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08/22/2019 «Vivi Felice»
Domenico Scarlatti : Sonates Kk. 232, 148, 209, 466, 239, 213, 212, 302, 25, 434 et 201 Adeline de Preissac (harpe)
Enregistré en public au prieuré de Saint-Jean-du-Grais, Azay-sur-Cher (4 juin 2016) – 49’15
Notice (en français) de Danièle Bayeux et Adeline de Preissac
Vivi Felice Vivifel12
Wolfgang Amadeus Mozart : Concertos pour piano n° 13 en ut majeur, K. 387b [415], et n° 12 en la majeur, K. 385p [414] – Concerto n° 10 pour deux pianos en mi bémol majeur, K. 316a [365] (arrangement Sylvain Blassel) (*)
Marie-Pierre Langlamet, Joan Rafaelle Kim (*) (harpe), Quatuor Varian Fry: Philipp Bohnen, Marlene Ito (violon), Martin von der Nahmer (alto), Rachel Helleur-Simcock (violoncelle)
Enregistré à la Philharmonie de Berlin (septembre 2017) – 79’11
Notice (en français et en anglais) de Marie-Pierre Langlamet
Indésens INDE103
Le répertoire pour harpe reste en grande partie à découvrir, ses morceaux de prédilection n’étant pas forcément légion que ce soit dans le monde concertant ou symphonique (Ginastera, Britten ou Berlioz, notamment dans son Enfance du Christ, lui ayant néanmoins, entre autres, dédié nombre de pièces de renom...). Heureusement, l’esprit de découverte et le jeu des transcriptions permettent d’élargir le répertoire traditionnel de cet instrument dont voici deux exemples aux réussites fort différentes.
Premier exercice de transcription, le disque réalisé par Adeline de Preissac, qui s’attaque là à un monument de l’œuvre pour clavecin avec onze sonates de Domenico Scarlatti (1685-1757). Si l’inspiration de Scarlatti venait à la fois de l’orgue, de la guitare ou de l’orchestre (avec une prédilection pour les cors), «la sonate de Scarlatti est un organisme qui est né au clavier, et non jamais sur le papier» comme le rappelle avec force le spécialiste du compositeur et de son œuvre, Ralph Kirkpatrick, dans son ouvrage phare Domenico Scarlatti («Musiques et Musiciens», Jean-Claude Lattès, juillet 1982, page 213). De fait, comment aborder ces sonates lorsqu’elles sont jouées sur un autre instrument comme une harpe, où le jeu des résonances, des trilles, de la main gauche (si importante chez Scarlatti) nous est habituellement révélé par le piano ou le clavecin? Là est toute l’ambition d’Adeline de Preissac: après avoir discuté de l’interprétation avec des clavecinistes aussi chevronnés que Pierre Hantaï ou Violaine Cochard, la harpiste a sélectionné plusieurs sonates au tempo généralement assez lent, sans doute aux aspérités techniques compatibles avec la technique offerte par son instrument (notamment au niveau des pédales), qui ne figurent pas parmi les plus célèbres du compositeur napolitain. L’écoute de ce disque frappe par un jeu non virtuose mais tout en délicatesse (la Sonate K. 25, le début de la Sonate K. 434) qui évoque bien davantage un salon romantique du XIXe siècle que le tournoiement dans lequel peut nous transporter Scarlatti. Or, c’est là que le choix d’Adeline de Preissac ne s’avère pas des plus convaincants car, si le programme est d’une grande cohérence, force est de constater que l’écoute de ce disque se conclut surtout sur une impression d’unité, voire d’uniformité. Oubliez ici la force pianistique d’un Horowitz, la jeunesse fougueuse de Justin Taylor ou la retenue démiurgique d’un Pogorelich! Car la richesse du clavier (peut-être plus encore du piano que du clavecin) n’arrive jamais à percer ici. Par exemple, la très belle Sonate K. 201 s’avère dramatiquement lisse alors que, sous les doigts de Horowitz par exemple, la main gauche se veut violente et péremptoire (les attaques du début!) tandis que la droite s’amuse dans ses volutes. Le jeu de la harpe nivelle tout cela et réduit considérablement l’intérêt de cette pièce, qui apparaît ici sous son côté le plus banal, et donc d’un disque qu’on ne conseillera qu’aux curieux.
Mozart et la harpe: évidemment! Le Concerto pour flûte et harpe figure depuis longtemps parmi ses chefs-d’œuvre les plus connus. Mais Mozart a-t-il composé autre chose pour cet instrument? Malheureusement non et c’est donc une nécessité, pour les solistes qui souhaitent jouer le divin Wolfgang, de recourir à des transcriptions. C’est par exemple ce que fit Xavier de Maistre, ancien harpiste solo du Philharmonique de Vienne, en jouant le Dix-neuvième Concerto pour piano avec l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy. Ici, c’est au tour de Marie-Pierre Langlamet, soliste, elle, du Philharmonique de Berlin (depuis 1993!), d’interpréter trois concertos pour piano de Mozart. Accompagnée par le Quatuor Varian Fry, dont les membres sont également musiciens du Philharmonique de Berlin qu’ils ont rejoint entre 2004 et 2011, elle livre là un résultat des plus convaincants. Reprenant les transcriptions faites par Mozart lui-même pour piano et quatuor à cordes, elle donne une version extrêmement fraîche du Treizième Concerto, le troisième mouvement alliant un côté dansant à une résonance de l’instrument soliste qui rend cette transcription nullement anachronique. L’ensemble gagne même une certaine évidence dans le jeu, qui s’épanouit avec un vrai délice. Idem pour le Douzième Concerto: les sept pédales de la harpe remplacent avec adresse le piano, le quatuor accompagnant la soliste avec une attention palpable (quel jeu de nuances dans le premier mouvement!). La transcription du Concerto pour deux pianos n’est, quant à elle, pas de la main de Mozart mais de celle de Sylvain Blassel, lui-même harpiste, qui a transcrit maintes œuvres pour son instrument de prédilection. Le résultat est des plus convaincants là encore, les deux parties solistes étant tenues l’une par Marie-Pierre Langlamet, l’autre par Joan Rafaelle Kim, harpiste américaine également élève de la précédente. Chacune joue avec dextérité, sans jamais prendre le pas sur l’autre, le fait que l’œuvre ait été initialement dédiée à deux pianos se faisant tout bonnement oublier, ce qui est un signe évident de leur réussite.
Le site du Quatuor Varian Fry
Sébastien Gauthier
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