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06/15/2011
Gustav Mahler : Symphonies n° 1, n° 2, n° 3, n° 4, n° 5 (deux versions), n° 6 (deux versions), n° 7 (deux versions), n° 8, n° 9 et n° 10 (Adagio) – Das Lied von der Erde (#)

Edith Mathis (II), Lucia Popp (IV), Elizabeth Connell, Edith Wiens, Felicity Lott (VIII) (sopranos), Doris Soffel (II) (mezzo-sopranos), Ortrun Wenkel (III), Trudeliese Schmidt, Nadine Denize (VIII), Agnes Baltsa (#) (contraltos), Richard Versalle (VIII), Klaus König (#) (ténors), Jorma Hynninen (VIII) (baryton), Hans Sotin (VIII) (basse), London Philharmonic Choir, John Alldis (II, III), Richard Cooke (VIII) (direction), Southend Boys’ Chorus, Michael Crabb (direction), Tiffin School Boys’ Choir, Neville Creed (direction), London Philharmonic Orchestra, Klaus Tennstedt (direction)
Enregistré en studio à Abbey Road (4-5 octobre 1977 [I], 10-12 mai, 8 juin et 5-7 octobre 1978 [V, X], 11-14 mai 1979 [IX], 20-22 octobre 1980 [VII], décembre 1982 et août 1984 [#]), au Kingsway Hall (17-31 octobre 1979 [III], 14-16 mai 1981 [II], 5-7 mai 1982 [IV], 28-29 avril et 4-9 mai 1983 [VI]), au Walthamstow Town Hall (20-24 avril 1986 [VIII]) et à la Westminster Cathedral (8-10 octobre 1986 [VIII]) et en public au Royal Festival Hall de Londres (13 décembre 1988 [V], 4 et 7 novembre 1991 [VI], 14-15 mai 1993 [VII]), Londres – 1059’31
Coffret de seize disques EMI 50999 0 94493 2 9 – Notice de présentation en français, anglais et allemand





En mettant la «somme» mahlérienne de Klaus Tennstedt (1926-1998) à la disposition du public le plus large (seize disques pour environ 35 euros), EMI frappe un grand coup. Ainsi que ConcertoNet l’écrivait à propos de la parution d’un remarquable disque Prokofiev par Tennstedt, cette intégrale Mahler témoigne d’une «époque sans doute rétive aux excès, puisqu’on lui préférait alors généralement celle qu’enregistrait parallèlement Eliahu Inbal». La notice de Chris Walton rappelle pourtant à quel point le chef d’orchestre est-allemand – qui parvint à «passer à l’Ouest» en 1971 et ne connut que tardivement la reconnaissance – offre un Mahler «résolument "honnête", en ce sens que ses interprétations, même lorsqu’elles sont le plus personnelles (…), ont une cohérence interne – une fidélité à la musique elle-même (…). Si Tennstedt ne nie ni n’obscurcit les extrêmes qui gisent près de la surface de la musique, il réussit néanmoins à donner une perception convaincante de la trajectoire globale et une compréhension de l’architecture à grande échelle.» Le mérite en revient aussi au Philharmonique de Londres, à la tête duquel Tennstedt exerça de 1980 à 1994 et qui rayonne de fiabilité et d’engagement, tant dans l’intégrale de studio (enregistrée entre 1977 et 1986) que dans les trois live (1988, 1991 et 1993).


Si depuis lors, d’autres ont approfondi le texte davantage encore, creusé des sillons plus profonds dans les nuances, taillé des arrêtes plus tranchantes dans les enchaînements rythmiques, cette intégrale peut s’imposer comme un premier choix: celui du lyrisme contrôlé. Trop contrôlé peut-être, à l’image d’une Première Symphonie (1888/1896) à nulle autre pareille, déroutante de logique intrinsèque, remplie de certitudes dès le début du premier mouvement, déroulant les épisodes sur un ton presque péremptoire et pourtant jamais pesant. Si le premier mouvement de la Neuvième (1909/1910) – compact et fiévreux – revêt lui aussi quelque chose de trop affirmatif, résolvant trop de questions, les épisodes centraux – de construction limpide – virevoltent de virtuosité sans emporter l’auditeur dans la même tornade qu’un Bernstein ou un Abbado. Implacable et à fleur de peau, l’Adagio est en revanche à peu près incontestable. Mais, plus encore, c’est dans celui de la Dixième (1910) – débordant de lyrisme et générosité, d’une force titanesque dans ses fulgurances comme dans ses arrêts sur image, d’une lenteur intimidante et étouffante – que l’on ressent tout l’amour que Tennstedt porte à cette musique.


Du volet central du corpus mahlérien, il offre – en concert comme en studio – des interprétations équilibrant à merveille l’emphatique et le grotesque, la puissance du tout et la subtilité du détail: des «classiques mahlériens» en quelque sorte. Contrairement à ce qu’affirme la notice («on ne peut nier que le Tennstedt live tardif atteignait par moments une immédiateté qui surpassait ses versions en studio antérieures»), on entend dans la (très réputée) version de studio de la Cinquième (1901/1902) davantage de mobilité panique, comme une fébrilité chez les cuivres, qui crée une atmosphère fiévreuse de fin du monde. Si elles se situent à un niveau d’évidence et de réussite bien moindres (le chef semblant comme dominé par une partition dont il ne perce pas tous les secrets), les deux gravures de la Septième (1904/1905) font elles aussi clairement pencher la balance en faveur de la version de studio, la tardive prestation de concert (mai 1993) manquant de constance et révélant davantage de chutes de tension que l’enregistrement de 1980. On souscrit pleinement, en revanche, à la préférence de Chris Walton pour la bouillonnante version de concert de la Sixième (1903/1904), semblant en effet «continuellement vaciller au bord d’une action irréfléchie», les deux interprétations étant marquées par l’excellence et le grandiose.


Devenue elle aussi un «classique» du disque, la Huitième (1906/1907) de Tennstedt est peut-être le meilleur moment de l’intégrale, faisant vibrer les piliers de Westminster dans l’Alles Vergängliche final sans bâcler le Veni, Creator Spiritus initial – complément idéal aux versions exaltées de Leonard Bernstein (notamment celle – à nos yeux inapprochable – de 1966 avec le Symphonique de Londres). Les autres partitions avec voix se situent un cran en dessous. Un chœur vraiment épais empêche l’élévation de la Deuxième (1888/1894) qui, tendue comme un fil, oublie du coup de respirer. Bien que la battue y soit tout aussi nerveuse, l’assèchement du message musical est moins gênant dans la Troisième (1893/1896), qui brille d’une lumière trop transparente – comme «anonymisée» malgré le soin de l’exécution et la solennité du ton – mais bénéficie d’une conduite plus habitée. Quant au Chant de la terre (1908/1909), il est plombé par des tempos engourdis (la battue se fait comme apathique) et des chanteurs flirtant tout à la fois avec l’expressionnisme et l’hédonisme (Klaus König, Agnes Baltsa)... même si l’on doit reconnaître que la déroutante pureté du chant dans l’Abschied en fait une alléchante version alternative. Mais avant de conclure que Tennstedt est plus à son aise dans les symphonies sans voix, on se doit d’évoquer une passionnante Quatrième (1899/1900), où Lucia Popp fait des merveilles dans un dernier mouvement respirant l’évidence – à l’image d’une interprétation alternant sobriété et enthousiasme débridé, conduite d’une main de fer sans rien perdre en vivacité. Cette lecture rapide – d’où ressortent par moments d’inquiétantes raucités – est habitée comme peu d’autres.


A ce prix-là, ce coffret Mahler est donc une aubaine.


Gilles d’Heyres

 

 

 

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