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05/10/2002


Amour, Délice et Orgue : une Trinité bien singulière.



Thierry Escaich (né en 1965) :


Concerto pour Orgue et Orchestre (1995) ~ "Kyrie d'une messe imaginaire", Première Symphonie (1992) ~ Fantaisie Concertante pour Piano et Orchestre (1995)




Olivier Latry (Grandes Orgues de Notre-Dame de Paris) ; Claire-Marie Le Guay (piano).


Orchestre Philharmonique de Liège ; Pascal Rophé (direction).
1 Cd Accord-Universal, 2002, n° 0 28947 22162 3 ~ Durée totale : 1h 06' 03" ~ Présentation soignée, notice bilingue très complète ~ Remarquable introduction de Gérard Condé.




Amateurs d'orgue, de piano ; amoureux de musique d'aujourd'hui ; aficionados d'un orchestre au son contemporain qui ne soit pas trop lointain : méfiez-vous, vous avez entre les mains le type même du CD risquant de provoquer une très forte dépendance ! Compositeur confirmé, butinant les fleurs les plus diverses pour nous en offrir et les sucs, et les miels les plus toniques ; Thierry Escaich, jeune homme de trente-six ans, est également organiste et professeur. Son métier organistique l'a évidemment poussé à beaucoup écrire pour « l'instrument-roi ». Figurer - entre autres - au programme du festival d'orgue de Bordeaux (Musica in Cathedra) en 2001, être en outre programmé cette année aux festivals de Saint-Denis, Auvers-sur-Oise, à Notre-Dame de Paris... Ce n'est pas la moindre des reconnaissances ! On ajoutera – dans le préliminaire, pour changer de la conclusion - que la maison Accord (Universal, désormais) n'a pas lésiné sur les moyens artistiques pour offir à ce nouveau César Franck, un hommage digne de sa musique. L'équipe est composée de jeunes solistes (Olivier Latry, titulaire de l'orgue de Notre-Dame ; Claire-Marie Le Guay ; Pascal Rophé et l'Orchestre Philharmonique de Liège) de très haut niveau, et dont l'enthousiasme est perceptible, de la première à la dernière note.


En plus, les petits plats ont été mis dans les grands pour ce qui concerne la prise de son et le mixage, toujours délicats dans le cas de l'orgue avec orchestre. Et si Olivier Latry a été enregistré en décalé (le 7 janvier 2002) par rapport à l'orchestre (le 26 novembre 2001) ; c'est afin d’aboutir à une bien meilleure restitution, pour l'écoute domestique, qu'une captation synchronisée, souvent frustrante. Se rappeler Karajan (cherchant les grands effets, il est vrai) isolant en direct son Pierre Cochereau pour la Troisième de Saint-Saëns. Étant établi que le flacon importe donc, marchons sur tous les chemins en quête de l'ivresse. Le Concerto pour Orgue de 1995 happe l'auditeur dès le prime accord. Une raucité, une extraversion tenant à la fois de Richard Strauss (Elektra) et de Stravinsky (Le Sacre) crée sans barguigner le malaise et le tourbillon. Citer ces deux maîtres, près d'un siècle plus tard, ne peut être gratuit, la musique d'Escaich étant consonante. Dira-t-on pour autant qu'elle est rétrograde ; en se refusant de la sorte à toutes les écoles non-consonantes, qui se sont succédé depuis le sérialisme ?


Dans ce cas, il faut lui associer des Manoury, des Boesmans, des Fénelon, des Liebermann, des Dusapin même, d'autres encore ! Aujourd'hui, plus personne ne compose à la Pierre Boulez ou à la Pierre Henry, ni même à la Henri Dutilleux. Sans que cela soit un jugement de valeur, on ne peut que s'en féliciter: « les temps changent », comme dit mon voisin, au café du coin. Par ailleurs, le goût de l'écriture ample, panoramique, tirant des effets spectaculaires d'un orgue, virtuose et violent, face à un orchestre tentaculaire ; voilà qui situe nettement Escaich dans la lignée post-romantique. A cet égard, on songe souvent au miraculeux Livre des Sept Sceaux du Viennois Franz Schmidt. Comme le musicien se complaît à ordonner sagement ses trois mouvements titrés à l'italienne : Allegro moderato, Adagio, Vivacissimo, d'éventuels détracteurs auront beau jeu de crier au conservatisme. C'est au contraire un tour de force, de nous proposer une Vision, griffée de tourments et de distorsions à la Penderecki, avec une perfection polyphonique à la Schnittke – le tout structuré tel un Concerto de Vivaldi (ceci étant un compliment) !!! Après tout, Alban Berg ne composa-t-il pas sa cantate-joyau Der Wein, (« le Vin », d'après Baudelaire), sous l'appellation d' « Air de Concert », en hommage évident à Mozart ?


Olivier Latry fait corps avec le merveilleux Cavaillé-Coll (remarquablement restauré, rappelons-le, dans les années 1990) de Paris ; semblant se rire des traits de spadassin dont Escaich a semé la partition. Grand prêtre exaltant et régulant à la fois le maelström, Pascal Rophé obtient de son Philharmonique de Liège un sans-faute orgamisque et méphistophélien. Avec à l'inverse une grande maestria de continence, au cours du vaste et bel Adagio, soutenant un Latry très méditatif… Cela ne peut pas ne pas faire penser au Prélude, Adagio et Fugue (pour le même instrument) de Jean-Sébastien Bach - ou à la sixième Sonate de Mendelssohn ! Exit l'organiste, et place à l'orchestre seul avec cette Première Symphonie que l'auteur a surtitrée « Kyrie d'une messe imaginaire ». Pensa-t-il au génial, et isolé, Kyrie en mineur de Mozart ? Ses cinq très beaux mouvements, fort élaborés et subtilement imbriqués, sont basés sur une succession d' « antiennes » et de « versets » qui alternent. Digne d'un ultime Quatuor de Beethoven ; mais avec la parole propre - et irréductible à quoi que ce soit - de Thierry Escaich. Sa musique se paie le luxe de revenir à ses origines médiévales en Occident, sous sa forme codifiée : le plain-chant. Pour se complexifier sans cesse au cours de sa progression ; sans que le discours ne se dégarnisse de son apparente fluidité.


Des mélismes se rattachent au symbolisme (Debussy, Prélude à l'Après-Midi d'un Faune) ; d'autres idées sentent leur héritage de Ravel (Pavane...), comme dans certaines pièces de Dusapin, d'ailleurs. Bel hommage à ce deux fameux pôles de la musique française vingtiémiste ; pour une oeuvre si forte, qu'en matière de troc de l'imaginaire, elle nous joue l'inverse de La Peau de Chagrin ! Elle se dilate, s'amplifie, s'accroît - à mesure que nos désirs les plus oniriques se font, se satisfont - et se défont. ll reste à ce si réussi disque-portrait, à nous prouver le talent de Thierry Escaich dans une pièce de forme "libre", après l'exercice obligé du Concerto et de la Symphonie. Chose faite, et plutôt bien faite, par le biais de la Fantaisie Concertante pour Piano et Orchestre... de la même année 1995 que le Concerto pour Orgue, qui donne les premiers coups de pinceau. Comment se défaire du dithyrambe pour tenter de rester courtoisement tiède ; dès lors que l'enthousiasme est encore de mise ?


Démarrant, là aussi, avec certaines couleurs grégoriennes, la partition se rue avec délices dans des saccades, voire des secousses ; lesquelles, de nouveau, en appellent aux mânes de Ravel (Finale du Concerto en Sol) - avec un coloris aux vents que ne renierait pas un Respighi. Des affinités donc, et certaines ; mais il faut le redire : avec une parole et un lyrisme uniques; comme pour tous les vrais compositeurs, en somme. Qu'admirer le plus ? L'entrée sauvage du piano (frénétique et fantastique Claire-Marie Le Guay), sa fusion avec un orchestre volcanique ? Un lissage (par contraste) dans certaines interventions de cordes, qui fait chavirer ? Le sens de l'équilibre entre le volumes des différentes sections, l'amplitude dynamique peu banale, l'étrange beauté (plus extraterrestre que tellurique, pour tout dire) des cuivres ??? Ou bien cet usage, réservé aux grands, de la virtuosité (parfois insoutenable) à des fins arhitecturales et esthétiques - et non pas platement narcissiques et vides ?... Applaudissons tout cela, bien sûr ; et ce petit « plus » qui aura su creuser, grâce à ces multiples bons goûts réunis, la différence entre une écriture savante, mais de qualité courante - et la plume acérée autant que profuse, d'une véritable personnalité musicale émergeant du lot : Thierry Escaich. Un disque gravé dans de l’or.




Jacques Duffourg

 

 

 

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