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02/19/2016 «Fanfares pour cuivres»
Paul Dukas : Fanfare pour précéder La Péri
Henri Tomasi : Quatre Fanfares liturgiques
Albert Roussel : Fanfare pour un sacre païen
Georges Delerue : Cérémonial
André Jolivet : Six Fanfares pour «Britannicus»
Claude Debussy : Le Martyre de saint Sébastien: Fanfare en prélude à l’acte III – Préludes, Premier Livre: 8. «La Fille aux cheveux de lin», et Second Livre: 6. «"General Lavine" -eccentric-» (transcriptions Caens) [2]
Louis Durey : Interlude, opus 112
Florent Schmitt : Antoine et Cléopâtre, opus 69: Fanfare pour «Le Camp de Pompée»
Frédéric Talgorn : Olympus [1]
Thierry Caens: Azincourt Lament [2]
Johann Sebastian Bach : Oratorio de Pâques, BWV 249: Sinfonia (transcription Caens) [2]
Felix Mendelssohn-Bartholdy : Trauermarsch, opus 103 (transcription Caens) [2]
Gioachino Rossini : Rendez-vous de chasse, grande fanfare pour cors à la Dampierre (transcription Caens) [2]
Samuel Barber : Adagio pour cordes, opus 11(transcription Caens) [2]
Astor Piazzolla : Novitango(transcription Caens) [2]
Leonard Bernstein : West Side Story: Prologue, «Something’s coming», «Jump», «America», «Maria» & «Tonight» (transcription Caens) [2] Les Cuivres Français, Michel Becquet, Frédéric Talgorn [1], Thierry Caens [2] (direction)
Enregistré au Studio Ferber (25-27 janvier 1992) et au Studio de la Grande Armée (1er-3 février 1992) [2], Paris – 117’52
Album de deux disques Indésens! INDE 080 – Notice en français et en anglais
Fondé en 1989 par le trompettiste Thierry Caens, directeur musical, l’ensemble Les Cuivres Français, qui regroupe un certain nombre de solistes des principaux orchestres nationaux, se donne pour mission de mettre en valeur l’école française des cuivres et de fournir aux jeunes instrumentistes une occasion de se former à la carrière de musicien d’orchestre auprès des plus grands. Chef du département des cuivres au Conservatoire national supérieur de musique de Lyon, où Thierry Caens exerce en tant que professeur de trompette, l’excellent tromboniste Michel Becquet en est le chef permanent. Il dirige ici une sélection de fanfares françaises composées au siècle dernier. Thierry Caens dirige un programme de ses propres transcriptions de pièces principalement de la même période, soulignant tout d’abord l’importance des cuivres à l’époque baroque et leur évolution technique à l’époque romantique. Les deux programmes se trouvent réunis à l’occasion de cette récente réédition.
Les Cuivres Français en grande formation interprètent avec beaucoup de vigueur et de conviction ce bel ensemble de pièces françaises pour cuivres composées entre 1911 et 1992, la plus célèbre de nos jours étant la merveilleuse fanfare composée par Paul Dukas pour précéder La Péri, belle mais peut-être moins poétique ici que venant des seuls cuivres au cœur de l’orchestre symphonique. La brève fanfare avec timbales, prélude au troisième acte du Martyre de saint Sébastien de Debussy, créé à la même époque, garde avec une efficacité lumineusement aérée son rôle annonciateur. Huit ans plus tard, viennent les deux Suites d’orchestre à la beauté indiscutable, tirées de la musique de scène subtilement orientalisante de Florent Schmitt pour Antoine et Cléopâtre. En toute logique, on ne trouve ici que les quatre petites minutes évocatrices pour cuivres et percussion du deuxième épisode de la Première Suite, le «Camp de Pompée», aux climats clairs et sombres, diurnes et nocturnes – mais la prestation ne manque pas de saveur.
Les Fanfares pour «Britannicus» d’André Jolivet datent de 1946. Pour cuivres, timbales et percussion, travaillées de manière symphonique, les textures riches ou finement colorées, les six pièces, dont un Prélude et un Postlude, annoncent, non sans fracas, les quatre personnages principaux de la tragédie. Un an plus tard, Henri Tomasi extrait de son opéra Don Juan de Manara les quatre fanfares ciselées et étendues qui, soutenues par la percussion, s’appliquent à des moments intenses de la vie religieuse («Annonciation», «Evangile», «Apocalypse» et «Procession du vendredi saint») pour devenir, ainsi à part, une petite symphonie pour cuivres en quatre mouvements, vif, lent, vif (narquois) et finale. La marche finale est un long soufflet en arche avec coda triomphale, mené à bien sous la direction de Becquet qui ne manque pas de précision.
Ecrites indépendamment d’une œuvre destinée à la scène, deux brèves partitions jouent un rôle d’interlude. On retrouve avec plaisir l’éclat da la Fanfare pour un sacre païen (1921) d’Albert Roussel, son classicisme brillant venant en clin d’œil à Leigh Henry, commanditaire et éditeur à l’époque de la revue américaine Fanfare. Plus rare, l’Interlude (1974) de Louis Durey (1888-1979) coule doucement, d’abord solennel et tragique puis heurté et dramatique, les timbales appuyant son caractère élégiaque, loin de l’esprit du Groupe des Six. Georges Delerue (1925-1982) et Frédéric Talgorn (né en 1961 et vivant actuellement en Californie), pris par leur activité de compositeur de musique de film, ont relativement peu composé pour le concert. Pour Delerue, ce fut pourtant un constant nécessaire tout au long de sa carrière. Cérémonial, (1976), écrit pour octuor de cuivres, est une élégie ponctuée d’éclats, plus souvent en subtil choral qu’en contrepoint. En 1992, Talgorn composa trois thèmes en fanfare pour accompagner la flamme olympique et c’est à la demande de Thierry Caens qu’il les développa en suite pour Les Cuivres Français. Son habile Olympus vient en jolie conclusion à la première partie.
En préface à la seconde partie, Thierry Caens (né en 1958) plaide en faveur des transcriptions à travers les âges à commencer par celles des compositeurs eux-mêmes et sans oublier Liszt grâce à qui les Symphonies de Beethoven, par exemple, ont pu atteindre un public plus étendu. Ses propres transcriptions, souvent pour dixtuor, sont effectivement des découvertes ou des réminiscences agréables, bienvenues au concert. Au disque, cependant, si elles peuvent parfois enchanter l’oreille, comme celle de «La Fille aux cheveux de lin» (1909-1910) ou donner un nouvel éclairage de la structure verticale, on opterait sans doute plus facilement pour l’original. Séparant le classique pour des pièces d’Astor Piazzolla (1921-1992) et de Leonard Bernstein (1918-1990) qui le sont moins, vient une intrigante composition évocatrice de Caens lui-même. Azincourt Lament (c.1990) emprunte une partie de son matériau thématique à John Dunstable (c.1390-1453) ce qui, par les intervalles, lui imprime un air contemporain de la bataille sans empêcher des envolées audacieuses d’esprit plus actuel et une mise en espace novatrice au concert.
Les pièces au programme sont célèbres, les transcriptions adroites, mais, si la «Sinfonia» de Bach reste proche de l’esprit de la matière sonore d’origine, les échos de cuivres baroques sonnant tout à fait juste, West Side Story (1957) y perd ses couleurs et beaucoup de sa sève bien que la remise en mémoire des grands airs si connus ne soit pas sans agrément. Samuel Barber a transcrit presque aussitôt pour orchestre à cordes l’Adagio de son Premier Quatuor à cordes (1936). La transcription pour cuivres ne manque pas d’intérêt, la douceur intacte et ronde, mais la puissance potentielle se perd comme celle de la Marche funèbre de Mendelssohn, qui reste cependant plus proche de la «Romance sans paroles» (opus 62 n° 3), dont elle est issue, la noblesse distanciée toutefois diminuée. En revanche, la Grande fanfare (1828), de Rossini gagne quelques nuances de sonneries à résonance baroque. Rien ne paraît plus légitime qu’un arrangement pour cuivres de Novitango, qui en a connu tant y compris par Piazzolla lui-même et qui pouvait, sans perdre le rythme de tango, en révéler un aspect jazzique. Celui-ci, peut-être plus classique, l’y rejoint par son délicieux caractère big band.
L’interprétation est tout à fait correcte avec une justesse et une pureté de son souvent admirables. L’initiative de cette réédition est donc à saluer étant donné la rareté de certaines pièces et l’originalité de l’ensemble.
Le site de Michel Becquet
Le site de Thierry Caens
Christine Labroche
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