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11/16/2014
«Tre Voci»
Tōru Takemitsu : And then I knew ‘twas wind
Claude Debussy : Sonate n° 2 pour flûte, alto et harpe en fa majeur
Sofia Goubaïdoulina : Garten von Freuden und Traurigkeiten

Tre Voci : Marina Piccinini (flûte), Kim Kashkashian (alto), Sivan Magen (harpe)
Enregistré à Lugano (avril 2013) – 51’52
ECM New Series 481 0880





Tre Voci n’est peut-être pas un nom très original ni même exclusif, mais quand les voix en question sont celles de la Sonate pour flûte, alto et harpe (1915) de Debussy dont la beauté alliée à l’originalité des sonorités a universellement affecté le monde musical on ne peut que féliciter l’initiative de l’altiste américaine, Kim Kashkashian, qui a fermement arrimé à ses côtés la flûtiste Marina Piccinini, sa compatriote, et le harpiste israélien Sivan Magen. Depuis leur rencontre au festival de Marlboro en 2010, s’ils poursuivent chacun de son côté une carrière de soliste, les trois musiciens se produisent souvent en trio en Amérique du Nord. Tre Voci signe par cet enregistrement sa toute première manifestation internationale.


Si le trio a parfois recours aux transcriptions, la majeure partie de leur répertoire grandissant est directement composée pour leurs trois instruments. Le programme de ce récital souligne le point commun entre trois œuvres, d’une époque et d’un esprit différents, qui est, à un degré plus ou moins accentué, un subtil équilibre entre Orient et Occident. L’œuvre du compositeur japonais est un hommage au Français, lui-même sensibilisé aux sonorités orientales depuis 1889. Sofia Goubaïdoulina, Tatare qui se définit comme «l’enfant de deux mondes», signe une nouvelle preuve de l’ancrage permanent de cet effectif particulier dans la musique classique avec une fusion instinctive des deux mondes. Tre Voci saisit à la fois l’audace et la poésie des trois compositions, leur interprétation de la magnifique Sonate de Debussy peut-être plus musclée, plus roborative qu’à l’ordinaire, en particulier pour le mouvement final, mais non sans la pénétration, la subtilité et la fine volupté nécessaires. De toute évidence, pour eux c’est l’œuvre principale du récital, structurée et toujours nouvelle, à laquelle ils ont souhaité fournir un écrin logique, intelligent, poétique et original.


Tōru Takemitsu (1930-1996), en partie autodidacte, déclare avoir nourri son esprit, ses techniques et son esthétique à l’écoute des œuvres de Debussy et de Messiaen et à la lecture de leurs écrits. Il rend hommage à Messiaen dès 1975 et 1977 en composant Quatrain pour la même formation que le Quatuor pour la fin du temps, d’abord un quatuor avec orchestre puis sans. A Debussy, il rend hommage à plusieurs reprises par de discrètes ou de flagrantes citations et enfin, en 1992, par And then I knew ‘twas wind. Le titre vient d’un poème d’Emily Dickinson mais l’inspiration est debussyste, teintée de la fragile expression lyrique du chant du vent invisible dans les bambous, musique insaisissable mais suprême pour le compositeur japonais. Pour flûte, alto et harpe comme la Sonate de Debussy, l’œuvre intègre en son tout début une citation à l’alto tellement discrète que Takemitsu a fini par la faire souligner sur la partition mais, malgré une modalité fluctuante, les deux hexacordes qui fournissent les motifs et le matériel harmonique affichent par éclairs un pivot tonal de fa majeur comme la Sonate. Il ne s’agit jamais d’imitation ou de redite mais de la création très personnelle d’un passé maître du son et du timbre, originale dans le sens où l’écriture à l’occidentale sonne avec un raffinement profondément japonais. C’est une musique fluide et poétique d’une mélancolie ineffable que Tre Voci rend bien. Elle procède par germination ou par juxtaposition avec des effets d’ombre tel celui d’un doux accord à la harpe d’abord dominé par les motifs de la flûte et de l’alto sur les mêmes notes, leur soudain silence en révélant l’étrange résonance.


Sofia Goubaïdoulina (née en 1931), encouragée par son mentor Dimitri Chostakovitch, affiche depuis toujours son indépendance totale et ce sont les possibilités sonores de cet effectif désormais classique qui l’ont attirée, sans référence directe à Debussy. Garten von Freuden und Traurigkeiten (1980) doit ses contrastes à sa double inspiration: orientale principalement par un conte de Sayat-Nova, connu grâce au biographe Iv Oganov, et occidentale par la conception holiste du monde du poète Francisco Tanzer, dont un récitant prononce quelques vers au cours de l’œuvre ou, comme ici, tout à la fin. L’essentiel découle de la sensibilité de Goubaïdoulina devant ces écrits, sensibilité visionnaire qui s’exprime en musique pure. La partition, qui exige par ses techniques avancées une certaine virtuosité instrumentale, oscille entre quête et méditation. Si Debussy et Takemitsu cherchent une certaine intégration des sons, Goubaïdoulina isole les instruments en accordant à chacun un style diamétralement opposé qui peut s’échanger entre instruments au fur et à mesure de la progression. La flûte propose de longues lignes lyriques qui se brisent en tremolos et éclats sous l’effet de Flatterzungen; l’alto ondule en arabesques harmoniques pour les troquer contre arpèges et tremolos, assurant presque in fine les sinuosités lyriques de la flûte; la harpe transforme ses pizzicati en brefs glissandi sous l’effet d’une pédale, modifie son timbre avec la clef et s’anime en accords, tremolos et arpèges plus traditionnels. Les textures étiolées s’enrichissent grâce à elle. Tre Voci, attentif, en assure avec adresse la cohérence musicale.


Les trois instrumentistes défendent bien les trois œuvres de ce programme original. Ils bénéficient d’une prise de son claire et bien définie avec un bel équilibre spectral. C’est un ensemble tout à fait captivant.


La page de Marina Piccinini sur le site du conservatoire Peabody
La page de Kim Kashkashian sur le site de Simmenauer
Le site de Sivan Magen


Christine Labroche

 

 

 

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