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02/01/2017
Camille Saint -Saëns : Danse macabre, opus 40 (version originale pour deux pianos et transcription pour piano par Franz Liszt, Vladimir Horowitz & Arthur Ancelle)
Franz Liszt : Sonate en si mineur (transcription pour deux pianos par Camille Saint-Saëns) – Années de pèlerinage (Deuxième année. Italie): «Après une lecture du Dante. Fantasia quasi sonata» (transcription pour deux pianos par Arthur Ancelle)

Ludmila Berlinskaïa, Arthur Ancelle (piano)
Enregistré dans la Grande salle du Conservatoire, Moscou (31 mai-2 juin 2015) – 61’55
Melodyia MEL CD 10 02463 – Notice (en russe, anglais et français) de Frédéric Gaussin


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Si la littérature pour deux claviers est riche d’œuvres originales depuis la fin du XVIIIe siècle, elle s’étoffe considérablement tout au long des périodes romantique et contemporaine de transcriptions diverses, permettant notamment de jouer dans les salons la plupart des partitions symphoniques, d’opéras, de ballets ou de musique de chambre, qu’elles soient faites par les compositeurs ou par des transcripteurs. Rares, cependant, sont les transcriptions pour cette formation de pages écrites pour le piano seul.


Ce disque exceptionnel lèvera le doute sur l’opportunité de ce genre d’exercice et à tout le moins, ce programme enrichira l’histoire de l’enregistrement. Livrée ici en première mondiale, cette interprétation de la Sonate en si mineur et d’«Après une lecture du Dante» de Liszt, transcrites respectivement pour deux pianos par Camille Saint-Saëns et Arthur Ancelle, sonne déjà comme une version historique.


Dans le brillant entretien que mène Frédéric Gaussin avec Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle, on apprend que, pendant l’été 1914, à l’aube du premier conflit mondial, Saint-Saëns s’était attelé à la réalisation d’un «arrangement» pour deux pianos de la Sonate en si mineur, qu’il «essaya» en novembre de la même année avec son ami Louis Diémer, virtuose célèbre et éminent professeur au Conservatoire. Depuis, cette partition que Liszt lui-même projetait d’adapter à deux pianos, semblait avoir été quelque peu oubliée. Jamais éditée du vivant de Saint-Saëns, mais bien rangée dans les magasins de la B.N.F, c’est à la musicologue canadienne Sabina Teller Ratner, spécialiste du compositeur français, que l’on doit cette édition chez Durand.


La première octave nous saisit d’emblée et il devient strictement impossible de se détacher du discours. On est frappé par le son, somptueux, profond, ambré, sur deux magnifiques pianos différents pour une richesse de timbre accrue. Puis, ce qui caractérise les pianistes musiciens, la puissance ne se confond pas avec brutalité, fracas et les nombreux récitatifs qui traversent cette page sont timbrés à merveille. L’osmose spirituelle des deux artistes, leur inspiration et leur respiration communes, la mise en place et l’homogénéité ne souffrent d’aucune faiblesse. Mais, alors qu’il est presque inévitable qu’au long de ce torrent musical d’une trentaine de minutes où la technique éprouvante se met au service de la pensée métaphysique non moins exigeante, certaines interprétations pâtissent d’une fatigue inévitable ou d’un manque de souffle de l’interprète qui se trouve tôt ou tard confronté à ses limites physiques et émotionnelles, cette version nous stupéfie par la permanence de sa tension et de sa trajectoire. Une version de «surhomme» pourrait-on dire... C’est constamment merveilleux.


L’impression se poursuit dans «Après une lecture du Dante». Arthur Ancelle, aussi admirable pianiste que grand transcripteur, à qui l’on doit Francesca da Rimini de Tchaïkovski et Roméo et Juliette de Prokofiev, sculpte un partition somptueuse, d’une extrême plénitude, parée des mêmes qualités, en harmonie totale – technique et spirituelle – avec sa partenaire, ce qui nous surprend à croire, là encore, qu’il ne s’agit pas d’une transcription à deux pianos, mais de la version de quelque interprète venu de l’au-delà.


Encadrant ces deux chefs-d’œuvre, la Danse macabre de Saint Saëns est ici judicieusement proposée dans deux versions différentes. Pour sa propre transcription, le compositeur, comme le note Ludmila Berlinskaïa, est soucieux d’apporter une «substance strictement pianistique» à l’œuvre. Nerveuse, acérée, sarcastique sans jamais perdre de vue ce moteur rythmique à trois temps, obsédant et diabolique, l’interprétation de Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle nous emporte littéralement. Mais c’est évidemment la transcription insensée de cette même page, où se mêlent Liszt et Horowitz, adaptée et revue pour les deux pianos par Arthur Ancelle, qui porte à un haut degré l’incandescence virtuose des deux interprètes et qui sonne comme le feu d’artifice final de ce programme.


En des termes très humbles, Franz Liszt s’adresse à Saint-Saëns dans une lettre de Hanovre, datée du 2 octobre 1876, au sujet de sa transcription pour piano de la Danse macabre: «Très cher ami, En vous envoyant aujourd’hui la transcription de votre "Danse macabre", je vous prie d’accepter mes excuses pour mon inaptitude à réduire les merveilleuses couleurs de cette partition aux possibilités du piano. A l’impossible nul n’est tenu. Jouer tout un orchestre au piano n’est pas encore donné à tout le monde.» C’est peut-être pour cette raison que Vladimir Horowitz adapta à ses moyens surnaturels cette partition qu’il mettait déjà à ses programmes dès 1928 afin de creuser le sillon de la paraphrase transcendante.


Et si Liszt avait entendu la version d’Arthur Ancelle et de Ludmila Berlinskaïa avec ses mille diableries, cette pyrotechnie fascinante, cette légèreté, cette électricité grisante et ce sens de la fresque narrative...?


Christian Lorandin

 

 

 

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