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08/29/2024
Marin Marais : Ariane et Bacchus
Judith van Wanroij (Ariane), Marie Perbost (La Gloire, Corcine), Hélène Carpentier (Terpsichore, Dircée, Un Songe), Véronique Gens (La Nymphe de la Seine, Junon), Mathias Vidal (Bacchus, Un Songe), Mathieu Lécroart (Géralde, Jupiter), David Witczak (Adraste), Tomislav Lavoie (Le Roi, Un sacrificateur), Philippe Estèphe (Pan, Le deuxième matelot, Lycas, Phobétor, Phantase, Alecton), Marine Lafdal‑Franc (L’Amour, Elise, La Naxienne), David Tricou (Un Plaisir, Un suivant du Roi, Le premier matelot, Mercure), Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Fabien Armengaud (direction artistique), Le Concert Spirituel, Hervé Niquet (direction)
Enregistré à l’Auditorium du Conservatoire Jean-Baptiste Lully, Puteaux (avril 2022) – 126’25
Album de deux disques Alpha 926 (distribué par Outhere) – Notice (en français, anglais et allemand) de Benoît Dratwicki et Silvana Scarinci


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Même s’il a abordé des répertoires ô combien différents au fil des ans, Hervé Niquet demeure profondément attaché à la période baroque, et tout spécialement à la musique baroque française – souvenons‑nous par exemple de ses disques Lully jadis publiés chez Naxos ou de ses tous premiers enregistrements consacrés à Jean Gilles, Louis-Nicolas Clérambault, André Campra ou Joseph Bodin de Boismortier également édités chez Naxos ou chez Adda. Et, en 2008, c’est l’exhumation de Sémélé, tragédie lyrique de Marin Marais (1656‑1728), enregistrée en février 2007 en l’église Notre‑Dame du Liban avec l’extraordinaire Shannon Mercer dans le rôle‑titre, entourée de jeunes pousses (Bénédicte Tauran, Jaël Azzaretti, Thomas Dolié...) appelées à connaître en particulier dans ce répertoire une carrière des plus brillantes (disques édités chez Glossa). Superbe découverte à l’époque d’un ouvrage lyrique qui dépassait notre connaissance d’un compositeur que l’on cantonnait assez facilement à ses pièces pour viole (seule ou en consorts) que le film Tous les matins du monde a su, dans une certaine mesure, populariser auprès du plus grand nombre.


Et voici qu’Hervé Niquet récidive avec cette nouvelle tragédie en musique du même Marin Marais, Ariane et Bacchus, créée le 8 mars 1696, sur un livret du bien oublié François Baladud de Saint‑Jean. Qu’on ne compte pas sur ce dernier pour nous bâtir un livret original et cohérent ; il faut dire que faire tenir en à peine deux heures un Prologue et cinq actes invite à aller à l’essentiel ! Après donc un premier temps consacré à la gloire de Louis XIV (passage obligé pour l’époque), l’ouvrage nous narre les aventures d’Ariane, aimée d’Adraste mais promise par les dieux à Bacchus, qui doit faire face à la vénéneuse Junon qui s’allie pour l’occasion au susnommé Adraste, la première pour se venger de Bacchus (fruits des amours infidèles entre Jupiter et Sémélé), le second pour, tout bonnement, éliminer un rival. Après que plusieurs tentatives pour tuer Bacchus aient échoué et que les perfides aient de nouveau menti à Ariane pour lui faire croire en l’infidélité du pauvre homme, l’opéra se clôt par la mort d’Adraste (à la suite d’un vif combat entre lui et Bacchus) et la célébration des amours entre nos deux héros sous la double bénédiction de Jupiter et Junon, qui a visiblement la mémoire courte (le livret ne nous apprenant pas pourquoi elle aura ainsi fait volte‑face).


Première gravure au disque, cette tragédie lyrique précède les deux autres grandes tragédies de Marin Marais que sont Alcione (1706) et Sémélé (1709). Cet enregistrement, publié en collaboration avec notamment le Centre de musique baroque de Versailles, fait suite aux représentations scéniques données au Théâtre des Champs‑Elysées en février 2022. Sans reprendre la notice accompagnant ces disques, soulignons immédiatement l’intérêt de cette résurrection qui nous permet de prendre conscience du foisonnement musical de l’époque, sorte de pont entre Lully et Rameau, la forme lullyste étant certes reprise mais de façon sans doute moins corsetée, la musique se voulant plus libre également, annonçant de fait les innovations mélodiques que Jean‑Philippe Rameau portera plus tard à un niveau bien supérieur.


La première réussite de cet enregistrement, et le mérite en revient avant tout à Hervé Niquet, réside dans le fait d’avoir réussi à assurer à l’œuvre toute sa cohérence. En effet, dans une tragédie comportant comme on l’a dit un Prologue et cinq actes, chaque séquence étant de fait réduite à peu ou prou une vingtaine de minutes, où les interventions solistes sont entrecoupées de multiples passages orchestraux, récits accompagnés par la basse continue ou quelque soliste instrumental, il était facile de tomber dans le piège du « séquençage » et d’aboutir finalement à une succession de numéros sans grand rapport les uns avec les autres. Mais Niquet a au contraire le geste large et la vision ample qu’il est nécessaire d’avoir ici, Ariane et Bacchus bénéficiant de fait de cette ligne dramatique dont elle ne se départ jamais, de la première à la dernière note. Certes, le revers de la médaille est que l’auditeur, tout comme l’orchestre notamment, respire peu ; parfois, on souhaiterait une pause, un tempo plus retenu, une ligne plus apaisée mais la clé de la réussite réside bien au contraire dans cette urgence que seuls quelques passages suspendus (notamment l’ensemble de la scène 6 de l’acte III avec le scène centrale du Sommeil) viennent refréner, mais sans conséquence pour le déroulement global de l’action.


La deuxième réussite de l’enregistrement tient à l’orchestre. Comme l’expliquent très précisément Benoît Dratwicki et Silvana Scarinci dans la notice d’accompagnement, l’« authenticité » se veut le maître-mot de cet enregistrement ; à ce jeu‑là, il importait donc de supprimer tous ces « colifichets recréant un "pittoresque baroque" » – ceux qui s’y reconnaîtront apprécieront – et de se limiter à l’instrumentarium qui existait au sein de l’orchestre de l’opéra dans les années 1700, en essayant de le reconstituer le plus fidèlement possible. A cet effet, Le Concert Spirituel associe au tutti (un orchestre fourni de trente‑quatre musiciens où les flûtes à bec, hautbois et bassons jouent par quatre !) un « petit chœur », c’est‑à‑dire un continuo, assez conséquent puisque composé de sept musiciens (deux basses de violon, deux théorbes, deux violes de gambe et un clavecin), auxquels il faut également ajouter deux violons solistes pour accompagner les ritournelles (celle débutant l’acte IV en particulier) et certains airs. De fait, on est immédiatement frappé, dès le début du Prologue, par l’amplitude de l’orchestre, par son allant, par la subtilité de son accompagnement aussi bien dans les épisodes dramatiques (le récit d’Ariane « Les Dieux, les justes Dieux l’auraient‑ils bien permis ?  » à l’acte I) que dans les passages les plus vifs (le chœur « Ah ! Que pour nous ce jour est un jour glorieux ! » à l’acte II). Les tutti sont magnifiquement conduits ; à cet égard, il faut mentionner la scène 6 de l’acte III, où la fluidité de la direction d’Hervé Niquet sublime les douces sonorités de flûtes et des cordes. Quant aux passages purement orchestraux, fort nombreux bien que parfois réduits à une vingtaine de secondes à peine, ils reflètent parfaitement l’enthousiasme du chef et de l’orchestre : la trompette brille dans le « Bruit de guerre » et dans l’« Air pour la descente de la Gloire» (Prologue), reflétant en moins de deux minutes toute la pompe du XVIIe siècle triomphant, les passages dansés sont enlevés (notamment dans la scène 5 de l’acte I avec force tambour, lequel nous emporte d’ailleurs avec lui, ou la scène 5 cette fois‑ci de l’acte II avec un tambourin tout aussi déchaîné), la superbe Chaconne de l’acte II nous enivre (près de six minutes de musique où l’orchestre brille littéralement, est relancé comme il convient, et dans laquelle on admire notamment la dextérité des hautbois et bassons à partir de 1’48). On pourrait multiplier les exemples mais force est de constater que cette musique ravit l’oreille et témoigne des talents indéniables du compositeur.


Judith van Wanroij incarne une très belle Ariane, tour à tour en proie à la furie (combien de fois n’a‑t‑elle pas envie de se venger de Bacchus, quelle croit infidèle alors qu’il lui est, le pauvre, totalement dévoué ?), au désespoir (jusqu’à sa volonté de mettre fin à ses jours), à la rêverie, à la méditation... Même si la prononciation pourrait parfois être plus claire (mieux vaut avoir le livret sous les yeux dans les « Prélude et récit » ouvrant le premier acte), la jeune chanteuse convainc par son tempérament (le récit de la première scène de l’acte II), par sa technique vocale (magnifique air « Hélas ! Ce n’est point la tendresse » à la scène 5 de l’acte III) et par son écoute palpable dans plusieurs duos de belle figure avec Bacchus aux actes IV et V. Face à elle, Mathias Vidal incarne un Bacchus extrêmement touchant, qui bien souvent ne peut que déplorer aussi bien les pièges qui lui sont tendus que les réactions d’Ariane, qu’il ne peut que trouver légitimement injustes à son égard. La voix du ténor habitué du répertoire baroque ne pèche pas cette fois‑ci par certains aigus un rien fragiles ; on ne peut, au contraire, que louer la tenue de la ligne, le sens des mots (écoutez le récit ouvrant la première scène du quatrième acte après la belle ritournelle offerte par les deux violons solos) et la fragilité du personnage justement dépeinte.


Bien que ne chantant que peu (Junon est à l’esprit de tous mais n’apparaît que peu), Véronique Gens offre ses qualités habituelles même si, dans le rôle de la Nymphe de la Seine cette fois‑ci, sa voix nous semble marquée par un vibrato excessif (le récit « J’aime vos soins... » dans le Prologue). Qu’elle incarne la Gloire ou Corcine, Marie Perbost est irréprochable grâce à une voix superbe, alliant diction parfaite et suavité exemplaire (le récit au début de l’acte II) ; dotée de trois rôles, Hélène Carpentier est également très bonne même si, là encore, la prononciation pourrait être perfectible (« Vous me fuyez, Adraste, ô ciel quelle froideur ! » à la scène 3 de l’acte I), mais quel air ouvrant l’acte V ! Dans le rôle d’Adraste, David Witczak est tout bonnement parfait à chacune de ses interventions (quelle justesse dans le caractère, quelle musicalité ! sans aucun doute un des grands triomphateurs du présent album), le duo qu’il forme avec Mathieu Lécroart (dans le rôle de Géralde) tout au long de la deuxième scène de l’acte I étant un superbe moment de musique. Saluons enfin David Tricou (facilité dans les aigus notamment à la scène 6 de l’acte II lorsqu’il incarne un suivant du Roi mais également dans le cadre du Prologue) et Philippe Estèphe, magnifique baryton, d’une justesse sans fard quel que soit le rôle endossé. Ajoutons à l’ensemble les prestations toujours impeccables des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, véhéments dans le Prologue, pleins d’allant et tout en force tranquille dans le premier acte, concluant d’ailleurs l’œuvre de façon à la fois brève et calme, loin des fioritures et de la joie explosive qu’on pouvait attendre.


Ce n’est pas la moindre surprise de cette tragédie de haute volée qui mérite nos plus vives salutations !


Le site du Concert Spirituel et d’Hervé Niquet
Le site de Marie Perbost
Le site de Véronique Gens
Le site de Mathias Vidal
Le site de David Witczak
Le site de Philippe Estèphe
Le site de David Tricou
Le site de Marine Lafdal-Franc
Le site des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles


Sébastien Gauthier

 

 

 

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