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09/13/2014 Richard Strauss : Don Juan, opus 20
Karl Böhm in Rehearsal and Performance
Wiener Philharmoniker, Karl Böhm (direction), Arne Arnbom (réalisation)
Enregistré au Musikverein de Vienne (17-18 septembre 1970) – 48’ (répétitions), 18’ (concert) et 8’ (bonus)
Blu-ray Unitel Classica/EuroArts 2072184 – Son PCM Stereo – Format NTSC 4:3 – Region Code 0 – Notice trilingue (anglais, allemand et français) de Wolfgang Stähr
Must de ConcertoNet
«Straussien le plus "authentique"» pour Christian Merlin (Richard Strauss, mode d’emploi, Avant-scène Opéra, page 159), Karl Böhm (1894-1981) est certainement, avec Clemens Krauss, le chef d’orchestre qui a le plus intimement connu Richard Strauss (1864-1949). Créateur notamment de La Femme silencieuse et de Daphné, Böhm demeure à ce jour un des plus grands interprètes du compositeur allemand, qu’il s’agisse de ses opéras (La Femme sans ombre étant peut-être son opéra fétiche mais il ne faut pas non plus oublier une incroyable Elektra, captée en concert en décembre 1965 à Vienne, et un non moins somptueux Chevalier à la rose enregistré à Dresde en décembre 1958) ou de sa musique orchestrale.
Don Juan (1888) a accompagné Böhm tout au long de sa vie. Après avoir dirigé les Wiener Philharmoniker durant l’été 1970 aussi bien à Salzbourg qu’à Lucerne, voici donc ce document vidéo qui nous permet de voir le grand chef allemand répéter cette œuvre qui a ensuite été donnée à un concert au Musikverein, le 18 septembre 1970, intercalée entre la Vingt-huitième Symphonie de Mozart et la Deuxième Symphonie de Brahms. Les documents permettant d’assister aux répétitions de Böhm ne sont pas rares, à défaut d’être véritablement nombreux: souvenons-nous des répétitions de la Neuvième Symphonie de Schubert avec les Wiener Symphoniker et, si l’on se promène sur l’inévitable YouTube, on pourra également trouver des répétions de la Septième à la tête du Symphonique et, bien des années plus tard, des Deuxième et de nouveau Septième Symphonies de Beethoven, à la tête cette fois-ci de son cher Orchestre philharmonique de Vienne, à l’occasion de ce qui devait être son dernier concert, le 6 octobre 1980 au Japon.
Ici, après quelques mots de félicitations sur les derniers concerts donnés ensemble, Böhm lance immédiatement l’orchestre dans le vif du sujet. Et il est vrai que le rythme imposé par le chef est haletant, voire épuisant pour le spectateur: on se demande d’ailleurs comment les musiciens faisaient pour résister à cette connaissance absolument infaillible de la partition. Böhm, à peine une minute après le début du film, coupe déjà l’orchestre et le fait reprendre le même passage dont certains détails demandent à être davantage mis en exergue. Qu’il s’agisse de ses exigences à l’égard du timbalier (il s’agissait alors de Wolfgang Schuster, Böhm lui donnant d’ailleurs du «Herr Schuster»), du harpiste (il devait alors s’agir de Hubert Jellinek), du troisième cor (au sujet duquel il lance au premier cor, à 20’56 et en souriant, «mais il peut quand même compter un peu, non?», suscitant un franc moment de détente au sein de l’orchestre) ou des violons (au sujet des coups d’archet à 18’), il est intraitable et véritablement omniscient. Faisant constamment attention à ce que l’orchestre doive sonner, Böhm rappelle à l’ordre ses musiciens lorsqu’une nuance n’est pas scrupuleusement respectée quitte, de temps à autre, à ne pas hésiter à prendre quelque légère liberté à l’égard de la partition. Dirigeant de sa longue et fine baguette qui, à bien des égards, semble parfois gesticuler plus qu’elle ne dirige vraiment (par exemple à 6’50), il fouille le moindre recoin de la partition en veillant à ce que l’orchestre fasse bien la différence entre «césure» et «pause», en invitant les violons à faire preuve de davantage de musicalité («Phrasieren! Phrasieren!» leur lance-t-il après leur avoir sérieusement reproché, à 40’45, de privilégier leurs coups d’archet sur ses propres directives). Chantant souvent avec l’orchestre, Karl Böhm sait également se montrer bienveillant, n’hésitant pas à adresser des félicitations aux uns ou aux autres voire à l’orchestre tout entier lorsque celui-ci répond à ses idées musicales.
Aussi, nulle surprise dans le concert qui suit (qui commence à 47’16 dans le déroulement du DVD) et qui est le parfait reflet de la répétition. On s’étonnera seulement de la qualité de l’image, moins bonne dans le concert que dans la répétition, les couleurs y étant plus chaudes et la netteté supérieure; sur le strict plan musical en revanche, c’est superbe de vitalité, de contrastes, de couleurs.
Le Blu-ray se conclut par un bonus qui n’est autre qu’une introduction à l’œuvre dispensée par Marcel Prawy et qui devrait être visionnée en premier puisque le présentateur, assis dans une loge du Musikverein, invite ensuite le téléspectateur à assister à la répétition dispensée par Karl Böhm. Si elle n’est pas inintéressante, l’achat de ce Blu-ray s’impose avant tout par l’intérêt sensationnel de la répétition: on ne peut qu’espérer que de semblables témoignages paraissent de nouveau à l’avenir.
Sébastien Gauthier
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