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12/30/2014
Ludwig van Beethoven : Les neuf Symphonies [1 à 9] – Coriolan, opus 62 [10] – Leonore II, opus 72b [11] – Leonore III, opus 72c [12] – Egmont, opus 84: Ouverture [13]
Elisabeth Schwarzkopf (soprano), Elsa Cavelti (contralto), Ernst Haefliger (ténor), Otto Edelmann (basse), Festwochenchor Luzern, Wiener Philharmoniker [1, 2, 4, 10, 12, 13], Berliner Philharmoniker [3, 5, 6, 7, 8], Philharmonisches Staatsorchester Hamburg [11], Philharmonia Orchestra [9], Wilhelm Furtwängler (direction)
Enregistré en concert à Vienne (2 juin 1944 [12] et 30 novembre 1952 [1]), Berlin (8 décembre 1952 [3], 14 avril 1953 [7, 8] et 23 mai 1954 [5, 6]), Londres (3 octobre 1948 [2]), Munich (29 octobre 1951 [10] et 4 septembre 1953 [4, 13]) et Hambourg (9 juin 1947 [10]) et Lucerne (22 août 1954 [9]) – 417’30
Coffret de six disques Andromeda ANDRCD 9093 – Pas de notice





A l’image de Herbert von Karajan, dont la première intégrale berlinoise vient récemment d’être rééditée, le nom de Wilhelm Furtwängler (1886-1954) demeure indissolublement lié à celui de Ludwig van Beethoven (1770-1827), qui restera certainement comme son compositeur de prédilection, en tout cas comme le compositeur dans lequel il aura porté au plus haut son génie musical.


Si l’on se réfère aux travaux de Friedrich Herzfeld, aux ouvrages de Gérard Gefen (notamment Wilhelm Furtwängler, la puissance et la gloire, L’Archipel, 2001), de Furtwängler lui-même (l’indispensable Musique et Verbe) ou de sa chère épouse Elisabeth (Pour Wilhelm, L’Archipel, novembre 2004), sans compter les publications de la Société française Wilhelm Furtwängler (dirigée par Philippe Leduc, récemment disparu), on s’aperçoit très vite que Beethoven aura été au centre de l’activité du grand chef d’orchestre, qui a notamment dirigé, entre les seules années 1911 et 1940, 148 fois la Cinquième, 130 fois la Septième et 61 fois la Neuvième, sans compter par ailleurs des ouvertures ou le Concerto pour violon. Les témoignages discographiques plus ou moins officiels, pirates pour un grand nombre d’entre eux, sont légion et on ne s’étonnera donc pas d’entendre ici, certes dans une version remastérisée faisant généralement ressortir avec délice nombre de détails orchestraux et éliminant la plupart des bruits parasites que l’on pouvait maudire sur d’autres supports, que du très connu. Car toutes ces versions, enregistrées en concert, ont déjà été publiées chez divers éditeurs (Deutsche Grammophon, Tahra, Nuova Era, EMI, Music and Arts...): rien d’inédit donc! Amateurs de perles rares, passez votre chemin!


Pour autant, comment bouder cet art interprétatif qui plonge au «cœur de l’univers spirituel de Furtwängler» (Gérard Gefen, op. cit., page 195) et qui, s’il peut apparaître dépassé à bien des égards, n’en demeure pas moins fascinant? Car, à l’écoute de ce coffret de presque sept heures de musique, on est subjugué par cette énergie sous-jacente où l’on sent que Furtwängler jette toutes ses forces comme si sa vie en dépendait. A ce titre, l’Héroïque de 1952 (la bande-son du concert capté au Titiana-Palast par les ingénieurs du RIAS Berlin ayant déjà connu les honneurs de la publication en 1994, chez Tahra) est un modèle du genre avec un deuxième mouvement crépusculaire où, en dépit d’une lenteur parfois pesante (on y reviendra), le discours musical avance de manière inexorable, les cordes se densifiant au fil de l’exécution comme si elles emmagasinaient une énergie nouvelle venue d’on ne sait où avant que tout ne meure dans les dernières notes. Si le troisième mouvement est plus quelconque, le Finale est en revanche superbe, se concluant dans une incroyable frénésie orchestrale. C’est peu ou prou la même impression qui ressort de la Septième de 1953. Si le premier mouvement est trop lourd, Furtwängler ne distillant aucun élan à un orchestre où les bois sonnent en outre assez chichement, l’Allegretto, pris très lentement, est d’une souveraine grandeur ainsi que le laisse entendre l’attaque du hautbois dès le début du mouvement. Après un troisième mouvement très convaincant, c’est surtout l’Allegro con brio qui suscite l’enthousiasme, servi par une force dévastatrice.


Très belle symphonie également, la Quatrième qu’on n’aurait pas forcément immédiatement associée au nom de Furtwängler; même si l’on connaît surtout l’enregistrement viennois des 1er et 2 décembre 1952 (EMI), la présente gravure de 1953 est des plus séduisantes. Si le hautbois s’avère assez nasillard dans l’Adagio - Allegro vivace, l’orchestre fait globalement montre d’une finesse et d’un entrain de tout premier ordre, la direction de Furtwängler veillant à conférer à chaque mouvement son caractère propre. On écoutera à ce titre avec une particulière attention le troisième mouvement (Allegro vivace) à la jubilation communicative. Dans le même esprit, la Huitième (depuis longtemps disponible chez Deutsche Grammophon, couplée avec une grandiose Septième, toutes deux enregistrées lors d’un même concert donné au Titiana-Palast en 1953) est elle aussi une vraie réussite, les Berliner Philharmoniker prenant un plaisir évident à jouer cette symphonie, n’omettant à ce titre aucun détail de la partition (les fins de phrases dans le deuxième mouvement sont exemplaires).


Un sort à part doit être fait à deux symphonies de ce coffret, les Cinquième et Neuvième, œuvres on ne peut plus emblématiques du répertoire de Wilhelm Furtwängler. Pourquoi? Tout simplement parce que, sauf erreur et si l’on en croit les recensements les plus autorisés (Gérard Gefen, op. cit., pages 190 et 195), ce sont là les deux derniers enregistrements de ces œuvres par Furtwängler, captées respectivement au Titiana-Palast en mai 1954 et au festival de Lucerne en août 1954: ce n’est donc pas sans une certaine émotion qu’on les écoute. En outre, faisant figure d’aboutissement interprétatif, on peut les comparer à d’autres enregistrements antérieurs disponibles depuis longtemps. La Cinquième est une réussite évidente, même si l’on peut préférer la version, de dix ans plus ancienne, gravée en juin 1943 avec Berlin et éditée chez Deutsche Grammophon. Mais, ici, comment résister à la dynamique de l’orchestre après le solo de hautbois au milieu du premier mouvement? Comment ne pas ressentir une véritable félicité à l’écoute d’un Andante con moto où, dans un tempo retenu, les cordes berlinoises font merveille (on n’en dira pas autant des bois, notamment, de la clarinette mais la faute en incombe peut-être à la prise de son...)? Quant à la fin du seond Allegro, et même si le son des cuivres et des timbales a quelque peu tendance à saturer, elle est incontestablement électrisante. En ce qui concerne la Neuvième, comme l’avait d’ailleurs mentionné l’éditeur Music and Arts-Programm of America, Inc. lorsqu’il avait publié le disque en 1995 (celui-ci ayant par la suite bénéficié d’un nouvel habillage en 2007), il ne s’agit rien moins que de la dernière interprétation de cette œuvre par Furtwängler et même, jusqu’à preuve du contraire, du tout dernier enregistrement connu du grand chef qui décède en effet le 30 novembre 1954, soit à peine trois mois plus tard. On ne s’en étonnera pas mais cette version diffère assez peu de celle donnée moins de deux semaines plus tôt à Bayreuth avec, là aussi, l’orchestre «maison». Si l’Allegro ma non troppo souffre de quelques défauts instrumentaux (les bois, quelques attaques des trompettes), on perçoit néanmoins immédiatement cette sourde puissance qui, de temps à autre, émerge avant de retourner ensuite dans une atmosphère mystérieuse et terriblement prenante. Pris très lentement (près de vingt minutes!), l’Adagio molto e cantabile est merveilleux et constitue certainement à lui seul tout l’intérêt de cette gravure; empli de sérénité et de mélancolie à la fois, il est dirigé avec une souveraine maîtrise par Furtwängler. Pouvait-il se douter que ce serait la dernière fois? Signalons enfin que tant le quatuor de solistes que les chœurs sont excellents et ne souffrent pas de ces voix chevrotantes que l’on peut parfois entendre dans d’autres enregistrements de la même époque.


Plus discutable en revanche au sein de ce coffret, la Pastorale de 1953 qui souffre en premier lieu de deux premiers mouvements à la lenteur rédhibitoire, l’Allegro ma non troppo inaugural atteignant de façon presque insupportable les douze minutes, l’Andante molto mosso étant également très lent mais vibrant d’une vie intérieure qui finit tout de même par convaincre. En second lieu, l’orchestre n’est pas au meilleur de lui-même, quand bien même il s’agirait des Berliner Philharmoniker, la symphonie se concluant néanmoins par un Allegretto d’une beauté ample quoiqu’un peu statique. La Deuxième Symphonie est, pour sa part, à la limite de l’audible en raison d’une bande-son d’une qualité déplorable: comment l’éditeur peut-il se targuer de présenter ces versions remastérisées alors que les défauts de la bande transforment ici les Wiener Philharmoniker en orchestre de seconde zone, la direction de Furtwängler ne trouvant là absolument aucun intérêt même si l’on perçoit, en tendant bien l’oreille, les finesses qu’il instille dans le Larghetto? Dans la mesure où il s’agit, sauf erreur, du seul enregistrement de cette œuvre par «Furt’» (cette bande-son d’un concert donné au Royal Albert Hall de Londres en octobre 1948 n’ayant seulement été retrouvée qu’en 1979!), on peut néanmoins comprendre qu’il ait été inclus dans le présent coffret permettant ainsi de retrouver une vision d’un Beethoven «intègre et intégral» comme l’avait écrit André Tubeuf lors de sa première publication dans la collection «Références» chez EMI.


Alors que l’ouverture de Léonore II revêt surtout un intérêt anecdotique (les brusqueries de la direction de Furtwängler, la qualité du son et même la performance de l’orchestre n’en faisant pas, loin s’en faut, une référence), celle de Léonore III est, pour sa part, franchement décevante en raison d’une bande audio plus que perfectible et d’une fin trop précipitée qui conduit d’ailleurs à plusieurs décalages au sein de l’orchestre. En revanche, quelle ouverture que celle de Coriolan, œuvre que Furtwängler aimait beaucoup et au sujet de laquelle il avait écrit: «C’est le drame le plus bref. En dix minutes, Beethoven fait naître et s’achever toute une tragédie» (cité par E. Furtwängler, op. cit., page 63). Déjà publiée sous l’étiquette Nuova Era, cette version d’une très grande noirceur oscille idéalement entre épopée et dramatisme, le Philharmonique de Vienne se montrant là sous son meilleur jour. Il en va de même pour l’ouverture d’Egmont qui brille de tous ses feux, Furtwängler faisant preuve d’une urgence étonnante qui se conclut par un claquement sonore incroyable.


Ainsi, même si certains enregistrements sont d’une moins bonne qualité que d’autres, ce coffret ravira sans conteste quiconque souhaite savoir qui pouvait être Furtwängler et en quoi il reste à ce jour un des plus grands chefs dans Beethoven. Un seul regret néanmoins: que l’éditeur n’ait réalisé aucun travail éditorial (même les lieux d’enregistrement sont omis) alors que la matière ne manque pas. Compte tenu de la réédition ainsi effectuée, c’est plus que regrettable.


Sébastien Gauthier

 

 

 

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