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08/14/2023 « Héroïnes. Cantates françaises »
Jean-Baptiste Morin : Ouverture
Louis Antoine Dornel : Le Tombeau de Clorinde [3]
Nicolas Racot de Grandval : Airs sérieux et à boire : « J’ai languy sous vos dures lois » [1], [2] et [3]
Jean-Baptiste Lully : Ballet des amours déguisés : « Plainte d’Armide » [2]
Elisabeth Jaquet de la Guerre : Céphale et Procris (extraits) [1]
Anonymes : Une fillette de quinze ans [3] – Ballet de la Reine : « Nos esprits libres et contents » [1, 3]
Michel Pignolet de Montéclair : La morte di Lucretia [1] Victoire Bunel [1], Anna Reinhold [2] (mezzo‑sopranos), Guilhem Worms [3] (baryton‑basse), Roxana Rastegar, Pierre‑Eric Nimylowycz (violon), Ronald Martin Alonso (viole de gambe), Benjamin Narvey (théorbe, guitare baroque), Ensemble Il Caravaggio, Camille Delaforge (clavecin et direction)
Enregistré dans la salle Marengo du château de Versailles (19‑21 décembre 2021) – 58’02
Château de Versailles Spectacles CVS 090 (collection « La Chambre des Rois » n° 10) – Notice (en français, anglais et allemand) de Camille Delaforge et Julien Dubruque
Sélectionné par la rédaction
Au‑delà de l’éclectisme apparent de cet album, le fil conducteur consiste à mettre à l’honneur quelques grandes figures féminines. Clorinde, Armide, Procris, Lucrèce sont ainsi tour à tour convoquées mais ce sont aussi, de manière générale, les femmes qui sont saluées, avec notamment le destin des jeunes filles tout juste adolescentes et déjà promises à des mariages de raison ou, tout simplement, les femmes aux prises avec les sentiments amoureux peints sous des formes diverses et que chacun (et chacune) peut donc justement éprouver.
Ce disque, dirigé du clavecin par la talentueuse Camille Delaforge, est à bien des égards exemplaire.
Exemplaire, tout d’abord, en raison des œuvres enregistrées ; outre leur rareté proprement dite, les genres se mêlent (cantates de Dornel ou Pignolet de Montéclair, extrait d’un ballet de Lully, compositions anonymes...) et les découvertes s’étalent sous nos yeux et nos oreilles avec un plaisir que la diversité des timbres renouvelle sans cesse. Si l’instrumentarium est des plus réduits (deux violons, une viole de gambe, un théorbe ou une guitare baroque et un clavecin), les sonorités n’en sont pas moins chatoyantes (La morte di Lucretia, que l’on pourrait croire composée par Vivaldi ou un de ses congénères italiens...), parfois d’une sensibilité à fleur de peau (quelle merveille que ce Ballet de la Reine anonyme qui clôt le programme !), les deux violons s’illustrant en plus d’une occasion par une virtuosité assez impressionnante (le premier air de Céphale et Procris).
Exemplaire ensuite grâce aux trois solistes qui incarnent chacun cette jeune génération de chanteurs français pour lesquels le répertoire baroque tient lieu de terre d’élection. Sans doute la plus connue, Anna Reinhold (que l’on a déjà pu entendre sous la direction de Camille Delaforge dans le rarissime ouvrage Les Génies ou les Caractères de l’Amour de Mademoiselle Duval) interprète principalement ici les extraits de l’ouvrage de Lully, Le Ballet des amours déguisés (1664). La langue italienne sied comme un gant à la jeune mezzo, qui passe avec la même conviction de la plainte à la véhémence du caractère de son personnage, à la fois empli de colère et de tristesse. Issue de la Maîtrise de Radio France, Victoire Bunel a déjà derrière elle une jolie carrière, qui lui a permis de chanter aussi bien Ligeti que Vivaldi ; sur ce disque, elle est impeccable dans chacune de ses interventions, à notre sens plus convaincante dans Pignolet de Montéclair (l’air « Assistetemi, oh Dei ! », où elle joue à fond la carte dramatique) que dans Jacquet de La Guerre, même si l’air poignant « Lieux écartés » mérite d’être salué. Mais la palme revient finalement (peut‑être) au jeune baryton Guilhem Worms, fin connaisseur de la musique française (des Fées du Rhin d’Offenbach à Carmen de Bizet) comme de la musique du XVIIe siècle. Même s’il lui arrive de s’engorger un peu en de rares occasions alors que la prononciation est généralement parfaitement intelligible, on tombe sous le charme d’une voix parfaitement tenue (quel ambitus, comme l’illustre le passage « tout me devient affreux » dans l’air « La clarté du jour m’est ravie » au sein de la cantate de Dornel !), aux graves chauds, passant par tous les registres requis par ces partitions d’une diversité encore une fois extraordinaire. Pour qui souhaite d’ailleurs écouter ce disque, on conseillera de commencer par le dernier air chanté à la fois par Victoire Bunel et Guilhem Worms : difficile de ne pas succomber...
Soulignons enfin la belle réalisation formelle de l’album, le livret rehaussé de magnifiques illustrations (comme à chaque fois dans cette collection) et d’une notice intéressante de Julien Dubruque, laquelle souffre néanmoins de quelques approximations. Ainsi, dans la cantate de Dornel, la reprise de la fin du récitatif est « mon affreux tourment » et non « mon affreux serment », cette reprise n’étant d’ailleurs étrangement pas retranscrite à la page 42 de la notice d’accompagnement ; par ailleurs, dans la chanson populaire Une fillette de quinze ans, Guilhem Worms chante « elle priera Dieu pour tes parents » et non « pour ses parents » et, plus loin, « Celui que mon cœur a charmé » et non « que mon cœur a choisi » (cf. page 50 de la notice).
Peccadilles face à une réalisation encore une fois largement exemplaire qui confirme tout le talent des artistes de cet album que l’on recommandera donc chaudement.
Le site de Camille Delaforge et de l’Ensemble Il Caravaggio
Le site de Victoire Bunel
Le site d’Anna Reinhold
Le site de Guilhem Worms
Sébastien Gauthier
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