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09/18/2019
Albéric Magnard: Symphonies n° 3, opus 11, et n° 4, opus 21 [*]
Philharmonisches Orchester Freiburg, Fabrice Bollon (direction)
Enregistré à Fribourg (20-21 mars 2017 [*] et 19-20 mars 2018) – 74’23
Naxos 8.574082


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Depuis quand n’avait-on pas eu le sentiment qu’un disque se terminait trop vite? Et depuis quand n’avait-on pas eu envie de le réécouter tout de suite, et puis encore une fois, ou même deux ou trois fois? Face à un phénomène aussi rare, il fallait donc s’efforcer d’apporter des explications rationnelles.


Jusqu’à l’intégrale achevée à la fin des années 1980 par Michel Plasson et son Orchestre du Capitole (EMI), l’œuvre symphonique de Magnard n’avait d’existence au disque que grâce à Ernest Ansermet: lui qui avait inscrit dès 1919 la Troisième Symphonie au répertoire de l’Orchestre de la Suisse romande, y consacra son dernier enregistrement en studio (Decca, septembre 1968), la captation d’un concert donné au même moment que cette version «officielle» ayant par ailleurs été éditée voici une dizaine d’années. Dans un tel contexte, l’entreprise toulousaine apparut comme une révélation foudroyante et certains parlèrent alors assez imprudemment de «Beethoven français», ce qui n’était pas nécessaire pour assurer la promotion du compositeur et attester la qualité de sa musique.


Mais qu’importe, Magnard accédait enfin à une certaine reconnaissance, et deux autres intégrales – cependant cantonnées aux seules Symphonies, sans le Chant funèbre, l’Ouverture et l’Hymne à la Justice également gravés par Plasson – allaient même suivre coup sur coup: Jean-Yves Ossonce avec l’Orchestre symphonique de la BBC écossaise (1997, Hyperion), puis Thomas Sanderling et l’Orchestre symphonique de Malmö (1998-1999, Brilliant Classics). Quels que fussent leurs mérites, elles ne remirent pas en cause la supériorité de celle de Plasson, ainsi renforcé dans son statut de référence indépassable.


Et voilà que vient, une fois de plus de chez Naxos, ce qu’on ne pensait plus possible: un challenger. Et quel challenger! On n’avait certes pas manqué de saluer les réalisations de Fabrice Bollon (né en 1965, exactement un siècle après Magnard) dans des raretés telles que La Reine de Saba de Goldmark (cpo) et Le Miracle d’Héliane de Korngold (Naxos). Mais encore fallait-il qu’il en vînt à Magnard et qu’il y réussît.


Or, bien plus qu’une réussite, c’est une révélation: celle que l’élève de Dubois, Massenet et d’Indy n’est pas (seulement) ce beau rejeton franckiste que nous faisaient admirer, peu ou prou, Plasson, Ossonce et Sanderling. Pourtant, on aurait dû se méfier, un esprit aussi fin et avisé que celui de Dukas ayant salué en son temps la «parfaite clarté» de la Troisième, que Roussel, pour sa part, jugeait «belle, très classique, pleine de vie et de chaleur et solidement construite». Comme beaucoup à cette époque, Magnard aspire à renouer avec les formes anciennes, et si sa Troisième Symphonie n’est certes pas la Suite bergamasque ou Le Tombeau de Couperin, c’est une idée bienvenue de considérer cette musique, au-delà de ses habituelles références (post)wagnériennes, comme cherchant aussi à renouer avec un certain idéal de l’esprit français.


De fait, dès l’introduction de cette Troisième, c’est autre chose qu’on entend, sans effacer pour autant la noblesse de ton, la forte carrure du discours et l’intensité du propos: une transparence, une finesse, une clarté, qui, sans renier totalement le caractère parsifalo-brucknérien de ce début, font apparaître une multitude de détails et, surtout, tirent la musique vers un ailleurs moins germanisant, des textures sonores auxquelles l’oreille n’est pas habituée dans Magnard. Le premier mouvement se poursuit dans un élan frémissant, lumineux, étincelant, avant un scherzo («Danses») joyeux et bondissant, d’une rusticité raffinée – ou d’un raffinement rustique, on ne sait trop. Toutes ces qualités achoppent-elles sur le climat si différent du splendide troisième mouvement («Pastorales»)? En rien, car ce qui fait toute la valeur de cette approche, c’est qu’elle n’est pas uniforme, rendant magnifiquement justice au caractère lyrique, parfois extatique, de cette page. Et le final concilie avec bonheur vigueur et légèreté, avant une péroraison d’une jubilation sereine – ou d’une sérénité jubilatoire, on n’en sort pas.


Mais Quid de cette relecture volontiers aérée et aérienne, dans la Quatrième Symphonie? Eh bien cela commence très fort, de nouveau, avec ces premières mesures littéralement inouïes, qui n’ont jamais si bien sonné, où chaque pupitre est parfaitement audible: c’est comme si comme si l’on avait rendu nette une image jusqu’alors certes agréable à regarder mais un peu floue. Le reste du mouvement est l’avenant, sobre, décidé, sachant sans la moindre hésitation où il va. Et que de mordant, voire d’ironie, dans le scherzo, avec ces bois en staccato ou, comme dans celui de la Troisième, cette sorte d’intermède de folklore plus ou moins imaginaire à la Vaughan Williams! Comme dans la Troisième, le troisième mouvement («Sans lenteur et nuancé») forme le cœur de la symphonie et les musiciens y montrent de nouveau qu’ils peuvent aller vers davantage de profondeur sans épaissir la pâte sonore et appesantir: on ne perd pas en limpidité ce qu’on gagne en expression et en puissance. Somptueux d’énergie et d’intelligence (un fugato diablement animé, presque humoristique), le finale vient couronner un disque à chérir entre tous.


Derrière toutes ces merveilles, il y a un chef, bien sûr: formé par un carré de personnalités pour le moins hétéroclite (Michael Gielen, Nikolaus Harnoncourt, Georges Prêtre et Mauricio Kagel), Bollon, après avoir été en fonctions à Gand (Orchestre symphonique des Flandres) puis à Chemnitz (assistant du Generalmusikdirektor), est, depuis 2009, Generalmusikdirektor à Fribourg. Ce qu’il y fait a de quoi susciter la curiosité et même l’admiration: outre les enregistrements susmentionnés, il faut ainsi regarder la programmation de la prochaine saison symphonique: au fil des huit concerts, on y entendra notamment la Symphonie en fa dièse et l’ouverture Sursum corda de Korngold, la Première Symphonie de Casella, Cantique d’amour de Markevitch et le Concerto pour violoncelle de Walton! Il y a là quelque chose de véritablement exemplaire et d’assez unique, même de l’autre côté du Rhin, dans la manière d’offrir au public autant de partitions passionnantes mais rarement jouées. Et il y a sans doute la patte du chef de théâtre dans cette façon de sans cesse maintenir la tension et retenir l’attention: cela vit à chaque seconde, et c’en est même à se demander si l’enregistrement n’a pas en partie été réalisé en concert.


Mais il y a aussi un orchestre: on est à Fribourg-en-Brisgau, et c’est la SWR qui enregistre, mais ce n’est pas l’Orchestre de la SWR (de Fribourg et Baden-Baden), même désormais fusionné avec celui de Stuttgart, qu’on entend. Non, c’est celui du Theater Freiburg, dans la plus pure tradition d’une maison d’opéra allemande, qui, sorti de la fosse, prend le nom d’Orchestre philharmonique de Fribourg. Encore une de ces improbables formations que Naxos enrôle sous son étiquette avec des succès divers? Nullement, car chacun joue collectivement le jeu de manière irréprochable, avec une générosité de tous les instants et une sonorité d’ensemble tout à fait flatteuse, au demeurant servie par une prise de son spacieuse et naturelle, et certaines individualités se révèlent de tout premier plan – ainsi des solos de trompette dans le premier mouvement de la Quatrième, absolument renversants.


Et la suite? Un coup d’œil sur le programme des récents concerts fribourgeois permet de relever que le Chant funèbre y a été donné en juin 2018 et la Première Symphonie en octobre 2018. Il y a donc tout lieu de penser que Naxos ne s’arrêtera pas là: comment ne pas s’en réjouir?


Le site de Fabrice Bollon
Le site de l’Orchestre philharmonique de Fribourg


Simon Corley

 

 

 

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