : (1)Haydn : Symphonie n° 103 et 104 (2)Haydn : Symphonie n° 92, Mozart : Symphonie n° 40 (3) Debussy : La Mer, Iberia (4) Beethoven : Symphonie n° 4 et 5 (5) Tchaikovski : Symphonie n° 5 (6) Tchaikovski : Symphonie n° 6 (7) Wagner : prélude de l'acte I des Maître chanteurs de Nuremberg, Siegfried-Idyll, "Marche funèbre" du Crépuscule des Dieux, ouverture de Tannhäuser (8) Schumann : Symphonies n° 3 et 4 (9) Moussorgski/Ravel : Tableaux d'une exposition, Ravel : Bolero (10) Schubert : Symphonie n° 9

Orchestre philharmonique de Munich, Sergiu Celibidache (direction)

EMI 56518 2, 56519 2 etc

L'édition Celibidache d'EMI est un événement historique dont on n'a pas fini de mesurer les conséquences tant ce chef mythique renouvelle notre façon de penser la musique. Retour sur l'histoire donc. Le parcours de Celibidache reflète une certaine éthique de la musique qui se traduit par deux exigences qui l'exclurent durant vingt-cinq ans du circuit des grands orchestres : la volonté de nombreuses répétitions pour approfondir les oeuvres et le refus du disque, pâle écho d'une réalité qui ne peut, selon lui, se vivre qu'au concert. Le contre-courant parfait de son époque ! Ses débuts avaient été pourtant fulgurants puisqu'il sortit du néant de sa vie d'étudiant du Berlin des années de guerre pour, à la faveur d'un concours de circonstances, monter au pupitre de l'Orchestre philharmonique de Berlin alors privé de son chef Wilhelm Furtwängler en attente de son procès de dénazification. Le succès de ses concerts fut très grand même si son caractère entier le froissait avec une partie de l'orchestre. A la mort de Furtwängler en 1954, le poste de directeur musical lui échappe suite aux intrigues de Karajan. S'en suit une longue période d'errance qui le mènera en Amérique du Sud, en Italie, en France (il dirige l'Orchestre national de France de 1973 à 1975), en Suède… Les formations qu'il dirige sont souvent de second plan mais le résultat se situe néanmoins très haut comme en témoignent quelques disques pirates. Puis, en 1979, un grand orchestre l'accueille : La Philharmonie de Munich, la durée et la qualité sont enfin réunies.

Ses concerts sont tous enregistrés mais, comme Celibidache l'exige, jamais publiés. A sa disparition en 1996, sa femme et son fils décident, pour empêcher les éditions pirates, de confier à EMI le soin de publier ces captations "lives" et, par refus d'en tirer profit, d'en verser les revenus à deux fondations. Ces dix premiers disques sont ainsi les premiers d'une série de trente-huit !

On peut désormais se plonger dans une musique que l'on ne connaissait auparavant qu'imparfaitement. Trois termes permettent de cerner l'art de la direction de Celibidache : ampleur, richesse et globalité. L'ampleur d'un geste toujours majestueux mais jamais lourd, d'un tempo retenu pour révéler toute la richesse de la partition. La richesse du son par l'étagement des pupitres et le jeu d'une palette infinie de timbres. La globalité enfin, tant une dimension intemporelle, une compréhension entière de l'oeuvre semble imprégner chaque instant de l'exécution.

On se délectera donc des beautés de l'orchestration et de la profondeur de conception des deux dernières symphonies de Schumann, on sera impressionné par l'élévation de pensée des symphonies de Haydn, figé par l'ampleur dramatique de la Symphonie "Pathétique" de Tchaikovski, fasciné par le raffinement instrumental et le sens du détail du disque Debussy, illuminé par la félicité de Siegfried-Idyll de Wagner,… Rarement notre capacité d'écoute aura été convoquée avec autant de force et d'urgence. Une expérience inoubliable.


Celibidache : Bruckner
Orchestre Philharmonique de Munich, Choeur philharmonique de Munich, Sergiu Celibidache (direction)
Messe n°3 en fa mineur (1 CD)
Symphonie n°3 (1CD)
Symphonie n°4 (1 CD)
Symphonie n°5 (2 CD)
Symphonie n°6 (1 CD)
Symphonie n°7, Te Deum (2 CD)
Symphonie n°8 (2 CD)
Symphonie n°9, répétitions (2 CD)

Disponibles séparément ou en coffret
EMI 7243 (enregistrements de 1982 à 1995)

Après un premier volet consacré à un florilège de compositeurs, EMI livre les enregistrements du compositeur de prédilection de Sergiu Celibidache : Anton Bruckner. Un coffret précieux et essentiel. Surtout parce qu'il ne convainc pas forcément à la première écoute et qu'il oblige à s'interroger sur ses modes de perception, sur son savoir, sur l'histoire de l'interprétation.

Prenons un exemple : dans le premier mouvement de la Cinquième Symphonie, une forme simple répétée sur plusieurs mesures jouée par une flûte émergeant des cordes précède une intervention brutale de l'ensemble de l'orchestre. Chez Celibidache (CD1, plage 2, à partir de 12'00''), le son de la flûte se modifie pour devenir de plus en plus dense et dur et ainsi amener, "justifier" l'irruption de l'orchestre. C'est la seule et unique modification, l'évolution du timbre. D'autres moyens plus habituels et plus explicites auraient pu être utilisés, et le sont effectivement par d'autres chefs, comme l'accélération ou le ralentissement du tempo, l'augmentation ou la diminution de l'intensité des cordes. Chez Furtwängler (enregistrement DG de 1942, plage 1, à partir de 10'27'') le son de la flûte ne subit aucune transformation, par contre les cordes deviennent de plus en plus tendues, "pressantes". Avec ces moyens plus directs, le timbre se modifie éventuellement, mais ce n'est qu'un effet induit. Chez Celibidache, au contraire, le timbre - la couleur - devient l'élément structurel et dramatique prédominant, premier, c'est toute la révolution de son art.

Mais notre oreille n'est pas habituée à percevoir avec autant d'acuité et à accorder autant d'importance au seul timbre. Une écoute trop familiarisée aux seules variations de tempo (Furtwängler) ou d'intensité (Knappertsbusch), ou à des éléments de nature plus statique comme la clarté polyphonique (Klemperer) ou le sens de l'architecture (Jochum) reste une écoute limitée à deux dimensions quand la richesse des timbres, leurs nuances et leurs correspondances, nous font entrevoir une troisième dimension. Bien sûr, les éléments précités (l'architecture, la polyphonie, l'intensité et le tempo) sont présents chez Celibidache et mis en place avec une maîtrise souveraine, mais ils ne constituent pas l'aiguillon de l'interprétation (son tempo ne nous "titille" pas comme chez Furtwängler, il est un aspect d'une construction générale), leur finalité consiste à permettre à une palette infinie de couleurs de s'exprimer. Ecoutez par exemple la Quatrième Symphonie où la grande coda finale n'évoque pas une charge guerrière de l'orchestre ou une pompeuse musique de film, comme c'est souvent le cas, mais plutôt un lever de soleil à l'horizon d'une mer d'huile qui fait naître les couleurs du jour (plage 4, à partir de 23'44''). D'une façon générale, les fortissimo ne se déploient pas dans l'exacerbation de l'intensité sonore alliée éventuellement à une accélération du flux musical, mais dans une lumière qui devient de plus en plus éclatante et emplissant un espace de plus en plus immense.

Sergiu Celibidache serait donc le premier chef "spectral", pour reprendre un qualificatif accolé à une école de compositeurs attachés à explorer la richesse du son, la variété des timbres. N'est il d'ailleurs pas surprenant de constater des signes de parenté spirituelle entre le chef roumain et le fondateur de cette école, Giacinto Scelsi : la fascination pour le bouddhisme zen, l'approche profondément spirituelle de la musique, le parcours en marge des institutions… Quoi qu'il en soit, Celibidache est un précurseur, il ouvre de nouveaux horizons à l'interprétation musicale.

Pour découvrir ces nouveaux horizons, il faut donc quitter ses schémas d'évaluation traditionnels, c'est à dire simplement ouvrir ses oreilles. Se limiter à la seule perception du tempo et de l'intensité amènera à trouver ces enregistrements trop lents ou dévitalisés tandis qu'une écoute plus globalisante et illuminée par la richesse des timbres donnera vie comme jamais à ces oeuvres magnifiques. Les symphonies 3 à 6 emporteront l'adhésion de tous quasi immédiatement, les brucknériens comme les anti-brucknériens rendront les armes devant la transparence du tissu orchestral et le bannissement de toute lourdeur, la somptuosité des différents pupitres, l'ampleur des crescendo, la cohérence de la construction, le souci du détail. Les trois dernières symphonies, qui marquent une étape chez le compositeur, réclament, plus que les précédentes, une écoute qui sache s'abandonner à elle-même. Le début de la Septième Symphonie, qui commence à la limite de l'audible, exige cet abandon pour accueillir le sublime phrasé des violoncelles qui amènent le premier thème. Abandon aussi au début du mouvement lent de la Huitième Symphonie pour ressentir la lente scansion des contrebasses soutenant la naissance du thème principal. Une musique qu'il faut peut être moins écouter qu'accueillir, pour une rencontre qui se fait, avec la Neuvième Symphonie, aux dimensions du cosmos.


Philippe Herlin

 

 

 

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