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07/13/2024
« Homeland »
Edvard Grieg : Concerto pour piano, opus 16
Manuel de Falla : Noches en los jardines de Espana

Judith Jáuregui (piano), Orquesta Sinfónica de Castilla y León, Kaspar Zehnder (direction)
Enregistré à Valladolid (18‑20 janvier 2023) – 55’58
SACD Eudora EUD‑SACD‑2405





« 1823 »
Franz Schubert : Moments musicaux, D. 780
Martín Sánchez Allú : Sonate en mi bémol majeur opus 1

Noelia Rodiles (piano)
Enregistré à Saragosse (27 février-1er mars 2023) – 58’21
SACD Eudora EUD‑SACD‑2306





« Mysterium »
Julián Orbón : Partite n° 4
Manuel Martínez Burgos : Cloches

Noelia Rodiles (piano), Oviedo Filarmonía. Lucas Macías (direction)
Enregistré à Oviedo (23‑25 août 2023 et 31 janvier-2 février 2024) – 48’17
SACD Eudora EUD‑SACD‑2406





Le Concerto en la mineur de Grieg est une des pièces concertantes dont le début est emphatique – une tradition qui va de Liszt à Rachmaninov. Mais il offre aussi beaucoup de nuances. L’interprétation de Judith Jáuregui (née en 1985) est tout à fait contrastée tout au long de l’œuvre, entre l’affirmation du premier thème et la poétique contenue dans l’Allegro molto moderato et, surtout, dans l’Adagio central, une touche délicate, riche en suggestions, voire l’introspection d’une pianiste qui n’est plus une jeune promesse, mais une réalité incontestable, déployant sa première maturité. Une sagesse à affirmer dans l’avenir. Enfin, un Grieg pour se placer entre les plus belles références.


Les nuances aussi, les diminuendi, le domaine des pianissimi... tout cela est présent dans la très belle version de Jáuregui des Nuits dans les jardins d’Espagne, pièce concertante et poème symphonique en même temps. Attention, entre autres moments pleins de beauté, à la « Danse lointaine », deuxième des trois mouvements, pour le contraste entre les moments délicats et l’éclat des évocations populaires. Jáuregui y domine ce qu’on pourrait appeler la poetica della lontananza, peut‑être tout un genre musical caché dans les œuvres des temps où la musique et l’émotion produisaient des pages comme celle‑ci, en attendant des poètes du pianisme tels que Judith Jáuregui.


Kaspar Zehnder, avec l’Orchestre symphonique de Castilla y León, assure un accompagnement plein de fougue mais aussi avec des moments pleinement au service de l’art de cette excellente pianiste. Un orchestre jeune, un chef suisse en pleine possession de ses moyens.


Les premier mesures des Moments musicaux de Schubert par Noelia Rodiles (née en 1985) nous font comprendre que nous sommes dans une approche différente de la tradition d’interprétation de ces pièces. Forcer une nuance piano, plus encore qu’un pianissimo, va au‑delà de la technique d’un soliste, et cela a un rapport certain avec la façon, la maniera de forcer cette nuance pour nous entraîner dans le mariage presque inexplicable entre technique et poésie pure. Délicat, bien sûr, mais cela ne dit pas tout. C’est l’élégance renonçant à l’affirmation parce elle préfère suggérer. La nuance entre piano et mezzo‑forte est importante pour comprendre la logique du Schubert de Noelia Rodiles, qui a d’ailleurs a une vocation schubertienne avérée. Tout cela est compatible avec la joie de l’Allegretto moderato et ses ornements. Une joie nuancée, contenue, une marche, pas une marche militaire, mais une musique qui suit son parcours, tout comme des polonaises déjouant l’héroïsme ; un Schubert où le forte est presque toujours exclu.


Après un Schubert frôlant l’excellence, la très importante nouveauté est la Sonate en mi bémol majeur de Martín Sánchez Allú (1823‑1858). Fernando Delgado le rappelle dans la notice : 1823 est une année malchanceuse ; pour l’Espagne, c’est l’invasion des « cent mille fils de Saint Louis », envoyés par la contrerévolution établie par le Congrès de Vienne. C’est le retour de l’Ancien Régime et la sanglante répression du roi felón (traître) Ferdinand VII. Mais 1823 est aussi l’année où commence la maladie de Schubert. Mais 1823 est aussi l’année où Martin Sánchez Allú est né à Salamanque. Il ne vivra que trente‑cinq ans, et on peut dire qu’il a été caché, ou c’est plutôt son époque qui l’a caché. Celui qui excelle dans quelque domaine que ce soit aura tout de suite des ennemis – qui disait cela... Bukowski ? C’est peut‑être le cas de Sánchez Allú.


Sa sonate possède le niveau de conscience musical qui régnait en Europe quand il l’a composée (1853) : des sonorités du dernier classicisme, pas trop de Beethoven, mais on peut identifier des sensibilités allant de Mozart à Schumann. Un Allegro brillante étincelant, riche en notes rapides, exigeant un pianiste virtuose dans une course épuisante. Un grand mouvement et, après, trois autres de durée plus brève. Rodiles défend avec une grande hauteur artistique cette sonate composée dans un pays où l’on méconnaissait les sonates au milieu du XIXe siècle. Et elle joue cette œuvre en lui redonnant vie, avec le même point d’honneur que son Schubert, et cela est spécialement visible dans l’Andante cantabile.


En conclusion, un récital où Noelia Rodiles nous donne une référence, ses Moments musicaux de Schubert, à un niveau qui n’a rien à envier aux grands enregistrements, et une nouveauté d’un grand intérêt, une révélation du trop méconnu patrimoine espagnol du XIXe siècle.


Noelia Rodiles, férue de Schubert et Ligeti, aborde maintenant des musiques dont l’originalité et le grand niveau artistique font de ce second album un événement extraordinaire. Un programme où la redécouverte de deux œuvres importantes réclame le style et la poétique de Rodiles, entre rares exclamations et chuchotements, tout cela pas à pas, de façon nuancée et expressive.


Les Partitas n° 4 (1985) de Julián Orbón (1925‑1991) sont une œuvre épatante. Presque 25 minutes d’un développement implacable, une partie déployant une musique énigmatique et l’autre, enchaînée, séduisante, mais avec une tendance à l’exaltation, dont les racines plongent dans le romantisme tardif, quoiqu’nnonçant d’autres écoles et sensibilités. Cette œuvre magnifique a été créée il y a longtemps à Dallas, et a été jouée par des orchestres comme celui du Concertgebouw d’Amsterdam, le Symphonique de Londres, l’Orchestre Simón Bolívar, le Philharmonique de Rotterdam... Il s’agit d’une de ces œuvres grandes, pleines d’ambition artistique, émouvantes, qu’il faut accueillir avec respect et, en même temps, du désir. Noelia Rodiles développe d’une façon magistrale les nuances, les évolutions, les contrastes de cette œuvre qu’elle défend depuis des années.


Manuel Martínez Burgos, né à Madrid en 1970, a développé son œuvre dans une ambiance postérieure à la combativité de l’avant‑garde européenne, comme on peut le percevoir nettement à travers d’œuvres comme Cloches (2021). C’est une très belle suite pour piano et orchestre où la couleur est importante, mais il faut se pencher sur la nuance, la montée et la descente des gammes dynamiques, les idées, voire les phrases surgissant du rapport entre soliste et instruments. Ce récital est une nouvelle réussite de Noelia Rodiles, accompagnée cette fois‑ci par la Philharmonie d’Oviedo, soigneusement dirigée par Lucas Macías.


« Mysterium » ? Enigme, peut‑être. Un disque vraiment stupéfiant.


Le site de Judith Jáuregui
Le site de Noelia Rodiles
Le site de Manuel Martínez Burgos


Santiago Martín Bermúdez

 

 

 

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