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12/01/2014
Georg Friedrich Händel : Tamerlano, HWV 18 (version de 1731)
Xavier Sabata (Tamerlano), Max Emanuel Cencic (Andronico), John Mark Ainsley (Bajazet), Karina Gauvin (Asteria), Ruxandra Donose (Irene), Pavel Kudinov (Leone), Il Pomo d’Oro, Riccardo Minasi (direction)
Enregistré à la Villa San Fermo (Convento die Pavoniani) de Lonigo, province de Vicenza (avril 2013) – 193’
Coffret de trois disques Naïve V 5373 – Notice (en français, anglais et allemand) de David Vickers et traduction des textes chantés


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Si l’on en croit ses indications sur les manuscrits de Tamerlano, le génial Georg Friedrich Händel (1685-1759) n’a mis que trois semaines, au cœur du mois de juillet 1724, à composer un opéra dont la partition est d’une incroyable richesse tant du point de vue mélodique que de celui de la psychologie des personnages. Preuve qu’un petit événement peut avoir de grandes conséquences, la genèse de cet opéra tient avant tout à l’arrivée à Londres d’un ténor dont la réputation avait depuis longtemps franchi les frontières italiennes, en la personne de Francesco Borosini (1688-1750) que Händel chérissait et à qui il confia plus tard, outre le rôle de Bajazet dans Tamerlano, celui de Grimoaldo (dans Rodelinda) et pour qui il réécrivit le rôle de Sextus dans Giulio Cesare in Egitto. Lors de la création de l’opéra, on pouvait voir sur scène les plus grands chanteurs de l’époque puisque, outre Borosini, Francesca Cuzzoni incarnait Asteria et le fameux contre-ténor Senesino, Andronico.


Repris en 1731 grâce à l’arrivée à Londres d’un autre grand ténor, Giovanni Battista Pinacci, l’opéra trouve son argument originel dans une tragédie française d’un certain Jacques Pradon, dont la mémoire n’a gardé que la rivalité qui l’opposa à Racine et Boileau et dont un de ses biographes a pu écrire que «Non seulement on ne reconnaît aucun mérite à ses tragédies; mais son ignorance est devenue légendaire» (Charles de Beaurepaire, Notice sur le poète Pradon, 1899). C’est sur la base de cette pièce que Agostino Piovene écrivit un livret qui fut mis en musique à de nombreuses reprises (Vivaldi, Gasparini, Jommelli entre autres) et que Niccolò Francesco Haym, qui avait déjà travaillé avec Händel, agrémenta à sa manière afin d’en faire un argument cohérent pour cet opéra qui puise ses racines, une fois n’est pas coutume, non dans la légende mais dans la véritable Histoire.


Au début du XVe siècle, Tamerlan, empereur des Tartares, vainc le sultan turc Bajazet et le fait prisonnier ainsi que sa fille Asteria. Il tombe immédiatement amoureux de celle-ci alors qu’il est fiancé à Irène mais qu’il a l’intention immédiate de répudier. Pour parvenir à ses fins, Tamerlan fait appel à son allié grec Andronicus, mais il ignore que celui-ci est également épris d’Asteria. Il lui promet comme récompense la main d’Irène. De son côté, Asteria feint d’accepter les avances de Tamerlan qui, en retour, accepte de rendre sa liberté à Bajazet mais, contrairement à ce que pensent aussi bien son père que sa rivale Irène, ce n’est pas par amour mais seulement pour s’approcher de Tamerlan et pouvoir ainsi l’assassiner. Son plan est découvert et la condamne à mort. Bajazet et Irène promettent alors de se suicider pour ne pas laisser à Tamerlan le plaisir de les tuer alors que le tyran renouvelle ses avances auprès d’Asteria, qu’il aime toujours follement. Asteria, qui a entre-temps été réduite à l’esclavage, tente de nouveau de tuer Tamerlan au cours d’un banquet en usant d’une fiole de poison mais Irène l’en empêche; c’est alors que Bajazet profite d’un moment d’inattention pour avaler le poison. Face à cette nouvelle situation totalement dramatique et par un de ces retournements psychologiques dont seul l’opéra baroque a le secret, Tamerlan s’unit à Irène et, magnanime, laisse finalement Asteria épouser Andronicus.


Tamerlano est plutôt bien servi au disque, à commencer par les beaux enregistrements réalisés par John Eliot Gardiner (en concert à Cologne les 17 et 18 juin 1985 pour Erato) et, plus récemment, George Petrou (en 2006), la version en DVD dirigée par Trevor Pinnock (juin 2001) pêchant par un jeu scénographique assez inconsistant et par un manque de profondeur des personnages. Or, qu’il s’agisse de Gardiner ou de Petrou, la version enregistrée est celle de 1724: il est donc quelque peu délicat de vouloir faire une comparaison stricte avec celle présentée ici, qui date de 1731, même si les changements apportés sont assez minimes.


Pourtant, parmi de ces ajouts figure ce qui est pour nous un des plus beaux airs de tout l’opéra, à savoir «Nel mondo e nell’abisso», confié à Leone (acte III, scène 7). Même si ce personnage bénéficie de peu de place au sein de l’opéra (absent du premier acte, il ne se voit confier qu’un seul air au deuxième), Pavel Kudinov en donne une très belle incarnation notamment, donc, dans cet air aux cordes truculentes et dont la mélodie sera plus tard reprise dans le premier Allegro du Douzième Concerto grosso de l’Opus 6 ( HWV 330). Mais, évidemment, les stars vocales sont ailleurs.


A tout seigneur, tout honneur: Xavier Sabata est un superbe Tamerlan, démontrant une fois encore ses affinités händeliennes. Se voyant confier quelques airs parmi les plus beaux de cet opéra («Bella gara» au début du deuxième acte, le très ardu «A dispetto d’un volto ingrato» à la scène 3 de l’acte III), il transcrit très adroitement dans ses intonations la vaillance du personnage tyrannique avec ses hésitations à chaque fois qu’il s’agit de passer effectivement à l’acte. Marque de génie de Händel, il faut bien avouer que la beauté du chant même redouble grâce à l’accompagnement musical qui, on l’a déjà laissé entrevoir, est de tout premier ordre: il suffit, pour ce qui est de Tamerlan, d’écouter l’air «Vuò dar pace» (acte I, scène 2), où Sabata, en dépit des volutes musicales qui lui sont dévolues, sait prendre son temps, adopte ainsi une belle pulsation et fait de cet air un moment tout à fait privilégié.


Face à lui, l’autre contre-ténor vedette, Max Emanuel Cencic, qui est un des maîtres d’œuvre de cet enregistrement puisqu’il en est un des producteurs exécutifs et qu’il a, comme le précise la notice, contribué à choisir l’équipe vocale... Dans le rôle d’Andronicus, qui est peut-être le personnage central de l’intrigue puisque collaborateur de Tamerlan, il en est aussi le rival pour le cœur d’Asteria, Cencic explose. Sa vélocité vocale qui, depuis longtemps, n’est plus à démontrer, est de nouveau admirable et nous permet ainsi d’entendre quelques airs magiques («Bella Asteria» au premier acte, scène 3). Merveilleusement accompagné par un orchestre aux petits soins, avec notamment des hautbois superlatifs (dans l’air «Cerco invano di placare» à la scène 3 de l’acte II), il illumine la fin du premier acte dans l’air «Benché mi sprezzi» grâce à des aigus d’une pureté assez incroyable.


Dans le rôle de Bajazet, John Mark Ainsley est également une pièce maîtresse de la réussite de cette interprétation. Qu’il chante au sein d’une véritable frénésie orchestrale dont les attaques des cordes nous rappellent fortement Vivaldi (l’air «Ciel e terra armi di sdegno», acte I, scène 6) ou dans un soupir empli de fragilité (une grande partie de la scène 11 de l’acte III), John Mark Ainsley est très convaincant de bout en bout et incarne parfaitement la droiture de ce personnage qui est véritablement obsédé par la mort (dès sa première scène avec Andronicus) et qu’il finira d’ailleurs par gagner en se suicidant.


Face à ces excellentes voix masculines, les deux héroïnes de Tamerlano doivent batailler ferme pour s’imposer. Karina Gauvin, habituée de ce répertoire qu’elle a parcouru aux côtés du grand händelien Alan Curtis, incarne une très belle Asteria. Poussée par un sens aigu de la dramaturgie, elle campe avec aisance cette fière jeune femme qui souhaite venger à la fois son père et l’honneur de tout un peuple livrés aux griffes d’un tyran qu’elle exècre mais auquel elle joue un jeu subtil pour ensuite mieux le vaincre. Si son air «Deh, lasciatemi» est un superbe lamento, que dire ensuite de l’air «Cor di padre» (acte III, scène 1), dont les tonalités et le déroulé rappellent le tout aussi poignant «Sposa son disprezzata» à l’acte II de... Bajazet mais, cette fois-ci, de Vivaldi? On est tout aussi subjugué par cette page où, s’adressant à la fois à son père et à son amant, elle fait preuve une nouvelle fois d’une sourde résolution pour assassiner Tamerlan. Quant à Ruxandra Donose dans le rôle d’Irene, elle livre également quelques airs de toute beauté au sein desquels nous retiendrons en particulier le savoureux «Par che mi nasca in sceno» (acte II, scène 6) accompagné par deux clarinettes.


Car, comme on a déjà eu maintes fois l’occasion de l’écrire, l’attrait de ce disque réside également, bien évidemment, dans l’orchestre que Händel a particulièrement choyé. Dès la superbe Ouverture, Il Pomo d’Oro brille de mille feux et, sous la conduite d’un excellent Riccardo Minasi, permet à chaque pupitre de s’illustrer, mention spéciale aux instruments à anche double (bassons et hautbois), fort sollicités. En un mot, un acteur essentiel à la réussite d’un enregistrement de tout premier ordre qui s’impose dans la discographie de l’œuvre.


Le site de Max Emanuel Cencic
Le site de Karina Gauvin
Le site de Ruxandra Donose
Le site de l’ensemble Il Pomo d’Oro


Sébastien Gauthier

 

 

 

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