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06/02/2001 C. W. Gluck : Iphigénie en Tauride Mireille Delunsch (Iphigénie), Alexia Cousin (Diane), Simon Keenlyside (Oreste), Yann Beuron (Pylade), Laurent Naouri (Thoas) Orchestre et Choeurs Les Musiciens du Louvre, Marc Minkowski (direction Au contraire d'Armide avec laquelle il signait sans affronter de véritable concurrence l'un des plus parfaits enregistrements de la discographie gluckiste, Minkowski trouvait avec Iphigénie en Tauride une œuvre relativement servie par le disque - même si en fait de relatif, c'est encore la disette qui est l'étalon de ce répertoire. Les prestations légendaires de Callas (en italien et dans un son déplorable), Jurinac, Wunderlich, Prey (tous trois en allemand, et sous la direction de Kubelick), enfin Simoneau et Crespin (celle-ci dans un pirate malheureusement inaudible) ont fait l'histoire d'avant le Style. Ce dernier advenu, Gardiner en incarna la plus pure élégance, malgré un orchestre bien peu aristocrate et avec le concours de chanteurs plus fins musiciens que tragédiens enflammés, Muti s'effondra dans la Contre-Révolution, non sans panache pour ce qui touche aux sonorités instrumentales, le routinier Pearlman convoqua les instruments anciens et une équipe vocale mieux qu'acceptable. Si Minkowski l'emporte de haut, c'est naturellement par la synthèse d'éléments jusqu'alors dispersés : pertinence de l'approche musicologique, qualité instrumentale, relief des performances individuelles intégrées à l'unité du discours. Son approche se caractérise par un refus presque obstiné de la préciosité : son orage est très dévastateur sur l'échelle de Météo France, ses Scythes sont très méchants, barbares et probablement un brin abrutis. L'enchaînement triolets - trilles dans la ritournelle du premier air de Pylade est emporté par le mouvement, sans s'attarder histoire de chatouiller nos glandes les plus sensibles. Le sublime, la grandeur, c'est ailleurs qu'il les faudra chercher : dans l'étirement somptueux mais toujours palpitant d'"Ô Malheureuse Iphigénie", lande abîmée sur un horizon de brumes où tout est dit de la solitude et du néant des âmes ; dans la scène des furies, dont le chœur fait se lézarder les murs du théâtre pour plonger dans l'effroi primitif d'un Bach ou d'un Haendel. Les prouesses de dynamique et d'articulation des forces chorales et orchestrales suscitent de bout en bout l'admiration (si le phrasé des vents est dans l'orage un petit peu plus bousculé que l'exigerait la bienséance musicale, c'est sans doute parce que prime ici la situation dramatique), comme leur aptitude à retenir l'élan, la grande ligne au profit de la dentelle dans le récit accompagné à quelques égards tragi-comique du troisième acte. Des timbres moirés, choyés par le diapason grave "parisien" à 392 hertz, admirablement denses pour les cordes et capables des plus fines irisations pour l'harmonie, décantent l'atmosphère que respireront nos chanteurs. Un mot bien sûr d'Alexia Cousin, qui n'en chante guère plus, pour applaudir qu'on ait confié l'intervention de Diane à une authentique créature céleste plutôt qu'à une soubrette. Les hommes sont quasiment parfaits, Naouri toujours poignant dans ses incarnations de princes tyranniques plus accablés qu'authentiquement cruels, Simon Keenlyside inoubliable de fièvre, de désespoir, avec un français habité qui fait de ses morceaux de bravoure du deuxième acte les plus saisissants jamais enregistrés. Yann Beuron a pour lui l'onctuosité des phrases et du timbre (à peine gâché par l'ouverture imperceptible d'un registre aigu qui semble depuis lors lui échapper trop souvent), sa diction est excellente, mais une légère perplexité accueille l'affectation dont il fait preuve en certains endroits du récit - "Ne suis-je plus Pylade ? Et n'es tu plus Oreste ?" sonne moins comme de la tragédie lyrique que comme sa parodie par Offenbach. Delunsch doit d'être notre meilleur Iphigénie "moderne" à la majesté naturelle de l'instrument, à la chair du son qui au lieu de s'arrondir supporte par la solide assise du médium l'élan des raucités comme des transparences lunaires. Parfois arrachée à ce socle, la haute tenue instrumentale du phrasé conquiert en vibration ce qu'elle n'a pas en absolue légèreté aérienne, de même que l'instinct dramatique, le goût des nuances suffisent à sculpter cette figure à laquelle manque occasionnellement le poinçon des mots - bien que les progrès en la matière soient évidents, même au tempo furieux de "Je t'implore et je tremble". Une Alceste par la même équipe s'impose d'autant plus qu'on n'ose croire que le talentueux bricolage effectué par Gardiner et une artiste aussi exceptionnelle mais en l'occurrence inadéquate qu'Anne-Sophie von Otter soit davantage de nature à nous satisfaire au disque qu'à la scène.
Vincent Agrech
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