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04/09/2002

"Roussel réunit Thésée, Bacchus et Ariane"


Albert Roussel : Intégrale des Mélodies.



Yann Beuron, ténor ~ Laurent Naouri, baryton-basse ~
Marie Devellereau, soprano.


Billy Eidi, piano ~ Étienne Plasman, flûte (opus 26) ~ Orchestre Philharmonique du Luxembourg, direction : Jean-Yves Ossonce (opus 9).


Un coffret plat de deux CD Timpani, n° 3 377892 320644 ; 2002.


Notes en français, remarquable présentation ; brochure très complète.




Le Luxembourg n'est pas qu'un gigantesque coffre-fort. Ou s'il l'est, il se trouve dans quelques-uns de ses recoins, des trésors qui ne s'évaluent pas en euros. Du Grand-Duché en effet, par l'entremise de la défricheuse marque Timpani, nous parvient un enregistrement qu'on peut tout à trac qualifier de moment de l'histoire. Les Mélodies d'Albert Roussel sont des bijoux - comme une large part de l'oeuvre du maître, hélas plutôt rare en France, tant au concert qu'au disque… Beaucoup plus syllabiques que seulement mélodiques, dotées d'un accompagnement pianistique concis qui va droit à l'essentiel (la juste note posée sur le juste mot), tonalement instables et audacieuses - elles se rapprochent bien plus de ce que fera un Francis Poulenc, dans Le Bestiaire par exemple ; que de l'héritage fauréen, voire du contemporain Ravel. Chanteurs non aguerris à l'art de la miniature et de la litote, s'abstenir !


Roussel ne s'abreuve pas qu'aux poésies d'Henri de Régnier, qui sont dominantes dans ses références, mais non accaparantes. Homme cultivé, libre et assez rebelle aux Écoles, il a eu l'intelligence de glaner des textes très divers, souvent liés à l'Antiquité grecque (Odes Anacréontiques, entre autres), à l'Extrême Orient (Poèmes Chinois), à la Renaissance (Ronsard) ; à l'Irlandais James Joyce encore (A flower given to my daughter) - au gré de son évolution personnelle. L'assemblage en deux cahiers des Odes, et le triple diptyque des Poèmes Chinois constituent la seule récurrence de structure. Albert Roussel n'était pas suffisamment formaliste pour générer des cycles, qui l'eussent ennuyé ! Éclairant à cet égard, est le fait que dans les Anacréontiques, deux poèmes reviennent deux fois (sur six), avec un traitement évidemment différent.


On l'a dit : les concerts Roussel ne courent pas les salles. Il est dès lors frappant que Yann Beuron ait eut l'idée de génie de proposer quelques-unes des Mélodies en récital à Aix-en-Provence (avec Mozart), l'été dernier. Merveilleux concert, sur lequel d'aucuns firent la fine bouche pour cause d'aigus un peu tirés, alors qu'on pardonne parfois bien plus en Schubert, par exemple ! Prophètes de tous les pays, unissez-vous... Il était, très exactement, en train de les enregistrer. Le ténor n'hérite que de neuf pièces (sur trente-huit), mais ne guigne pas le succès par la seule quantité. Joli coup dès la plage 4, avec un Madrigal Lyrique précieux et délicat ne perdant pas de vue le nécessaire recul caustique. Audacieux, dès lors, de lui offrir Joyce, totalement antithétique : sous la métaphore florale se cachent des pleurs à venir, dessein que Beuron pressent noblement. Et logique, de lui confier ces deux Poèmes de Ronsard, si proches de Régnier par l'esprit, avec seul accompagnement de flûte - chefs d'oeuvre sans équivalent de l'histoire de la mélodie française - qui le portent au pinacle de cet édifice.


Révélé en 1996 dans des Airs de Concert mozartiens au T.C.E., il poursuit un sans-faute (opéra, récital, disque) que cet album n'entachera pas. A ses côtés, quel plaisir que de retrouver Marie Devellereau, miel d'acacia d'une voix fraîche et embaumée, qui se serait butiné non loin d'une pinède - ou d'un buisson (ardent) d'eucalyptus ? Versatile elle aussi au possible sur scène (la Constance des Dialogues de Poulenc, une prostituée de Peter Grimes, une fille-fleur de Parsifal...), elle n'est pas un soprano strictement léger, au sens "mespléen" du terme - ce qui serait un compliment aussi, du reste ! Idéal quand on se voit accorder quatre des six Poèmes Chinois ; dont cette Réponse d'une épouse sage (qu'enregistra si finement jadis Elly Ameling), aussi subtile et ironique que bien corsée dans le médium ; lequel est sain. Et fait merveille dans ce joyau du Jardin Mouillé (n° 3), fusion sans équivalent de poésie à la Verlaine et de musique impalpable à la... Roussel.


A elle aussi la Vocalise, qui n'est pas sans rappeler la pièce éponyme de Rachmaninov ; la Vocalise-Étude remise à disposition du Disque ; et surtout ce papillonnant et délicatement égrillard Jazz dans la Nuit, dû à René Dommange en 1928 (un an avant le fameux premier film parlant, ce Chanteur de Jazz avec Al Johnson : étonnant, non ?). Elle chante l'attrait des gorges nues comme Renoir peint la courbure d'un sein : avec un galbe magnifique - et ce qu'il faut toujours de chaste retrait, et de deuxième degré malicieux, pour s'en sortir indemne. Elle est l'Ariane de ce triptyque roussélien, de même que ce Yann Beuron qui l'abandonne bien vite se fait Thésée. Mais le Bacchus, alors ? Laurent Naouri, à la ville Monsieur Dessay, n'est pas un inconnu, ni un débutant. C'est même un chanteur très expérimenté, à la carrière de quinze années déjà fort fournie. Pourtant, aucun Major ne lui a encore proposé de récital en CD. Merci donc à Harmonic Classics d'avoir osé Poulenc avec lui (2001). S'agissant d'un baryton-basse véritablement hors cote - le plus grand peut-être depuis José Van Dam, dont le parcours sans faute aborde maintenant son couchant - cette situation est proprement scandaleuse (à moins qu'il ne s'agisse d'un choix de l'artiste ? - on peut en douter).


De surcroît, il possède une grande facilité dans les aigus (quelle tessiture, ici !). Plus une adéquation à tous les styles (avoir entendu par exemple son Mahler à la C.C.E. en 2000 laisse proprement rêveur : Thomas Hampson a du souci à se faire) ; à toutes les époques (du Baroque au XX° siècle), à tous les genres (mélodie, pot-pourri, opéra, opérette). En face de quoi Hans Hotter paraît limité, et Dietrich Fischer-Dieskau - qui n'a jamais disposé de tels graves - un éclectique bien uniforme ! Dernière démonstration en date, sous la douce férule d'Emmanuelle Haïm, au T.C.E. ce Samedi 23 Mars, en un éclatant Polifemo haendélien ; dont la marathonienne et périlleuse écriture a paru n'être pour lui qu'un jeu - un moyen de magnifier davantage un naturel très porté sur la basse chantante... Après un Golaud de Pelléas - au moment même où les âmes d'Irène Joachim et Jacques Jansen ont souhaité ne pas s'en aller seules, et séparées - le plus grand d'une discographie très chargée (Naïve, 2001, avec Wolfgang Holzmair et Anne-Sofie von Otter, direction Bernard Haitink) ; l'éditeur a eu beu jeu de lui confier l'essentiel de cette somme Albert Roussel : environ la moitié. Chercher le moindre défaut relève de l'exercice inutile. La performance est même ailleurs ; toutes les voix sans défauts ne sont pas enchantées, et savent être enchanteresses celles qui présentent quelques failles. Non : ici, Laurent Naouri crée et recrée sans cesse texte et musique avec une intuition et une sincérité irrésistibles.


Même si chacune de ses offrandes se déguste tel un vieil Armagnac : avec respect - le grand moment est la double triplette des Odes Anacréontiques, dont on ne ressort pas intact. D'Anacréon peut-être, traduites assez correctement par Leconte de Lisle sûrement, elles mêlent Eros et Bacchos (sic) ; mais débarrassés de Thanatos, pour une fois ! Le grand Laurent en fait un hymne aux joies matérielles, humaines et trop humaines, dans la plus pure tradition des chansons à femmes et à boisson ; comme dans le duo Osmin-Pedrillo de l'Enlèvement au Sérail... en plus littéraire, tout de même. Avec, à nouveau, juste ce qu'il faut de distance - et la plénitude des accents changeant avec chaque mot -, pour que l'expression de "très grand art" paraisse un peu terne. Qu'aucun alcade, qu'aucun potentat n'édicte une loi faisant jeter en prison les donneurs de si belles sérénades, comme il est question dans le Bachelier de Salamanque (encore un sommet, mieux que Gérard Souzay ?)... Dernier point, et non des moindres : on s'est assez plaint de la raréfaction des jeunes pousses de France dans notre chant national, pour ne pas applaudir sans retenue la conjonction au sommet de ces trois personnalités. Dont la diction est de surcroît splendide de bout en bout ; ce qui n'est pas nécessairement donné à toute voix hexagonale (n'est-ce pas, Mesdames Denize et - surtout - Uria-Monzon ?).


Ajoutons que les divers accompagnateurs (Billy Eidi au piano, Étienne Plasman à la flûte, Jean-Yves Ossonce et son Orchestre Philarmonique) sont à la hauteur de cette Grande Arche qu'il n'est guère besoin de trop défendre, tant elle parle (susurre) pour elle. Ce double CD est, comme on dit, pour le premier rayon. C'est à plus forte raison un must pour tout amateur de chant français qui se respecte. Chapeau bas à Timpani - qui nous a fait chavirer l'an dernier avec un Cydalise et le chèvre-pied de Gabriel Pierné, moussu tel un bavarois. Et le label de porter sur la pochette un logo "la mélodie française" : voilà un concurrent pour Hypérion, vive l'émulation ! Vérité en-deçà des Pyrénées ? Non, au-delà de l'Escaut, au Luxembourg.





Jacques Duffourg.

 

 

 

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