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07/30/2012 «Musiques pour les fêtes et les mariages»
Georg Böhm : Mein Freund ist mein
Johann Sebastian Bach : Der Herr denket an uns, BWV 196 – Quodlibet, BWV 524
Johann Christoph Bach : Meine Freundin, du bist schön
Clematis : Mariana Flores (soprano), Steve Dugardin (contre-ténor), Fernando Guimarães (ténor), Philippe Favette (basse), Stéphane de Failly, Jivka Kaltcheva (violon), Sue Ying Koang (violon, alto), Paul de Clerck (alto), Benjamin Glorieux (violoncelle), François Joubert-Caillet (viole de gambe), Eric Mathot (contrebasse), Lionel Desmeules (orgue), Leonardo García Alarcón (clavecin, direction)
Enregistré en l’église Saint-Jean-l’Evangéliste de Beaufays, Belgique (mars, novembre 2011) – 68’06
Ricercar RIC 323 (distribué par Outhere) – Notice en français, anglais et allemand de Gilles Cantagrel et Jérôme Lejeune
Sélectionné par la rédaction
Fondé en 2001 par Stéphanie de Failly, premier violon, l’ensemble Clematis se concentre sur le répertoire moins connu des riches années du baroque en Europe occidentale. Le jeune chef argentin Leonardo García Alarcón, claveciniste et organiste, héritier et jadis assistant de Gabriel Garrido, partage avec la violoniste la responsabilité de la direction musicale.
Le programme présenté ici est en deux parties, l’une sacrée, l’autre profane. La première comprend deux cantates destinées à la célébration du mariage à l’église, la seconde, une cantate et un quodlibet destinés aux festivités de la noce. Ainsi une cantate relativement peu connue d’un J. S. Bach de vingt-trois ans, Der Herr denket an uns (BWV 196), succède à la rayonnante cantate Mein Freund ist mein de Georg Böhm (1661-1733), et l’étonnant Quodlibet BWV 524 (1707), du même jeune Bach prend la suite de la cantate profane Meine Freundin, du bist schön (1679) de Johann Christoph Bach. Le texte de cette dernière est un montage sensuel et assez épicurien d’extraits du Cantique des cantiques dont la lecture plus mystique inspira à un poète inconnu les six «versets» de la cantate de Böhm. Au clavecin uniquement pour le Quodlibet, Garcia Alarcón dirige avec une finesse expressive, la discrétion de mise lors du simple continuo, les quatre voix solistes au diapason de l’ensemble et excellents.
La structure de la cantate de Böhm est très simple. Le quatuor des voix l’ouvre et la clôt avec les cordes et le continuo, les quatre strophes intermédiaires confiées chacune à une voix soliste sur continuo à l’orgue (soprano, alto, basse, ténor), et séparées d’une même brève ritournelle, seul le phrasé subtilement différent. Böhm en fait un concert spirituel, insistant sur la phrase «Mein Freund ist mein» comme une antienne jusque dans le motif de la ritournelle et accordant à chaque voix un air qui correspond à la fois à son timbre et au sens du texte. On s’aperçoit aussitôt à quel point les timbres personnels des voix solistes de Clematis s’équilibrent sur le plan sonore et se mettent mutuellement en valeur. Comme pour Buxtehude ou Schütz, l’interprétation demande technicité et sensibilité. Clematis nuance, émeut – et éblouit lors de l’écriture finement polyphonique aux figuralismes parfois techniquement avancés des deux quatuors accompagnés, parfaitement en place. La cantate nuptiale de Bach est plus classiquement construite avec une courte symphonie en ouverture, deux chœurs à quatre flanquant deux airs, mais il manque au manuscrit les récitatifs, une éventuelle seconde partie et le choral que l’on pense perdus, ce qui expliquerait sa brièveté. Les quatre parties subsistantes présentent une suite de quatre versets du Psaume 115. L’écriture est lumineuse, touchée par la grâce, le solo destiné à la soprano tout à fait touchant. Alarcón dirige avec une vigueur délicate, soignant la clarté des lignes.
Johann Christoph Bach (1642-1703), cousin germain du père de Jean-Sébastien, composa Meine Freunden, du bist schön pour les festivités de son propre mariage. Clematis change légèrement de ton et fait discrètement comprendre que certaines phrases du texte, récit dialogué et patchwork habile, s’adressent aux contemporains du compositeur et non au Seigneur et sont à prendre au deuxième degré. Musicalement, cependant, J. C. Bach devait ravir ses hôtes. L’ensemble orchestral semble plus présent, plus dynamique, en particulier lors de la longue «Ciacona» au cœur de l’oeuvre, où le violon de Stéphanie de Failly danse autour de la soprano dans une double expression de candeur gracieuse et de charme innocent.
Quodlibet pousse l’ironie, l’allusion et le sous-entendu encore plus loin. On pense à Jérôme Bosch, au Concert dans l’œuf ou à la Nef des Fous plus encore au triptyque Le Jardin des délices entre le paradis perdu et une semonce moralisante. Ecrite pour un mariage et reprise lors de du mariage de Bach lui-même en 1707, l’œuvre reste assez proche de l'irrévérencieux textuel et musical pour que certains mélomanes préfèrent penser qu’elle relève d'un moment d'égarement... ou d'un autre compositeur. Elle se destinait plus probablement aux nombreux musiciens sérieux de sa famille qui appréciaient la distraction musicale et improvisaient de telles fricassées à chaque rencontre. Bach s’en acquitte avec humour et esprit: il se moque de plusieurs genres, courants à l’époque, tels le chant liturgique, les incontournables de la cantate, l’unisson appuyé, la figuration, qu’il exagère, ou le contrepoint qu’il rend brumeux et il termine sur une brève fugue jugée «eine schöne Fuge» ces mots partant eux-mêmes en une seconde fugue en clin d’œil.
Une interprétation moyenne compromettrait l’appréciation de l’œuvre. Celle de Clematis est brillante. García Alarcón met l’accent instrumental ou vocal exactement au bon endroit. Le pétrin, le «Backtrog» récurrent de l’oeuvre, par exemple, ressort en antienne, tout comme les «grosse» en cascade, parmi les gloussements et les petits rires des musiciens et solistes qui s’en donnent à cœur joie mais dans la stricte limite de l’admissible. L’articulation des quatre solistes grossit le trait du techniquement correct. Ils savent à l’occasion mettre en jeu jusqu’à la qualité même de leur propre voix: la lumineuse soprano de Mariana Flores devient plus plate et plus métallique, le riche timbre de Steve Dugardin donne dans le falsetto, le beau vibrato du ténor chaleureux de Fernando Guimarães s’étire ou s’éteint, la basse colorée de Philippe Favette s’alourdit. Les voix sonnant normalement, un caractère hymnique peut se faire un rien trop «beau». Cependant, l’ensemble bien dirigé par Alarcón ménage les effets et, tout à fait satisfaisant sur le plan purement musical, l’équilibre est systématiquement atteint.
Clematis fait vivre les œuvres de ce beau programme. L’attention portée au détail, leur musicalité, le bel équilibre des timbres, la juste mesure de leur expressivité et leur maîtrise technique aboutissent à un supplément d’âme qui rend la prestation d’autant plus appréciable. Une prise de son transparente et d’une belle présence en souligne le relief.
Le site de l’ensemble Clematis
Christine Labroche
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