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10/07/2023 Jules Massenet : Ariane Amina Edris (Ariane), Kate Aldrich (Phèdre), Jean‑François Borras (Thésée), Jean‑Sébastien Bou (Pirithoüs), Julie Robard‑Gendre (Perséphone), Marianne Croux (Eunoé, Première Sirène), Judith Van Wanroij (Chromis, Cypris, Seconde Sirène), Yoann Dubruque (Le chef de la nef, Premier matelot), Philippe Estèphe (Phéréklos, Second matelot)
Chor des Bayerischen Rundfunks, Stellario Fagone (chef de chœur), Münchner Rundfunkorchester, Laurent Campellone (direction)
Enregistré à Munich (27 et 29 janvier 2023) – 166’
Livre et trois disques Bru Zane collection « Opéra français » (vol. 37) BZ 1053
Must de ConcertoNet
Il y a longtemps que l’on sait que le long purgatoire dans lequel ont patienté les œuvres lyriques de Jules Massenet (1842‑1912) est bien terminé et ceci principalement grâce au Festival biennal Massenet de Saint‑Etienne depuis 1990 et plus récemment par les actes musicologiques, d’enregistrements et de diffusion de la Fondation Palazzetto Bru Zane-Centre de musique romantique française à Venise. Mais le dernière événement en date est d’importance : la résurrection en concert puis son premier enregistrement mondial de l’opéra Ariane, grand drame mythologique aux dimensions quasi wagnériennes.
Dans la veine antique de Sapho, Hérodiade, Thaïs et Bacchus, voici donc Ariane, opéra en cinq actes sur un livret au style plutôt ampoulé de Catulle Mendès créé à l’Opéra de Paris le 31 octobre 1906, composé pour dix solistes, coryphées, voix choisies, chœur et même danseurs. On comprend pourquoi l’œuvre n’a pas survécu à son succès et la frilosité des théâtres lyriques à la remonter depuis. Il fallut attendre 2007 pour que le chef français Laurent Campellone ait l’audace de retendre le fil d’Ariane au Festival de Saint‑Etienne. C’est encore lui qui est le maître d’œuvre de cette reprise en version de concert en janvier 2023 au Prinzregentheater de Munich, dont cet enregistrement est le reflet.
« Véritable péplum cinématographique avant l’heure » selon Alexandre Dratwicki, directeur de la Fondation Palazzetto Bru Zane, l’œuvre prend quelques libertés avec la supposée vérité mythologique, notamment à sa fin quand Ariane descend aux Enfers pour sauver sa sœur Phèdre et la laisse partir avec Thésée avant de céder à l’appel des Sirènes... Comme Esclarmonde, l’opéra se situe dans une lignée postwagnérienne (richesse des cuivres dans l’orchestration très dense, utilisation de leitmotivs) mais Massenet revendiquait beaucoup un retour au grand art français du XVIIIe. Le langage chanté est tout à fait original, même si l’on décèle parfois dans les lignes d’Ariane une similitude avec celles de Manon, notamment dans le grand air « Ah ! La cruelle ! Ah ! Le cruel ! » du quatrième acte. L’œuvre abonde en duos, ariosos et airs, dont aucun n’aura fait carrière séparément, alors que certains airs de Sappho ou Thaïs ont pu entretenir leur mémoire pendant leur période de purgatoire.
La réalisation est épatante, réunissant probablement la meilleure distribution possible aujourd’hui avec deux Français, le ténor Jean‑François Borras, qui allie en Thésée force et délicatesse, et le baryton Jean‑Sébastien Bou, admirable de ligne et de timbre en Pirithöus. Chez les dames, Amina Edris (Ariane) et Kate Aldrich (Phèdre) rivalisent de splendeur vocale mais la diction n’est pas toujours parfaite. Leurs rôles sont écrasants et elles les assument sans fatigue évidente.
Les seconds rôles sont parfaits aussi, autant la Perséphone de Julia Robard‑Gendre que Marianne Croux (Eunoé et Première Sirène). L’Orchestre et le Chœur de la Radio bavaroise tissent une magnifique toile de fond à cette grande aventure mythologique sous la direction très énergique et d’une grande précision de Laurent Campellone.
Comme pour chacune de ces éditions de la Fondation Palazzetto Bru Zane, la présentation est magnifique, le livre cartonné de 167 pages est superbement illustré et, outre les textes de présentation de l’œuvre, contient des interviews de Massenet et la réaction de Gabriel Fauré après la première de l’œuvre.
Olivier Brunel
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