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05/17/2025
Jean-Baptiste Lully : Alceste ou le Triomphe d’Alcide, LWV 50
Véronique Gens (Alceste), Nathan Berg (Alcide), Cyril Auvity (Admète), Guilhem Worms (Lycomède, Charon, Un homme désolé), Camille Poul (La Nymphe des Tuileries, Céphise), Léo Vermot-Desroches (Lychas, Phérès, Alecton, Apollon), Geoffroy Buffière (Cléante, Straton, Pluton, Eole), Claire Lefilliâtre (La Gloire, Une femme affligée), Juliette Mey (La Nymphe de la Marne, Proserpine, Diane, Thétis), Cécile Achille (La Nymphe de la Seine, Une nymphe, Une ombre), Chœur de l’Opéra Royal, Lucile de Trémiolles (cheffe de chœur), Les Epopées, Stéphane Fuget (direction)
Enregistré dans la salle des Croisades du château de Versailles (26‑29 janvier 2024) – 179’33
Coffret de trois disques Château de Versailles Spectacles CVS149 (Collection « Opéra français », n° 28) (distribué par Outhere) – Notice (en français, anglais et allemand) de Stéphane Fuget, Laurent Sauron, Matthieu Franchin et Laurent Brunner


Sélectionné par la rédaction





Que d’eau a coulé sous les ponts depuis cette série de concerts donnée au début du mois de janvier 1992 au Théâtre des Champs‑Elysées au cours desquels Jean‑Claude Malgoire dirigeait la tragédie lyrique Alceste, deuxième collaboration entre Jean‑Baptiste Lully (1632‑1687) et Philippe Quinault (1635‑1688) ! Les représentations, qui donnèrent lieu à l’enregistrement pionnier paru chez Disques Montaigne après une quasi‑intégrale enregistrée déjà par Malgoire en 1975 pour Columbia Masterworks (avec Renée Auphan dans le rôle‑titre !), permirent au plus grand nombre de découvrir cette magnifique tragédie lyrique concoctée par le duo formé entre Lully et Quinault, son librettiste préféré. Repris avec succès par la suite, Alceste bénéficia d’une assez récente gravure signée Christophe Rousset (chez Aparté) et en voici donc une nouvelle, dirigée cette fois-ci par Stéphane Fuget à la tête de son ensemble Les Epopées.


Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes, Alceste connut, en janvier 1674, une création mouvementée, une cabale ayant affecté aussi bien les machineries et décors de Vigarini que le livret de Quinault qui, comme le rappelle opportunément Jérôme de La Gorce, était depuis plusieurs années victime d’attaques assez basses, lui reprochant notamment sa modeste extraction sociale (Jean‑Baptiste Lully, Fayard, février 2005, p. 204). Et pourtant, quel chef‑d’œuvre ! De la tragédie d’Euripide, les cinq actes de l’opéra ont gardé l’essentiel mais en enrichissant considérablement cette peinture de « l’héroïsme de l’amour conjugal » (pour reprendre l’expression de Platon dans Le Banquet) puisque la pièce antique démarre alors qu’Alceste est déjà morte, le tragique étant donc rendu ab initio en quelque sorte.


La princesse Alceste et le roi de Thessalie Admète doivent se marier mais Hercule (sous le nom d’Alcide) et Lycomède s’y opposent. Après qu’Alceste a été enlevée à la suite d’un stratagème organisé par Lycomède, Admète est grièvement blessé lors des combats lui ayant permis de délivrer sa bien‑aimée ; Apollon promet de le sauver si quelqu’un se sacrifie en retour. Evidemment, c’est Alceste qui commet le geste fatal ; Alcide descend donc dans les Enfers pour délivrer celle qu’il aime, Pluton consentant à ce qu’il la ramène sur terre. Or, les sentiments entre Alceste et Admète étant inchangés, Alcide renonce glorieusement à son amour et la tragédie se conclut par une fête célébrant l’union entre nos deux héros.


Même si l’on a à faire à une tragédie lyrique, c’est avant tout l’orchestre qui nous séduit ici, par ses timbres et sa réactivité, qui apportent à l’œuvre une dynamique qu’on n’avait pas à cette hauteur dans la version pourtant excellente de Christophe Rousset. Qu’il s’agisse de retranscrire toute la magnificence louis‑quatorzienne (le « Rondeau pour la gloire » dans le Prologue avec force trompettes et timbales), de peindre la verve des combats (à partir de la scène 3 de l’acte II) ou une douceur bucolique requérant bassons et musettes (l’« Air pour les divinités des Fleuves » dans le Prologue également), ou qu’il faille traduire toute la douleur causée par la mort d’Alceste (quelle retenue des cordes et quelle douceur dans le jeu des flûtes accompagnant la femme affligée à la scène 5 de l’acte III !), Les Epopées sont magnifiques de bout en bout. On signalera à ce titre les détails extrêmement intéressants apportés par Stéphane Fuget et Laurent Sauron dans la notice d’accompagnement sur le jeu instrumental requis dans cet enregistrement, notamment en ce qui concerne les hautbois (écoutez l’« Air pour les matelots » au début de la scène 7 de l’acte I) et les percussions. Evidemment, il faut saluer ici la parfaite compréhension de l’orchestre de Lully par Stéphane Fuget, toujours prompt à le relancer, à l’adoucir, sans jamais sacrifier la finesse de la partition aux élans requis par la dramaturgie de l’action.


Stéphane Fuget se montre également sous son meilleur jour lorsqu’il dirige les passages requérant, en plus d’une occasion, le Chœur de l’Opéra Royal, parfaitement préparé par la cheffe de chœur Lucile de Trémiolles. Là encore, tour à tour brillants (l’« Air pour les Divinités des Fleuves et les Nymphes » au sein du Prologue), joyeux (quel sens du rebond à la fin de la scène 6 de l’acte I) ou affligés (scène 4 de l’acte III où ils pleurent la mort d’Alceste), les vingt chanteurs du chœur incarnent un personnage en soi qui, à l’instar de ce qui se passait dans les tragédies grecques, s’avère tout à fait primordial au sein de l’intrigue. Cet art de conduire les masses réussit parfaitement au chef lorsqu’il dirige également des ensembles de voix, assez fréquents en l’espèce ; le mariage des tessitures et la symbiose des caractères sont ainsi parfaitement rendus. La scène 7 de l’acte I ou les scènes 4 et 5 de l’acte V sont autant d’exemples de cet entrain qui traduit à l’évidence un véritable esprit d’équipe.


Côté solistes, on n’a pas forcément à faire à a même réussite, sans non plus qu’il y ait de véritable maillon faible. Bien qu’elle se voie attribuer le rôle éponyme de l’œuvre, Véronique Gens n’a pas tant d’airs que cela à son profit ; d’ailleurs, souvenons‑nous que le titre complet de la tragédie lyrique est Alceste ou le triomphe d’Alcide. Et le fait est que cette œuvre est avant tout, pour ce qui concerne les premiers rôles, une tragédie lyrique pour voix masculines ! Cela fait des années que Véronique Gens s’est frottée à cette partition, par la petite porte tout d’abord (dans l’enregistrement de janvier 1992, elle incarnait notamment Proserpine et la Nymphe de la Marne) puis, quelques années plus tard, dans le rôle‑titre cette fois‑ci, toujours sous la baguette de Jean‑Claude Malgoire. Véronique Gens porte en elle toute la noblesse de l’héroïne et, quand bien même sa diction pourrait parfois être plus claire et plus précise (première scène de l’acte III), rachète largement ces quelques faiblesses par un sens de la dramaturgie qui achève de nous convaincre. Le duo qu’elle forme avec Admète à la scène 8 de l’acte II (« O Dieux ! Quel spectacle funeste ») est à ce titre bouleversant


Parfaitement rompu à ce répertoire, Cyril Auvity campe un Admète très sensible, dont la douceur de la voix et la précision de la prononciation méritent d’être saluées ; son air et ses échanges avec le chœur au début de l’acte V (« Alcide est vainqueur du trépas ») est un moment particulièrement réussi. Dans le rôle extrêmement important d’Alcide, Nathan Berg ne manque pas non plus de panache (par exemple à la scène 6 de l’acte II) : il lui en faut d’ailleurs du caractère pour supporter son amour contrarié avec Alceste et sauver celle qu’il aime qui, néanmoins, ne le choisira pas ! Guilhem Worms est plus inégal : si son personnage de Lycomède (d’ailleurs parfois orthographié Licomède dans le livret sans qu’on sache pourquoi on n’adopte pas la même orthographe partout) est plutôt convaincant même si s’il mériterait parfois davantage de caractérisation (l’air « Non, je ne puis vous pardonner » au début de la scène 2 de l’acte II pourrait sans nul doute être plus véhément), son interprétation du personnage de Charon est moins bonne (l’air « Il faut passer tôt ou tard » au début de l’acte IV est décevant à cet égard, handicapé par une voix inutilement caverneuse et une diction peu intelligible). Rien de tel pour ce qui concerne Léo Vermot-Desroches, qui interprète pas moins de quatre protagonistes (Lychas, Phérès, Alecton et Apollon). Qu’il s’agisse notamment de Lychas (scène 1 de l’acte I) ou d’Alecton (scène 4 de l’acte IV), le chanteur trouve toujours le ton juste et l’intonation qui sied au personnage incarné. Dommage que son Phérès manque tout de même un peu de caractérisation, et même d’humour dans l’air « Courage, enfants, je suis à vous » (scène 5 de l’acte II).


Côté interprètes féminines, deux chanteuses méritent de retenir tout particulièrement l’attention. Camille Poul tout d’abord, qui incarne magnifiquement le rôle de Céphise, personnage central de cette tragédie lyrique. Dès l’air « L’art d’accord avec la Nature » dévolue à la Nymphe des Tuileries dans le Prologue, on est séduit par cette fraîcheur et cette projection des plus limpides ; avec Céphise, Camille Poul y ajoute ses talents de comédienne. Si la stabilité de la voix est perfectible dans la scène 4 de l’acte I, ses accès de colère, son sens de la turpitude, ses élans amoureux aussi sont parfaitement rendus. Un nom à retenir dans le répertoire baroque français ! Juliette Mey est le second nom à ne pas oublier dans cet Alceste ; ses facilités techniques et sa musicalité évidente lui permettent de tout chanter, à commencer par cette Thétis pleine de colère et de fiel à la scène 8 de l’acte I. Si Claire Lefilliâtre assure ses deux rôles avec le professionnalisme qu’on lui connaît (tout particulièrement son rôle de femme affligée), on regrettera l’interprétation moyenne de Cécile Achille, qui n’en demeure pas moins convaincante sur l’ensemble.


Comme pour certaines autres publications de cette collection de Château de Versailles Spectacles, on regrettera quelques scories (la plage n° 6 du premier disque ne correspond pas à la numérotation figurant page 112 du livret) et surtout quelques omissions chez les interprètes. Compte tenu de la qualité de leur chant, nous aurions apprécié que les noms des deux chanteurs incarnant les Tritons à la scène 7 du Prologue soient explicitement mentionnés dans la notice. Pour autant, ne boudons pas notre plaisir et saluons cette magnifique réalisation qui offre à l’auditeur sans doute la version la plus recommandable à ce jour d’Alceste de Lully. C’est dire si l’on attend avec impatience les futures réalisations de la même équipe.

Le site de Stéphane Fuget et de l’ensemble Les Epopées
Le site de Véronique Gens
Le site de Nathan Berg
Le site de Guilhem Worms
Le site de Camille Poul
Le site de Léo Vermot-Desroches
Le site de Cécile Achille
Le site de l’Orchestre et du Chœur de l’Opéra royal de Versailles


Sébastien Gauthier

 

 

 

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