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09/01/2011
Georg Friedrich Händel : Alessandro HWV 21

René Jacobs (Alessandro), Sophie Boulin (Rossane), Isabelle Poulenard (Lisaura), Jean Nirouët (Tassile), Stephen Varcoe (Clito), Guy de Mey (Leonato), Ria Bollen (Cleone)
La Petite Bande, Sigiswald Kuijken (direction)
Enregistré au Doopsgezinde Gemeente de Haarlem (7-18 février 1984) – 207’03
Coffret de trois disques Deutsche Harmonia Mundi/The Sony Opera House 88697856552 (distribué par Sony)





Même si Georg Friedrich Händel (1685-1759) est un compositeur génial, avouons qu’il n’a pas laissé que des chefs-d’œuvre, certaines pièces trahissant en maintes occasions un caractère quelque peu poussif: tel est le cas d’Alessandro, opéra en trois actes à ne pas confondre avec le tardif pasticcio dénommé Alessandro Severo (HWV A 13). Car, en vérité, pourquoi cet opéra est-il demeuré si célèbre? Peut-être en partie tout de même pour sa musique puisque les témoignages de l’époque rapportent que, lors de sa création en mai 1726 au King’s Theatre de Londres, l’œuvre a soulevé l’enthousiasme. Mais, essentiellement en raison de la présence sur scène, lors des premières représentations, de trois des plus grands chanteurs de l’époque: le castrat Senesino (qui tenait le rôle d’Alessandro) et, surtout, les deux grandes rivales des scènes lyriques européennes qu’étaient Faustina Bordoni (Rossane) et Francesca Cuzzoni (Lisaura). La concorde était à ce point essentielle qu’Händel se débrouilla pour confier le même nombre d’airs à chacune d’entre elles, évitant ainsi tout crêpage de chignons sur scène!


Autre difficulté qu’a du résoudre Händel: celle de devoir composer une belle musique sur un livret insipide. Tous les analystes, de l’époque de la création à nos jours – relisez Piotr Kaminski, Jonathan Keates, ou Christopher Hogwood – s’accordent en effet pour dire que l’action, basée sur un livret de Paolo Antonio Rolli (qui s’est lui-même inspiré de La superbia d’Alessandro d’Ortensio Mauro), est d’une étonnante vacuité, les marivaudages ayant totalement occulté la force des caractères et la cohérence de l’action. Alexandre est aimé de deux femmes, la princesse Lisaura (dont le prince indien Tassile est amoureux) et la princesse Rossane (pour sa part aimée de Cleone, un général des armées d’Alexandre) qui est par ailleurs prisonnière de Lisaura. Sur fond mi-religieux (Alexandre prétend à la divinité ce qui heurte le probe Clito, prince macédonien, qui finira par lever une armée pour combattre l’usurpateur), mi-guerrier (Alexandre finit par vaincre les princes qui ont souhaité sa chute et, magnanime, leur pardonne à la fin de l’opéra), l’action décrit essentiellement les luttes que se livrent les deux princesses pour s’attirer l’amour du héros éponyme de l’opéra. Doté évidemment d’une grandeur d’âme peu commune, celui-ci, ne souhaitant pas se séparer du fidèle Tassile, repousse les avances de Lisaura (qui épouse Tassile) et choisit finalement de s’unir à Rossane.


Epopée à l’eau de rose, il ne faut donc peut-être pas s’étonner de ce qu’Alessandro n’ait bénéficié à ce jour que d’une seule gravure discographique. Dirigée par Sigiswald Kuijken, elle est l’un des deux seuls témoignages de ce chef dans Händel puisqu’il avait auparavant enregistré la rarissime Partenope, en 1979. Dans Alesandro, La Petite Bande avait déjà l’occasion de manifester sa verve (les cordes, les bassons, les trompettes dans la Sinfonia et le Recitativo accompagnato du premier acte) et, en maintes occasions, la parfaite alliance entre voix et instruments, les uns reprenant les autres, les premières se coulant doucement dans les sonorités des secondes et vice-versa. Citons, entre autres exemples de ce véritable dialogue, l’air «Quanto dolce amor saria» chanté par Lisaura (scène 4, acte I), le très bel air d’Alessandro «Men fedele, e men costante» (scène 7, acte I) ou, dans la même scène, l’air de Rossane «Un lusinghiero dolce pensiero». Qu’il s’agisse des cordes ou des hautbois (merveilleux tout au long de l’opéra), l’alchimie fonctionne sans aucune anicroche. Sigiswald Kuijken, a priori peu porté aux airs parfois extravertis de Händel, dirige l’ensemble avec énergie mais, compte tenu de la structure de l’opéra, ne peut pallier les manques de tension inhérents à la partition, les récitatifs étant souvent longs et déclamés sans grand sens de la théâtralité.


Car telle est également la petite faiblesse d’Alessandro: le manque de souffle de l’intrigue prête inévitablement à conséquence du strict point de vue musical. Il existe certes quelques très beaux airs mais la musique de Händel, toute aussi imaginative soit-elle, peine parfois à nous faire chavirer. Alors au faîte de ses moyens comme contre-ténor, René Jacobs domine bien évidemment la distribution. Qu’il chante avec véhémence («Men fedele, e men costante», scène 7 de l’acte I) ou de façon plaintive (l’air «Il cor moi, ch’è già vinto» où Alessandro dialogue avec Leonato, autre prince macédonien), Jacobs est dans son élément, servi au surplus par une diction parfaite trahissant la moindre inflexion ou émotion.


Les deux rivales que sont à la scène Sophie Boulin (Rossane) et Isabelle Poulenard (Lisaura) sont tout aussi convaincantes, chacune offrant de magnifiques vocalises. La première, Sophie Boulin, est exceptionnelle de tendresse, chantant avec la plus complète amabilité l’air «Lusinge più care» (acte I, scène 4), passant du style enjoué (quel dialogue avec, là encore, les hautbois dans l’air «Dica il falso, dica il vero» à la scène 8 de l’acte II!) à une atmosphère qui peut être beaucoup plus intime, recueillie, voire triste. L’air «Aure, fonti, ombre gradite» (précédé, à la première scène de l’acte II, d’un récitatif tout aussi poignant) et le récitatif «Vilipese bellezze» (acte I, scène 7) mettent en valeur une voix d’une pureté tout à fait incroyable. Ses mérites éclatent avec évidence lorsqu’ils se confrontent très directement à la voix tout aussi séduisante d’Isabelle Poulenard: ainsi, pour reprendre l’exemple du récitatif «Vilipese bellezze», celui-ci est emprunt d’une gravité d’autant plus profonde qu’il succède très adroitement au très vif «No, più soffrir non voglio» chanté par Lisaura, air pour sa part peu sujet au recueillement. Isabelle Poulenard s’avère donc globalement remarquable et s’affirme à nos yeux comme la meilleure interprète de ce coffret. Clin d’œil à l’Histoire, on écoutera avec attention le duo «Placa l’alma, quieta il petto» (scène 9 de l’acte I) qui confronte directement Rossane et Lisaura (donc, à l’époque, Faustina Bordoni et Francesca Cuzzoni): on en tremble encore!


Dans les rôles secondaires, Jean Nirouët, Stephen Varcoe, Guy de Mey et Ria Bollen sont réduits à la portion congrue, chacun ayant seulement un ou deux airs à se mettre sous la dent: aucun doute à avoir, Alessandro se résume véritablement à un trio amoureux. Encore une fois, c’est un peu court pour faire un chef-d’œuvre...


Le site d’Isabelle Poulenard
Le site de Stephen Varcoe
Le site de La Petite Bande


Sébastien Gauthier

 

 

 

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