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08/18/2011
Franck Bedrossian : It – La Solitude du coureur de fond – Tracés d’ombres – Manifesto – Bossa Nova – Propaganda

Pierre Stéphane Meugé (saxophone), Quatuor Habanera [*]: Christian Wirth (saxophone soprano), Sylvain Malézieux (saxophone alto), Fabrizio Mancuso (saxophone ténor), Gilles Tressos (saxophone baryton), Pascal Contet (accordéon), Ensemble 2e2m, Pierre Roullier (direction)
Enregistré au Conservatoire de Gennevilliers (20-22 mai 2009 et 17 janvier 2010 [Propaganda]) – 54’25
aeon AECD 1106 (distribué par Outhere) – Notice en français et en anglais





L’Ensemble 2e2m et le Quatuor Habanera, toujours prêts à affronter et à surmonter les difficultés techniques innovantes des partitions plus récentes, présentent ici une deuxième monographie – leur première – consacrée à Franck Bedrossian, jeune compositeur parisien né en 1971. Les six œuvres sont toutes de notre siècle – la plus ancienne de l’an 2000, les autres composées ou révisées à la Villa Medicis entre 2006 et 2008. Elles sont tout à fait représentatives de leur auteur.


Le mot-clé pour aborder l’œuvre de Bedrossian doit être «saturation». Il ne s’agit pas de sons réellement saturés mais de sons complexes à la fois naturels, parce qu’inhérents à la facture de l’instrument sans artifice, et impurs, comme le souffle et les rugosités recherchés et les sons accidentels ou bruits parasites des instruments traditionnels japonais. La recherche n’est pas celle, classique, de la grande qualité du beau son mais au contraire celle de la variété de sons et de timbres moins stables qui peuvent naître d’une multitude de techniques de jeu aventureuses ou inédites alliées à une audacieuse inventivité imaginative de la part des instrumentistes. Jusqu’à un certain point, on peut ainsi s’attendre à ce que deux exécutions tout aussi respectueuses de la partition apportent de fines nuances de coloration à chaque fois différentes selon les angles de la recherche personnelle et les éventuels aléas instrumentaux en direct. Un deuxième mot clé serait «énergie».


La Solitude du coureur de fond (2000) est une notion qui semble fasciner le monde des arts jusqu’au septième et c’est le titre que Bedrossian attribue à une composition pour instrument seul, le saxophone alto, le souffle, écrite alors que sa principale préoccupation semblait être la prédominance du timbre sur la hauteur, de la texture sur la modulation. Dans cet esprit, il pousse un instrument monophonique vers une production multiphonique et la pièce devient en quelque sorte l’ancêtre de ses pièces «saturationnistes». La virtuosité extrême exigée du musicien ne laisse plus transparaître un brio instrumental un rien complaisant mais un tissage sonore d’une grande complexité moirée qui accroche l’oreille comme un damas d’orient accroche le regard. Le compositeur aime à travailler avec son interprète et reste ouvert à d’éventuelles modifications qui servent à la fois l’œuvre, l’instrument et les prédispositions particulières du musicien. C’était le cas pour la mobilité et la grande souplesse du saxophoniste Pierre-Stéphane Meugé.


Bedrossian a aussi travaillé de près avec Pascal Contet, interprète de Bossa nova, pièce pour accordéon seul dont le titre évoque les attaches populaires bien que le rythme correspondant ne conserve en rien son caractère hypnotique. Pascal Contet s’adapte avec une aisance confondante aux exigences des différents compositeurs avec lesquels il travaille. La pièce l’invite à déployer des timbres, des sons hybrides encore inouïs à l’accordéon dans un jeu, aux extrêmes des registres et des durées, qui ne relève que fugitivement de la nature profonde de l’instrument tel qu’il est connu, lors de certaines plages statiques et contemplatives qui conservent néanmoins une tension dynamique.


Les deux pièces pour quatuor repoussent encore les limites des possibilités instrumentales. La première, Tracés d’ombre (2005-2007) pour quatuor à cordes, déjoue à l’envi les caractéristiques du quatuor classique à commencer par un son instrumental dominant qui, loin de l’élan lyrique, se fait brisé, sec, urgent, néanmoins engageant grâce à conviction et à la prouesse des quatre instrumentistes. Les trois mouvements enchaînés – vif, lent, vif accelerando – favorisent mobilité et textures, les thèmes s’y trouvent engloutis. L’unité de son se subdivise en seize cordes, et non en quatre instruments, et les lignes polyphoniques aux temporalités hachées se mêlent et se croisent sans cesse, créant une nouvelle unité, le son d’un quatuor réinventé. Propaganda (2008), pour quatuor de saxophones et électronique semble né d’une écriture comparable, malgré la suavité que l’on peut reconnaître à l’instrument qui ne peut disparaître tout à fait malgré les accumulations et les techniques mises en jeu. L’électronique ne supprime pas les instants retrouvés de rondeur naturelle mais semble en ajouter, surtout dans les graves, dans un jeu de résonance et d’écho parfois conflictuel qui souligne la suprématie du timbre et de sa distorsion sur la note.


It (2004-2007) et Manifesto (2008) sont pour ensemble, le dernier pour huit instruments à vent (flûte, hautbois, clarinette, clarinette basse, saxophone alto, basson, cor, trombone) qui se fondent dans un son nouveau tant les modes de jeu et les mariages de timbres les éloignent des sonorités familières dans un subtil dépassement des styles habituels. Les traits s’articulent avec cohérence autour de mini-silences dynamiques, fusent puis se posent, le climat tout à coup onirique. La direction de Pierre Roullier, nerveuse et précise, sert tout aussi bien It, pour flûte, clarinette, saxophone alto, piano, violon, violoncelle et contrebasse, qui est peut-être la pièce la plus ambitieuse des six et la plus contrastée. Energie est le maître mot. Elle naît d’un temps suspendu pour atteindre une frénésie anguleuse dont la densité s’étiole avant de mieux s’accumuler encore, urgente et «saturée», pour s’évanouir in fine dans l’espace d’un épilogue ouvert. Les modes de jeu, les gestes un rien free jazz, les associations de timbres et les distorsions sonores créent le son brut d’un orchestre en mutation encore inouï.


La notice contient une habile synthèse généalogique des systèmes musicaux, synthèse que l’on doit à Omer Corlaix et qui est en même temps une excellente présentation de l’esprit et des traits caractéristiques de l’œuvre de Franck Bedrossian. Elle est suivie d’une brève note de programme pour chaque œuvre, objective, informative et à chaque fois d’une grande clarté descriptive, rédigée par le compositeur lui-même. Le titre attribué à l’album est celui de l’œuvre la plus récente, Manifesto. C’est un titre qui trouve sans doute ici sa justification, le programme permettant d’approcher les objectifs, les espérances expérimentales et la richesse de vision d’un créateur musical en phase avec ses interprètes.


Le site de l’Ensemble 2e2m
Le site du Quatuor Habanera


Christine Labroche

 

 

 

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