About us / Contact

The Classical Music Network

CD

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

05/26/2025
« Bernard Haitink Portrait Vol. II »
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 9 en ré mineur, opus 125 [1]
Anton Bruckner : Symphonies n° 4 en mi bémol majeur « Romantische », WAB 104 (version 1880, édition Haas) [2], n° 7 en mi majeur, WAB 107 (édition Nowak) [3] et n° 8 en ut mineur, WAB 108 (édition Haas) [5] – Te Deum en ut majeur, WAB 45 [4]
Antonín Dvorák : Symphonie n° 7 en ré mineur, opus 70, B. 141 [6] – Scherzo capriccioso, opus 66, B. 131 [7]
Gustav Mahler : Symphonie n° 7 en mi mineur [8]
Dimitri Chostakovitch : Symphonies n° 8 en ut mineur, opus 65 [9], et n° 15 en la majeur, opus 141 [10]

Sally Matthews [1], Krassimira Stoyanova [5] (sopranos), Gerhild Romberger (alto) [1], Yvonne Naef (mezzo-soprano) [4], Mark Padmore [1], Christoph Strehl [5] (ténors), Gerald Finley [1], Günther Groissböck [5] (basses), Chor des Bayerischen Rundfunks, Yuval Weinberg [1], Simon Halsey [4] (chefs de chœur), Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Bernard Haitink (direction)
Enregistré à Munich en public à la Philharmonie am Gasteig (23 septembre 2006 [9], 14‑18 février 2011 [8], 19‑20 janvier 2012 [2], 5‑6 février 2015 [10], 20‑23 février 2019 [1]) et à la Herkulessaal (26‑27 mars [6] et 19‑20 novembre [3] 1981, 15‑17 décembre 1993 [4], 10‑12 novembre 2010 [5]) et en studio à la Herkulessaal (24 mars 1981 [7]) – 557’43
Coffret de neuf disques BR Klassik 900720 – Notice (en allemand et en anglais) de Volkmar Fischer


Must de ConcertoNet





Inutile de s’appesantir ici sur l’immense chef que fut Bernard Haitink (1929‑2021) et sur son legs discographique que peu de baguettes passées et présentes sont en mesure d’approcher (voir ici). Si, parmi les grandes phalanges que Bernard Haitink a dirigées, l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam reste celle qui lui sera éternellement attachée, il ne faut pas oublier l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise qu’il a dirigé dès les années 1970 (son premier enregistrement avec lui fut La Flûte enchantée en 1981) et avec lequel les liens se sont fortement resserrés à partir du début des années 2000. Le présent coffret de neuf disques, reflétant autant de concerts puisque toutes les œuvres sont enregistrées en public à l’exception du Scherzo capriccioso de Dvorák, nous donne un aperçu de cette collaboration dont la tonalité globale peut être résumée par un seul adjectif : fructueuse.


Commençons pourtant par le « maillon faible » de cet ensemble avec une Neuvième Symphonie de Beethoven de belle facture mais qui se situe seulement dans la bonne moyenne de la discographie existante. Ce n’est pas faire injure à Bernard Haitink que de dire qu’il n’a pas été un grand beethovénien ; nous avons même en mémoire une Neuvième qui avait frôlé la catastrophe en concert, le chef dirigeant alors l’Orchestre de chambre d’Europe. Rien de tel ici grâce à un orchestre superlatif au sein duquel les individualités éclatent (le détail des clarinettes dans le premier mouvement Allegro ma non troppo e un poco maestoso à 5’56, la clarté du dialogue entre les bois et les cors dans le deuxième mouvement à 6’ ou l’entrée des violoncelles qui entonnent le célèbre thème du quatrième mouvement). De même, difficile de ne pas succomber à certains tutti mais, sans aller jusqu’au total ennui qu’a récemment suscité Riccardo Muti dans cette même œuvre à la tête du Philharmonique de Vienne, force est de constater que Haitink a ici souvent manqué d’allant. Que ce soit dans le premier mouvement à partir de 9’10 ou dans la totalité du Molto vivace – Presto, on ressent un réel manque d’énergie. Etonnamment, cette retenue n’apparaît plus guère dans l’Adagio molto e cantabile – Andante moderato, pris assez rapidement et perdant au passage la gravité et la solennité que l’on y perçoit habituellement, ni même dans le Finale, où le chœur s’avère plus martial que joyeux, dernier mouvement servi par ailleurs par un très bon quatuor de solistes.


La réussite, les réussites devrait‑on même dire sont en revanche beaucoup plus patentes dans les œuvres de Bruckner rassemblées ici, Bruckner dont Bernard Haitink aura toujours été un interprète de la plus haute valeur. Qu’on nous permette de renvoyer le lecteur aux critiques déjà parues des Quatrième et Septième Symphonies, deux versions majeures de la discographie de chacune de ces œuvres. Si le grand chef néerlandais a souvent dirigé certaines symphonies, tel n’est pas le cas du Te Deum, ne serait‑ce que parce qu’il requiert également des orgues, un chœur imposant et un quatuor de solistes de première main. La présente gravure, effectuée en concert, est superbe de bout en bout. L’entrée en matière du Te Deum. Allegro moderato est proprement terrifiante, nous prenant d’emblée à la gorge sans oublier toute la solennité de la partition. Au sein du quatuor, c’est le ténor Christoph Strehl qui nous impressionne le plus (le Te ergo est à pleurer, aidé il est vrai également par un excellent premier violon solo) mais surtout, dans le Salvum fac. Moderato – Allegro moderato, on ne peut qu’admirer le fondu qui se fait entre le soliste, le chœur et les cordes, Haitink dirigeant l’ensemble avec une fluidité impressionnante. Même si l’on peut regretter le choix des tempi à la toute fin du In te, Domine, speravi. Mässig bewegt (mais tout ceci est affaire de goût personnel), on saluera ici le sens de la gradation, inexorable, et de la puissance d’un orchestre et d’un chœur au sommet de leurs possibilités. La Huitième Symphonie (dont Bernard Haitink a laissé une des plus belles gravures qui soient à la tête de l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde) bénéficie ici d’une interprétation totalement aboutie. Inutile de s’appesantir de nouveau sur le niveau de l’orchestre (le hautbois solo ou le pupitre de cuivres dans le premier mouvement, les cors dans le Scherzo), qui ne faiblit jamais, irréprochable jusqu’à la dernière note du Finale. Ce qui est intéressant ici, c’est d’entendre certaines différences d’interprétation avec les autres versions gravées par Haitink lui‑même. Ainsi, le Scherzo. Allegro moderato – Trio. Langsam bénéficie de plus de solennité et de moins de noirceur que dans le version dresdoise, le Trio gagnant ici en finesse interprétative (les harpes, les pizzicati des cordes), l’Adagio. Feierlich langsam, doch nicht schleppend est plus serein que jamais, rendant ainsi les contrastes avec le dernier mouvement d’autant plus visibles. Une très grande version à n’en pas douter !


Dvorák ne figure certes pas parmi les compositeurs de prédilection de Bernard Haitink même s’il a très tôt enregistré sa Deuxième Symphonie avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam (en 1960, pour Philips) ainsi que quelques Danses slaves. S’il a bien évidemment enregistré les Huitième et Neuvième Symphonies, il se trouve qu’il a également gravé la Septième dès 1959 (toujours avec Amsterdam, disque initialement paru chez l’éditeur Beulah). Le présent concert surpasse aisément cette gravure de « jeune chef », Haitink bénéficiant au surplus d’un orchestre dont le directeur musical précédent s’appelait Rafael Kubelík, autant dire un chef qui a su instiller avec ô combien de talent les couleurs de la Bohème et de l’Europe centrale à la phalange munichoise. Servi par une intense noirceur et une grande noblesse, l’Allegro maestoso emporte tout sur son passage grâce notamment à un art du rubato qui fait avancer sans cesse le mouvement, là où certains ont tendance à être trop statiques. Passons ensuite à la poésie du Poco adagio, où la clarinette, les violoncelles, le cor se couvrent chacun de gloire dans un lyrisme éperdu, légèrement mélancolique. Retour au tournoiement orchestral avec un Scherzo. Vivace qui pourra peut‑être un peu décevoir : on ne retrouve pas là le côté nostalgique que Kubelík (avec Berlin plus qu’avec Vienne), Giulini (avec l’Orchestre symphonique de Londres chez EMI) ou Dohnányi (immense disque avec Cleveland chez Decca) savaient y instiller mais l’ensemble ne manque néanmoins pas de panache. Le dernier mouvement voit de nouveau l’orchestre s’amuser pleinement dans un foisonnement de couleurs qui ne peuvent que conduire à recommander très vivement cette gravure ; espérons que d’autres surprises chez Dvorák nous attendent. Seule gravure en studio du coffret, le Scherzo capriccioso du même compositeur nous enchante absolument. Même s’il faut saluer la clarinette solo ou le cor, quel cor anglais surtout ! Immense interprétation dans une pièce orchestrale au lyrisme dévastateur (les cordes à 5’37) ; un complément de tout premier ordre.


Si Bernard Haitink a peu fréquenté Dvorák, on n’en dira pas autant de Mahler, dont il aura été toute sa vie un de ses plus grands interprètes, et ce à la tête des plus grands orchestres du monde. Ici, c’est la Septième Symphonie qui est à l’honneur, dans une version qui dépasse la réussite très relative de son enregistrement berlinois (Philips) sans, à notre sens, se hisser au sommet de la discographie. Les deux premiers mouvements sont pourtant irréprochables : un orchestre superlatif, des solistes hallucinants (cor, basson, contrebasson...)¸une diversité de climats à se damner, un sens des transitions (l’entrée des violoncelles dans la première Nachtmusik à 3’25) : n’en jetez plus ! Là où le bât blesse, c’est dans les deux mouvements suivants. Ainsi, le troisième mouvement (Scherzo. Schattenhaft (Fliessend, aber nicht schnell)) s’avère presque trop beau, trop élégant, manquant de ce côté grinçant qui participe pleinement à la musique de Mahler, certains passages manquant au surplus d’allant (à partir de 4’45 par exemple). Idem dans une certaine mesure pour la seconde Nachtmusik qui, en dépit d’un orchestre de tout premier plan auquel Haitink pouvait absolument tout demander (et dont il pouvait tout obtenir), manque de caractère, qui aurait pu être plus mordante par endroits. Le Rondo‑Finale. Allegro ordinario retrouve la réussite initiale, concluant ainsi une interprétation qui reste évidemment des plus recommandables.


Autre compositeur familier de Bernard Haitink, Chostakovitch, dont il a enregistré une intégrale modèle des symphonies chez Philips avec son orchestre amstellodamois. Composée à l’été 1943, dans la douleur et dans un climat de guerre évidemment présente, la Huitième Symphonie qui nous est ici donnée d’entendre est magnifique. Dès l’entrée des violons dans le long premier mouvement (Adagio – Allegro non troppo – Allegro – Adagio) qui, à lui seul, dure plus longtemps que les trois mouvements qui suivent, on est pris à la gorge. Haitink va à l’essentiel, sachant mettre en pleine lumière le lyrisme d’un cor anglais à tomber, maniant des pupitres de cuivres puissants et de cordes envoûtantes avec un art consommé de la tenue et de la progression. L’Allegretto met en valeur toute la dextérité des solistes de l’orchestre, à commencer par les vents (flûte piccolo, basson, clarinette), où les stridences de la partition ne sont jamais agressives, Haitink maniant le sarcasme musical avec un art consommé. Les cuivres s’en donnent ensuite à cœur joie dans le troisième mouvement (la trompette solo, les trombones !) avant que le chef néerlandais ne confère des couleurs presque mahlériennes au Largo, servi par des cordes qui allient savamment climat inquiétant et lyrisme éthéré. Honneur ensuite à peut‑être un des plus beaux traits d’orchestre pour basson, qui inaugure l’Allegretto, magnifique mouvement mettant en opposition les longues phrases des cordes aux traits plein d’alacrité des bois, certains tuttis orchestraux introduisant sous la baguette de Haitink des fracas dont la puissance ne tombe jamais dans la brutalité ; une version de tout premier ordre de la Huitième. Dernière œuvre au programme de ce vaste panorama, la Quinzième Symphonie du même Chostakovitch. Sauf erreur, voici le troisième témoignage de Bernard Haitink dans cette œuvre après une version en studio enregistrée à Amsterdam en 1978 et une en concert, avec le même orchestre, en 2010. Par rapport aux deux précédentes versions, le présent concert a gagné en profondeur en quelque sorte, les couleurs étant ici plus sombres, même les traits inauguraux de la flûte et du basson se voulant moins espiègles et facétieux que dans les deux autres enregistrements, les citations de l’Ouverture de Guillaume Tell étant également bien moins joyeuses ici que notamment dans la version de 1978. Avec une telle vision, le deuxième mouvement (Adagio – Largo – Adagio – Largo) ne pouvait que gagner en profondeur, le violoncelle solo nous emmenant dans des sommets auxquels répondent des chorals de cuivres d’une plénitude brucknérienne ou mahlérienne (c’est selon...). Si l’espiègle Allegretto n’appelle guère de commentaire, on ne pourra en revanche que dire combien l’auditeur sera sans doute impressionné par le dernier mouvement, empli de citations wagnériennes (La Walkyrie), qui revêt là des couleurs tragiques insoupçonnées : difficile de ne pas être ému en entendant cela, et en repensant ainsi à l’immense chef que fut Bernard Haitink. On l’aura compris : voilà un coffret majeur.


Sébastien Gauthier

 

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com