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07/23/2012 “Il tormento e l’estasi”
Luigi Rossi : Un peccator pentito, cantata à 5
Domenico Mazzocchi : Pentito si rivolge a Dio, aria à 3
Biagio Marini : Passacaglio
Giacomo Carissimi : Jephte, oratorio a 6
Los Músicos de Su Alteza, Luis Antonio González (clavecin et direction)
Enregistré en l’église San Miguel de Daroca, Saragosse (septembre 2010) – 64’10
Alpha 183 (distribué par Outhere) – Notice exhaustive et traduction bilingues (français et anglais) de Denis Grenier et Luis Antonio González
S’inscrivant dans l’excellente série de disques parus sous le titre ut pictura musica («la musique est peinture, la peinture est musique»), le présent opus allie parfaitement l’ouïe et la vue. Le tableau sur la jaquette est un détail du corps de Marie-Madeleine, peinte par Guido Cagnacci (1601-1663), figurant sur un tableau intitulé Maddalena svenuta o in estasi («La Madeleine évanouie ou en extase»). La blancheur crue de la poitrine éblouit les yeux, d’autant que le regard le plus proche du corps féminin n’est pas le nôtre, celui du spectateur, mais celui d’un crâne (une vanité) que Madeleine porte sur ses genoux... Jamais l’alliance entre l’amour et la mort n’a été aussi brutale, aussi visible, aussi érotique même.
Or, ce sont ces mêmes sentiments qui nous animent à l’écoute de ce beau disque, à l’approche toutefois difficile pour ceux qui ne seraient pas familiers de ce répertoire. La première difficulté, même si elle ne pèse pas franchement sur les épaules de l’auditeur, réside dans l’authenticité du compositeur de la cantate morale Un peccator pentito («Un pêcheur repenti»). En effet, même si certains l’attribuent à Luigi Rossi (1597-1653), célèbre pour avoir composé un Orfeo à la demande du cardinal Mazarin, d’autres lui préfèrent un certain Marc’Antonio Pasqualini (1614-1691), castrat très connu du XVIIe siècle, qui fut également compositeur à ses heures. L’histoire nous conte comment deux âmes, une basse et un ténor, se flagellent en insistant sur le fait qu’elles ont bien mérité d’aller en Enfer, compte tenu des péchés commis dans le monde des mortels. Ces lamentations perdurent jusqu’à ce que de bonnes âmes viennent les trouver et leur conseillent de s’amender et de se repentir afin de pouvoir aller au Ciel, là où «même le parricide devient glorieux» (il parricidio ancor gloria diventa). Le discours est servi par de très belles voix, notamment celle de la basse João Fernandes que l’on avait pu entendre dans le rôle, bien différent, du roi, dans le King Arthur de Purcell. De son côté, l’accompagnement instrumental illustre parfaitement ces tourments, les esprits ne sachant plus à quel saint se vouer. Autres couleurs avec l’intervention de la soprano Eugenia Enguita qui n’hésite pas à secouer ces êtres larmoyants, virevoltante comme il convient, accompagnée par un magnifique violon solo tenu par Pablo Prieto. Les timbres sont très étranges dans la troisième partie, renvoyant notre oreille à un Moyen Age tardif; la haute-contre Gabriel Díaz force un peu sa voix dans les aigus de telle sorte que la souffrance de la scène n’en apparaît que plus crédible. Une vraie découverte, une non moins vraie réussite.
Domenico Mazzocchi (1592-1665), compositeur qui a été comme son frère d’ailleurs au service du cardinal Barberini (le futur Pape Urbain VIII), a composé sa pièce Pentito si rivolge a Dio («Un pécheur s’adresse à Dieu») dans une optique différente: ici, c’est le pécheur lui-même qui, reconnaissant ses torts, parle de lui-même à Dieu et, même si Celui-ci doit le châtier, accepte de Le suivre. Brève pièce de moins de quatre minutes, accompagnée de façon minimaliste, elle fait intervenir trois voix (une soprano, une mezzo et une basse) qui s’allient parfaitement et distillent un discours enjoué, dans un contexte qui, a priori, ne l’est pourtant évidemment pas. Autre intermède dans ce disque, la Passacaglio de Biagio Marini (1594-1663) pour deux violons et basse continue: même si le genre a pu donner lieu à des thèmes heureux, cette version privilégie la tristesse mélodique, celle-ci étant renforcée par une pulsation relativement pesante.
Enfin, œuvre-phare de l’époque, l’oratorio Jephte de Giacomo Carissimi (1605-1674) a déjà connu de multiples gravures discographiques. Pièce célèbre du compositeur, au même titre que ses oratorios Jonas ou Le Jugement de Salomon, Jephte (1649) bénéficie ici d’une interprétation exemplaire. Rien à voir, bien évidemment, avec ce que Händel fera plus tard de la même histoire (en 1757): ici, tout est centré sur les individus, les masses n’ont pas droit à la parole sauf pour jouer les intermèdes, la musique renvoie à l’humilité de l’Homme par rapport à Dieu. Entrecoupés par un narrateur (qui peut être aussi bien un alto solo qu’un magnifique chœur donc, notamment dans le passage «Cantemus omnes Domino»), le chant de Jephté (José Pizarro) et de sa fille (Olalla Alemán) est un vrai délice d’autant que la pièce se termine sur une note d’optimisme que seul l’auditeur peut conclure: lorsque la fille de Jephté dit à celui-ci qu’elle va partir dans les montagnes pleurer sa virginité avant de revenir pour être sacrifiée par lui, conformément au vœu divin précédemment formé, qu’est-ce qui nous garantit qu’elle reviendra? Pourquoi ne pourrait-elle choisir d’errer toute sa vie et, éventuellement, de trouver un mari dans une autre contrée? Carissimi pouvait-il, en définitive, nous livrer un plus profond message que celui-ci: la vie est ce que vous en faites, ni plus, ni moins.
Le site de l’ensemble Los Músicos de Su Alteza
Sébastien Gauthier
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