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12/04/2022

« Agni Kunda »
Mili Balakirev : Berceuse en ré bémol majeur
Enrique Granados : Goyescas, opus 11 : 5. « El amor y la muerte »
Clara Schumann : Second Scherzo pour piano en ut mineur, opus 14
Marko Tajcevic : 23 Variations sur un thème en ut mineur
Nikolaï Medtner : Contes, opus 20
Claude Debussy : Préludes (Premier Livre) : 7. « Ce qu’a vu le vent d’Ouest »
Alexandre Scriabine : Trois Pièces, opus 45 : 1. « Feuillet d’album »

Isıl Bengi (piano)
Enregistré au Centre culturel de Flagey, Bruxelles (août 2022) – 43’43
Insolite Records INS02 – Notice (en français, anglais et allemand) d’Isıl Bengi


Sélectionné par la rédaction





A la suite de « Hikaye » et de « Terre de jeu », Isıl Bengi propose un troisième programme à thème qu’elle illustre une nouvelle fois par un choix de pièces inattendu et tout à fait personnel. « Agni Kunda » a plusieurs sens en Inde. Isıl Bengi s’inspire du sens sanskrit, feu et une forme d’énergie, pour établir une correspondance entre les partitions qu’elle met au répertoire de cet album. Comme toujours, sous ses doigts, elles trouvent un brillant de diamant tempéré de la grande sensibilité engageante de son interprétation.


Les pièces sont souvent une seule page d’un recueil comme le Premier Livre des Préludes (1909‑1910) de Debussy (1862‑1918) dont la pianiste turco‑belge n’interprète que le septième, mais elle donne à chaque pièce sa part d’une énergie intense aux éclats de feu, intériorisés pour la Berceuse (1901) de Balakirev (1837‑1910), entre autres, pour laquelle sa prestation conduit moins à la paix du sommeil qu’à la douce ou dramatique aventure des rêves. Plus tard dans son programme vient le formidable « Ce qu’a vu le vent d’Ouest », de Debussy, qui, en contraste, offre une tension permanente, changeante, et rapide comme les turbulences d’une bourrasque. Grâce à la grande richesse harmonique, chromatique et pianistique de la composition, emportée de main de maître par Isıl Bengi, l’ensemble suggère, sans que rien ne soit précisé, le tourment et la fureur des spectacles d’une nature en pleine révolte auxquels ce vent d’ouest a pu se confronter.


Parmi les compositeurs plus ou moins contemporains de Debussy, le choix se porte sur Granados (1867‑1916), Scriabine (1872‑1915) et Medtner (1880‑1951). Dans une écriture pianistique grandiose mais plus simple que celle de Debussy, la ballade « El amor y la muerte », par ordre chronologique la cinquième page des Goyescas (1911) de Granados, déferle à la fois fluide, dramatique, sombre et douloureuse, bien conforme dans son ensemble ici à l’une des indications du compositeur : « Molto espressivo et come una felicità nel dolore ». La première des trois Pièces opus 48 (1905) de Scriabine, « Feuillet d’album », clôt le récital sur une réflexion introspective et plus nostalgique qui se termine sur deux seules notes espacées, la dernière d’un pianissimo bouleversant. Cette petite miniature d’à peine plus d’une minute relève encore d’une veine romantique, colorée par le tempérament magnétique d’un compositeur en pleine évolution.


Tout s’enflamme à l’écoute des deux Contes opus 20 (1909) de Medtner, que Bengi livre avec une expressivité incandescente. Medtner a composé trente‑huit Contes peut-être parce que, comme la Fantaisie, ce genre, sans titre, lui permettait d’écrire de manière subjective avec une liberté proche de l’absolu, mais les ardeurs de ce romantique dans l’âme sont restées trop longtemps méconnues, éclipsées, fut un temps, par les prouesses de Rachmaninov. Ses compositions exigent souvent une virtuosité débridée. Isıl Bengi en a l’étoffe. Elle assume la course folle du premier Conte aux tensions stimulantes « comme si l’on implorait quelqu’un en une fervente supplique » comme Medtner le préconisait. Dans le second, elle fait sonner une campanella plutôt menaçante de manière éblouissante.


Avant l’œuvre la plus récente au programme, les Variations sur un thème (1948) de Marko Tajcevic (1900‑1984), vient la plus ancienne : le Second Scherzo pour piano (publié en 1845) de Clara Schumann (1819‑1896), puissant, tempétueux et aux voix secondaires d’une impressionnante fluidité rageuse. En son milieu vient une poétique accalmie mélodique qui finit par faire subtilement place à la grande puissance du mouvement perpétuel initial. Bengi semble tout à fait en phase avec cette pièce qu’elle interprète avec une essentielle intensité virtuose.


Ultime œuvre pour le piano de Tajcevic, les vingt‑trois brèves Variations portent sur un thème solennel de huit mesures annoncé en ouverture et repris in fine en lancement de la dernière variation. Le compositeur serbo‑croate abandonne sa propension pour les fragrances nationales, telles celles des Danses serbes de 1937, pour adopter un style d’une inspiration plus impétueusement romantique. Isıl Bengi s’adapte avec souplesse aux brusques changements de techniques pianistiques, d’émois et de climats, parfois extrêmes. Elle redonne une vie percutante et sensible à une partition sans doute trop rarement entendue.


Convaincante comme toujours, Isıl Bengi livre avec brio un programme tout à fait engageant mis en valeur par la grande clarté de la prise de son. Pour le mélomane, comme pour chacun, c’est une invitation à un voyage fidèle à ses promesses d’aventures tout à fait enrichissantes.


Le site d’Isıl Bengi


Christine Labroche

 

 

 

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