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10/21/2020 «Dowland. A Fancy»
John Dowland : A Fantasia, P. 71 – A Dream (Lady Leighton’s Pavan), P. 75 – A Fancy, P. 73 – The Right Honourable Robert Earl of Essex, His Galliard, P. 42a – Preludium, P. 98 – A Fancy, P. 5 – Lachrimae, P. 15 – Forlorn Hope Fancy, P. 2 – Galliard to Lachrimae, P. 46 – A Fancy, P. 6 – Monsieur’s Almain (attribué à Dowland) – A Fantasie, P. 1a – The Right Honourable The Lady Clifton’s Spirit, P. 45 – Lady Hunsdon’s Puffe, P. 54 – Sir John Smith, His Almain, P. 47 – Fortune my foe, P. 62 – A Fancy, P. 7 – A Farewell, P. 3 Bor Zuljan (luth)
Enregistré en l’église de Saint-Germain, Genève (février 2020) – TT’ 65’57
Ricercar RIC425 – Notice (en anglais et en français) de Bor Zuljan
Sélectionné par la rédaction
Jeune virtuose slovène, actuellement professeur de luth au Conservatoire populaire de musique, danse et théâtre de Genève, Bor Zuljan (né en 1987) rend brillamment hommage à l’«Orphée anglais», John Dowland (1563-1626), par ce programme de dix-huit pièces pour son instrument, en majorité des fantaisies et des mouvements de danse. La Renaissance anglaise s’adonnait à la mélancolie mais Zuljan tient à souligner que Dowland, dolens, certainement, n’était pas semper dolens, ce, en émaillant son récital de morceaux enjoués ou dynamiques, tout aussi impressionnants sur le plan technique et parfois davantage. Il atteint l’équilibre souhaité et le sert avec une conviction remarquable.
En plus d’une fluidité élégante et d’une émotion contenue, on trouve, parmi les constantes d’écriture chez Dowland, une ligne mélodique embellie de diminutions et d’ornements divers, qui, soumise à modulation et à variation, progresse sur un soutien harmonique et polyrythmique à plusieurs strates. On peut penser que Dowland, toujours proche de la tradition polyphonique anglaise, sut y fusionner à sa manière distincte certaines techniques absorbées pendant ses séjours à l’étranger. La belle complexité qui en résulte est telle que, pour lui rendre justice, il faut un exécutant d’une agilité digitale exceptionnelle et d’une maîtrise instrumentale sans faille. Bor Zuljan en a les qualités requises.
Zuljan estime que les «fantasias chromatiques [de Dowland], des monuments mono-thématiques uniques, qui servent d’axe central à ce programme, sont au sommet de la musique pour luth». Il en présente sept. Parmi les plus notables, s’impose A Fancy P. 6 (*), finement structurée et toute en légèreté expressive qui, à partir de quelques notes égrenées qui se superposent en contrepoint, change de mode et d’allure, multiplie les voix et enrichit les textures tout en couvrant un large ambitus. On n’oublie pas pour autant l’effet étonnant des accords et accords brisés, superposés et traversés de notes répétées, qui terminent avec brio A Fancy P. 73. Fantaisie qui n’en porte pas le nom comme trois autres pièces aux titres évocateurs, A Farewell termine le récital sur une note au-delà de la mélancolie. C’est un adieu déchirant pénétré de regrets, son thème à deux voix peu, mais si gracieusement, ornementé. Grâce à son expressivité, Zuljan réussit à transmettre la peine profonde qui l’anime.
La douceur de la mélancolie élisabéthaine s’épanouit au cours de Lachrimae, qui retravaille le thème de l’air Flow my tears. Soutenue d’accords et accords brisés, la ligne mélodique s’enlace de suites de notes rapides en ruban qui n’allègent en rien le sentiment chagrin. Plus proche de l’air chanté que Lachrimae or Seven Teares pour consort de violes et luth, qui traite le même air en bref thème secondaire, Lachrimae pour luth seul touche d’autant plus que Zuljan l’interprète avec beaucoup de retenue et de sensibilité. Le traitement virtuose du même thème sur un tempo rapide transforme la mélancolie en fougue rageuse et la brillante Galliard to Lachrimae devient une belle illustration de l’art de la diminution qui agrémente le thème, parfois fragmenté, et les textures, ainsi enrichies, qui le soutiennent. C’est à remarquer que Zuljan la mène avec succès à une allure allegrissimo vivace peu commune.
Parmi les autres mouvements de danse, allemandes ou pavanes, on peut s’attarder sur une seconde gaillarde, qui danse sur l’air Can she excuse my wrongs, tardivement dédiée au Comte d’Essex, auteur présumé du poème mis en musique. Mené à vive allure, un riche soutien harmonique et rythmique sur plusieurs niveaux brise, modifie et embellit une ligne mélodique généreusement ornementée pour un résultat hautement original et tout à fait réjouissant. Précis et agile, encore une fois Bor Zuljan illumine et convainc.
Construit sur le modèle d’un Vendelio Venere de 1582 par Jirí Cepelák (Prague, 2012), le luth du musicien slovène est un instrument à huit chœurs, cordé de boyau et accordé un ton plus bas que la norme actuelle. Avec une plage dynamique ainsi étendue, il convient parfaitement à l’œuvre de Dowland. La prise de son, proche de l’instrument, le fait sonner presque comme l’instrumentiste l’entend lui-même. Les sons sont plus durs que dans l’espace d’une salle où, à distance et selon le musicien, leur douceur peut ensorceler, mais, malgré un certain manque de relief, la proximité met peut-être encore davantage en lumière toute la prouesse de l’écriture et la maîtrise absolue de la prestation virtuose de Bor Zuljan. C’est éblouissant.
La page de Bor Zuljan sur le site Le Luth doré
(*) On doit le catalogue raisonné des pièces pour luth de Dowland à Diana Poulton (1903-1995), luthiste qui contribua activement au renouvellement d’intérêt pour cet instrument au siècle dernier.
Christine Labroche
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