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11/06/2025
Antonio Salieri : Cublai, Gran Kan de’ Tartari
Mirco Palazzi (Cublai), Anicio Zorzi Giustiniani (Timur), Marie Lys (Alzima), Aeneas Humm (Posega), Fabio Capitanucci (Orcano), Giorgio Caoduro (Bozzone), Ana Quintans (Memma), Lauranne Oliva (Lipi), Chœur de chambre de Namur, Thibaut Lenaerts (chef de chœur), Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction)
Enregistré au studio RIFFX1 de La Seine musicale, Boulogne-Billancourt (4‑7 juillet 2024) – 159’
Notice (en anglais, allemand et français) de Timo Jouko Herrmann
Coffret de deux disques Aparté AP 379


Sélectionné par la rédaction





Difficile pour un compositeur de gagner quelque notoriété musicale que ce soit lorsque son principal fait d’arme au regard de l’Histoire passe pour avoir été l’assassin de Mozart ! De Franz Xaver Niemetschek à Alexandre Pouchkine en passant bien entendu par le célébrissime film Amadeus (1984) de Milos Forman, la thèse d’un Salieri assassin, gagné par une jalousie maladive à l’égard d’un cadet qui illuminait alors le ciel de la musique en Europe, n’a cessé de perdurer. Pourtant, Antonio Salieri (1750‑1825) ne manquait pas de talent comme le prouvèrent, très tôt, Jean‑Claude Malgoire, en exhumant, dès 2002, l’opéra Falstaff (donné quelques années plus tard à Vienne sous la baguette de René Jacobs), et Christophe Rousset (avec les rarissimes Axur, re d’Ormus et La grotta di Trofonio, respectivement donnés à Zurich en septembre 2003 et à Lausanne en mars 2005). Si l’on y ajoute les noms de Cecilia Bartoli pour son « Album Salieri » paru en 2003 chez Decca (et donnant lieu à l’époque à une tournée triomphale à travers toute l’Europe), celui de Matthias Bamert et de ses London Mozart Players (magnifique disque Salieri dans la collection « Contemporaries of Mozart » chez Chandos enregistré en avril 2000) et celui de Riccardo Muti (qui n’hésita pas, par exemple, à programmer la musique de ballet de l’Europa riconosciuta lors d’un concert donné en 2008 à la tête de l’Orchestre national de France), force est de constater que Salieri a toujours suscité un certain intérêt à défaut de nous le rendre totalement familier (voir ici).


Pionniers dans cette aventure, Christophe Rousset et ses Talens Lyriques enregistrent depuis maintenant vingt ans ses opéras parmi lesquels on peut signaler Les Danaïdes, Les Horaces ou Tarare (ce dernier enregistrement ayant fait suite à diverses représentations données tant à Versailles qu’à la Philharmonie de Paris). Voici un nouveau volume avec Cublai, gran Kan de’ Tartari, opéra « héroïco‑comique » en deux actes de 1788 dont nous ne connaissions jusqu’alors que l’Ouverture, enregistrée par Matthias Bamert (en première mondiale dans le disque précité) et deux airs chantés par Diana Damrau dans son superbe disque « Arie di bravura » (Virgin Classics, 2007). Même si Cublai, gran Kan de’ Tartari fut donné à l’opéra dès 1998 au Mainfranken Theater de Wurzbourg, c’était alors en langue allemande ; il fallut attendre avril 2024 pour que Christophe Rousset ressuscite l’œuvre en italien, à Vienne, et la voici désormais disponible au disque.


A certains égards, l’intrigue est somme toute assez classique. Cublai Kan, souverain de Cathay, souhaite marier son fils, Lipi, à la belle princesse Alzima. Mais le jeune héritier est tellement bête qu’Alzima refuse de céder, lui préférant de loin le doux Timur, neveu du souverain. Si l’on ajoute à tout cela le précepteur de Lipi malmené de toutes parts (Posega) et deux aventuriers italiens (Bozzone et Memma), on a là un cocktail des plus savoureux qui se termine plutôt bien puisque, sur les conseils des deux Italiens, Cublai (qui, lui non plus, n’a pas inventé l’eau chaude...) consent au mariage entre Timur, qu’il officialise comme devant être son successeur, et Alzima. Voilà pour l’aspect héroïque de l’opéra. Mais ce serait sans compter la dimension proprement comique, qui est un véritable fil conducteur des deux actes : qu’il s’agisse d’entendre Cublai écorcher tous les noms qu’il prononce ou de voir combien il se couvre de ridicule par ses divers actes royaux, de voir de quelle façon Memma entreprend d’apprendre les bonnes manières aux femmes de la cour et comment elle parvient à convaincre Cublai de prendre un décret ordonnant que tous les hommes du royaume devront désormais être rasés, d’entendre Lipi jouer aux marionnettes et imaginer que son exil dans un monastère reviendra à boire et à manger toute la journée, on tient là une véritable comédie. En plus d’une occasion, on songe au Bourgeois gentilhomme pour le comique des situations ou, à l’écoute de la musique, à L’Enlèvement au Sérail de Mozart, au Mariage secret de Cimarosa voire à quelque air tiré d’un opéra de Rossini : décidément, Salieri et le librettiste Giovanni Battista Casti (qui avait déjà écrit les livrets de La grotta di Trifonio et du singspiel Prima la musica, poi le parole, tous deux mis en musique par Salieri) formaient à l’évidence une paire des plus fécondes !


D’emblée, soyons honnête : la musique de Salieri a du mal à se hisser au niveau de celle, contemporaine, de Mozart en termes d’imagination, de surprises et d’audace mais, pour autant, pourquoi bouder son plaisir ? Les Talens lyriques déploient leurs nombreux atouts pour donner tout son lustre à des mélodies plus qu’agréables. Dès l’Ouverture, conduite avec énergie par Christophe Rousset, on est emporté par cette jubilation qui ne nous quittera plus, que ce soit dans les ensembles (le chœur triomphal à la première scène du premier acte, la fin de ce même acte où, chose assez inhabituelle pour l’époque, on a droit à plus d’un quart d’heure de musique et de chant ininterrompu) ou dans l’accompagnement des chanteurs, qui nous permet d’entendre de temps à autre les deux clarinettes (l’air de Timur dans la scène 12 du premier acte) ou les deux hautbois des Talens lyriques (l’air de Memma « Ascolta, figlia cara » au second acte). L’orchestre, fort d’une quarantaine de musiciens, s’investit donc de la première à la dernière note et contribue ainsi pleinement à la réussite de l’ensemble.


Quant au plateau vocal, il est à la fois idéal et irrésistible : on rêve d’entendre un jour la même équipe dans L’Enlèvement au Sérail ou dans Le Voyage à Reims ! Mirco Palazzi incarne un superbe Cublai, à la projection parfaite, alliant avec une évidente allégresse la suffisance et la bêtise d’un monarque qui, de toute façon, suivra toujours l’avis de celui qui aura parlé en dernier. On peut néanmoins regretter qu’il n’aille pas davantage dans le grotesque alors qu’il aurait pu, par exemple dans l’air « Vien qua, figliuola mia » (acte I, scène 3), faire preuve de davantage d’humour, d’autant qu’il en a évidemment les moyens. Anicio Zorzi Giustiniani est un Timur à la fois sensible et plein de bonté, amoureux quelque peu idéaliste (son air lors de la première scène de l’acte II), dont la voix culmine dans un air « Misero! Quando a colei che adoro », à la scène 12 du premier acte, où il ne chante pas mais où, bien davantage, il susurre les mots dans un climat orchestral d’une incroyable beauté.


On a déjà écrit ici ou là combien nous admirions Marie Lys qui, de nouveau, nous subjugue par son agilité vocale à toute épreuve : écoutez « D’un insultante orgoglio » à la scène 13 de l’acte I, véritable air de bravoure qui nous fait penser à Constance ou Isabelle dans L’Italienne à Alger. Elle met tout son tempérament au service du personnage d’Alzima, tour à tour amoureuse tendre et péronnelle odieuse, qui sait chanter un magnifique duo d’amour avec Timur et, climat fort différent, participer à toute la verve de la scène finale de l’opéra. Aeneas Humm incarne avec beaucoup de finesse l’évolution du personnage de Posega, précepteur assez sûr de lui au début de l’opéra et qui finit dans un monastère en sachant vraiment ce qui l’attend (contrairement à Lipi), témoignant lui aussi de facilités techniques assez redoutables.


Impossible d’évoquer Bozzone (Giorgio Caoduro) sans parler en même temps de Memma (Ana Quintans), formidable duo qui vient secouer la cour et le personnage même de Cublai. Les deux chanteurs sont excellents (la cavatine de Bozzone à la scène 7 de l’acte I et celle de Memma dans la scène qui suit) ; dommage là aussi que le trio avec Cublai à la scène 8 ne soit pas davantage assumé, alors qu’on y attendait davantage de comédie. De même, Ana Quintans aurait sans doute pu être plus vindicative dans le très bel air « Con tuon si feroce » alors qu’il lui en faut sans doute très peu pour basculer totalement dans le théâtre souhaité par des scènes parfois franchement comiques.


Si Lipi a un tout petit rôle, Lauranne Oliva (révélation artiste lyrique des Victoires de la musique classique 2024) joue à plein son personnage et nous livre notamment un « Cavallo, cavallo » (scène 10 du premier acte) enthousiasmant bien que très bref (à peine une minute). Complétant l’équipe, l’Orcano de Fabio Capitanucci ne manque pas d’intérêt (un bel air au second acte) et s’en tire très habilement, de même que le Chœur de chambre de Namur, une fois encore très bien préparé par Thibaut Lenaerts, partenaire fidèle de l’équipe Rousset.


Même si, en plus d’une occasion, l’équipe de chanteurs ne nous semble pas aller assez loin dans le théâtre, restant dans de trop sages limites en plus d’une occasion (peut‑être était‑ce différent sur scène ?), voici incontestablement une très belle découverte que ce Cublai. Les opéras de Salieri sont nombreux : autant dire qu’on attend la suite avec gourmandise telle que le chef Christophe Rousset saura nous la concocter.


Le site de Christophe Rousset et des Talens Lyriques
Le site de Mirco Palazzi
Le site de Marie Lys
Le site d’Aeneas Humm
Le site de Giorgio Caoduro
Le site d’Ana Quintans
Le site du Chœur de chambre de Namur


Sébastien Gauthier

 

 

 

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