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08/14/2023 Antonio Vivaldi : Serenata a tre « Mio cor, povero cor », RV 690 Marie Lys (Eurilla), Sophie Rennert (Nice), Anicio Zorzi Giustiniani (Alcindo), Abchordis Ensemble, Andrea Buccarella (direction)
Enregistré à Riehen, Suisse (4‑7 juin 2022) – 72’38
Naïve OP 7257 (« Vivaldi Edition » vol. 70) – Notice (en français, anglais, italien et allemand) de Cesare Fertonani
Must de ConcertoNet
Dans le cadre d’un précédent compte rendu, nous avions abordé le genre de la cantate chez Vivaldi et nous avions à cette occasion salué la réussite du disque réalisé par l’Ensemble Abchordis, qui accompagnait alors la soprano Arianna Vendittelli, en souhaitant que ce volume de six cantates soit suivi par beaucoup d’autres. Nos souhaits ont été exaucés avec ce disque consacré à cette fois‑ci non pas à une cantate mais à une sérénade dont Cesare Fertonani nous explique parfaitement, dans la notice d’accompagnement, les origines et caractères propres.
La présente sérénade, aux dimensions conséquentes, a été écrite vraisemblablement en 1718 pour le mariage d’Anne‑Marc Goislard du Toureil (ca. 1692‑1736), gentilhomme français proche de Vivaldi au point d’avoir été le parrain de Daniel, neveu du compositeur. A cette occasion, Fertonani nous rappelle que le destinataire initialement pressenti de cette sérénade, par le pourtant fin connaisseur de Vivaldi qu’est Michael Talbot, n’était pas le bon ; en effet, c’est Aurelia Ambrosiano qui, en 2019, au fil de recherches savantes, a émis la très vraisemblable hypothèse que c’est donc Anne‑Marc Goislard du Toureil qui serait le destinataire de cette œuvre et non l’abbé Jean de Tourreil comme on le pensait jusqu’alors. Bien que la notice ne le signale pas, on renverra le lecteur à l’article de Mme Ambrosiano sur ce point, article que l’on peut facilement trouver sur internet mais qui n’existe malheureusement (sauf erreur) qu’en italien (pp. 3‑27).
L’intrigue de cette sérénade est on ne peut plus classique. Dans une atmosphère typiquement arcadienne, la nymphe Eurilla est amoureuse d’un berger, Alcindo, qui, bien que véritable coureur de jupons, a une conception de l’amour on ne peut plus désabusée. Avertie du manque de scrupules de l’intéressé par son amie Nice, Eurilla décide alors de se venger en forçant Alcindo à tomber amoureux d’elle. Et c’est ce qui arrive mais le visiblement sincère (cette fois‑ci) Alcindo se fait vertement éconduire par Eurilla, laquelle estime que cet amour est une fois encore totalement feint, le berger se faisant alors ridiculiser par le chœur conclusif (qui ne fait que rassembler les trois solistes vocaux) dans une parole que l’on pourrait résumer par la maxime « tel est pris qui croyait prendre ».
Les trois chanteurs requis sont idéaux. Dans le rôle d’Eurilla, Marie Lys est superbe de bout en bout. On avait déjà loué les immenses mérites de cette chanteuse, qu’il se fût agi d’œuvres de compositeurs italiens aujourd’hui bien oubliés avec l’Ensemble Abchordis déjà (voir ici) ou de son rôle d’Osira dans le méconnu Argippo de Vivaldi sous la direction de Fabio Biondi : avec ce disque, elle se révèle être une fois encore parfaite dans ce type de répertoire. Que ce soit dans l’air « Con i vezzi lusinghieri », qui bénéficie d’un accompagnement enjoué (mention spéciale au clavecin et à la guitare), de l’air « Se all’estivo ardor cocente », où l’accompagnement se fait d’une délicatesse et d’une discrétion exemplaires, ou du techniquement redoutable « Vorresti lusingarmi », Marie Lys nous charme par la pureté et la souplesse de son chant, la délicatesse de son expression, l’exemplarité de sa diction.
Eurilla bénéficie de six airs, Nice de seulement quatre : le rôle de cette dernière ne requiert pas moins de talent, ni moins de technique que celui de la nymphe de cette sérénade. Et d’ailleurs, Sophie Rennert est elle aussi excellente ! S’illustrant avant tout dans le formidable air « Ad infiammar quel seno » où elle dialogue avec un charme fou avec le violon solo, elle nous livre également un magnifique « Come l’erba in vago prato », air légèrement mélancolique où sa musicalité et sa longueur de souffle font merveille. Quant à Anicio Zorzi Giustiniani, il campe avec une aisance indéniable le personnage d’Alcindo ; on appréciera tout particulièrement l’air « Acque placide che correte », qui bénéficie d’une introduction orchestrale de toute beauté (légère houle des cordes...), ainsi que l’air virtuose « Dell’alma superba ». Dommage tout de même qu’il ne caractérise pas davantage les états d’âme du personnage qui pourrait être parfois bravache, parfois pensif, parfois outré... Le chant s’avère un peu lisse et reste donc trop monochrome à notre goût.
Mais heureusement pour lui (et pour nous), l’orchestre de Vivaldi demeure : et à ce jeu‑là, les lauriers sont amplement remportés par un Ensemble Abchordis tout en verve, dirigé avec maestria par Andrea Buccarella. Il faut dire que la partition est d’une richesse exemplaire : outre les habituelles envolées ou, au contraire, notes parsemées ici ou là des cordes, la sérénade Mio cor, povero cor (puisque telle est parfois son appellation, qui reprend le premier vers de l’œuvre) requiert également un basson des plus habiles (quelle intervention dans l’air déjà cité « Dell’alma superba » !), deux cors pour illustrer l’air de la chasse, passage presque obligé à cette époque (l’air d’Eurilla « Alla caccia d’un core spietato »), une guitare baroque endiablée (l’air « La dolce auretta »), les exemples pouvant être multipliés puisqu’étant aussi nombreux que les airs eux‑mêmes ! Quel que soit le passage, l’Ensemble Abchordis s’illustre de façon continue, traduisant avec une justesse de chaque instant tous les affres de l’âme humaine que peignent les trois héros d’une sérénade qui, bien qu’ayant connu plusieurs enregistrements à ce jour (de la quelque peu datée version dirigée par René Clemencic chez Harmonia Mundi à la formidable version dirigée par Federico Maria Sardelli, grand spécialiste de Vivaldi, chez Glossa, Elisabeth Breuer y campant une Eurilla de tout premier ordre, en passant par la version tout à fait honorable d’Edwin Löhrer chez Naxos), est ici véritablement consacrée dans une version superlative.
Le site de l’ensemble Abchordis
Le site de Marie Lys
Le site de Sophie Rennert
Sébastien Gauthier
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