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02/14/2011
«Naples, 1685»
Domenico Scarlatti : Sonates K. 32, K. 39, K. 45, K. 64, K. 107, K. 118, K. 124, K. 125, K. 193, K. 239, K. 381, K. 394, K. 427, K. 454, K. 470, K. 492 et K. 547

Olivier Cavé (piano)
Enregistré à Grimisuat (octobre 2007) – 70’57
Æon AECD 0874 (distribué par Harmonia mundi)





Antonio Soler : Sonates n° 15, n° 18, n° 19, n° 24, n° 25, n° 42, n° 54, n° 84, n° 85, n° 86, n° 87, n° 88, n° 90, n° 129 et n° 154 – Prélude n° 2
Luis Fernando Pérez (piano)
Enregistré à Alcalá de Henares (27-30 mai 2008) – 73’03
Mirare MIR 101 (distribué par Harmonia mundi)





Domenico Scarlatti : Sonates K. 25, K. 30, K. 65, K. 115, K. 119, K. 132, K. 144, K. 206, K. 420, K. 426, K. 462 et K. 475
Antonio Soler : Fandango, R. 146

Bertrand Cuiller (clavecin)
Enregistré à Paris (janvier 2009) – 63’28
Alpha 165 (distribué par Harmonia mundi)





Domenico Scarlatti : Sonates K. 64, K. 87, K. 113, K. 121, K. 124, K. 138, K. 141, K. 157, K. 175, K. 178, K. 193, K. 204, K. 213, K. 214, K. 273, K. 284, K. 409, K. 419, K. 423, K. 431, K. 490, K. 491, K. 492 et K. 513
Mathieu Dupouy (clavecin)
Enregistré à Provins (23, 24 et 26 novembre 2009) – 64’33
Hérisson LH04 (distribué par Codaex)






Domenico Scarlatti : Sonates K. 8, K. 12, K. 25, K. 32, K. 40, K. 43, K. 56, K. 59, K. 69, K. 70, K. 83, K. 85, K. 95, K. 99, K. 144, K. 202, K. 225, K. 244, K. 373 et K. 441
Alice Ader (piano)
Enregistré à Paris (21-23 juin 2010) – 74’47
Fuga Libera FUG 574 (distribué par Harmonia mundi)





Domenico Scarlatti : Sonates K. 3, K. 8, K. 9, K. 29, K. 32, K. 64, K. 72, K. 132, K. 141, K. 208, K. 239, K. 380, K. 420, K. 430, K. 431, K. 472, K. 481 et K. 514
Alexandre Tharaud (piano)
Enregistré à La Chaux-de-Fonds (30 août-3 septembre 2010) – 68’05
Virgin Classics 50999 6420160 3





«Sois heureux»: l’amateur de la musique de Domenico Scarlatti (1685-1757) n’a pas de mal à se conformer à l’injonction par laquelle le compositeur italien clôt la préface des Essercizi (1738), les trente premières de ses cinq cent cinquante-cinq sonates. Car la discographie ne cesse de s’enrichir, un mouvement qui profite également à son alter ego (et, probablement, élève) espagnol, le «padre» Antonio Soler (1729-1783), redécouvert depuis plus d’un demi-siècle principalement grâce à son Fandango, surnom que porte par ailleurs une sonate de Scarlatti (K. 239).


Il y en a ici pour tous les goûts, non seulement parce que certains préfèrent le clavecin – Bertrand Cuiller, Mathieu Dupouy – et d’autres le piano – Alice Ader, Olivier Cavé, Luis Fernando Pérez, Alexandre Tharaud – mais surtout parce que ces six interprètes, bien que quatre d’entre eux soient très proches par l’âge (Cavé, Dupouy et Pérez, nés en 1977, Cuiller, né en 1978), abordent ce répertoire de façon extrêmement différente. Ne serait-ce que par les influences et parrainages qu’ils invoquent dans leur propos liminaire: Clara Haskil à la mémoire de laquelle Tharaud (né en 1968) dédie son disque (enregistré à La Chaux-de-Fonds, où «elle a régulièrement joué et séjourné»), mais aussi Wanda Landowska (Ader) ou Maria Tipo (Cavé).


Au-delà d’une forte variation quant au nombre de sonates sélectionnées, allant du simple au double – de douze pour Cuiller (et le Fandango de Soler) à vingt-quatre pour Dupouy (qui ne respecte pas toutes les reprises), en passant par dix-sept pour Cavé, vingt pour Ader et vingt et une (mais seulement dix-huit publiées) pour Tharaud – les programmes traduisent des objectifs divers: Cavé et Dupouy ne retiennent aucun des célèbres Essercizi, le second se montrant, de même qu’Ader, particulièrement original dans ses choix, tandis que Cuiller et davantage encore Tharaud empruntent des sentiers plus fréquentés. Quant à Pérez, il offre même une sonate de Soler (Cent vingt-neuvième) en «premier enregistrement mondial». A noter aussi que la plupart des interprètes font presque totalement l’impasse sur les groupes de deux ou trois sonates que Ralph Kirkpatrick s’était efforcé de reconstituer en établissant son catalogue de l’œuvre de Scarlatti: seul Dupouy, concluant sur la magnifique trilogie en des K. 490 à K. 492, semble y prêter un peu d’attention, tandis que Cavé ne joue pas l’une à la suite de l’autre les K. 124 et K. 125 qui forment pourtant une paire en sol.


Bien que Scarlatti ait quitté l’Italie dès les années 1720 pour se fixer dans la péninsule ibérique, certains invoquent Naples, tant dans l’inspiration que dit y avoir trouvé Cavé («digne fils d’immigrée italienne») – à l’instigation de Mario Tipo, elle-même scarlattienne réputée, («Tu es Napolitain, écoute ce que tu as en toi... et joue!»») – que dans la facture de l’instrument de Dupouy. Issu de la collection d’Alan Rubin et restauré par Oliver Fadini (ici avec un diapason à 450 Hz), il est attribué à Gasparre Sabbatino (vers 1710) et présente la particularité de dédier l’un de ses deux claviers au «tiorbino» (partie cordée en boyau) et de comporter un registre de luth sur le jeu principal. Mais l’Espagne a évidemment aussi son mot à dire: de façon évidente avec le Madrilène Pérez ou, conformément au concept de la toujours aussi superbe collection «Ut pictura musica» d’Alpha, le choix de Goya pour illustrer l’album de Cuiller; de manière plus allusive avec la couverture de celui d’Ader, photographie d’un étalage d’appétissants jamones qu’éclaire une citation de Théophile Gautier: «Les susceptibilités de la sérénade se sont beaucoup adoucies, et chacun peut "rascar el jamón" (gratter le jambon) sous la muraille de sa belle en tranquillité d’esprit.»


Du côté des pianistes, les générations se confrontent. Ader (née en 1945), qui appartient à celle de Scott Ross et Christian Zacharias, ne rougit pas de la comparaison. Bien plus: il faut aller au-delà cet euphémisme et affirmer que son approche est à la fois bien pensée et réjouissante. Dégraissé de toute pâte romantique, ne tentant pas d’imiter vainement le clavecin, ce qui aboutit si souvent chez d’autres à une sécheresse de sonorité et d’articulation, son piano essaye de retrouver la liberté que, dans sa brève notice (en français, anglais et allemand), elle avoue admirer chez les clavecinistes («liberté du phrasé "rubato expressif" qui est l’apanage [de leur] "parlando"»). Elle évoque par ailleurs sa découverte de ces sonates: «Mes préférées étaient celles influencées par l’Espagne.» Et il y a bien chez elle toute l’Espagne, sa «fierté rocailleuse» dans la K. 99 et son «jambon» bien «gratté» dans les harmonies hardies de la K. 69, mais aussi «la beauté rayonnante du monde solaire de l’Italie et de l’Espagne» dans le piquant de la K. 202 et la volubilité de la K. 85. Indépendamment de cette géographie des affects, la pianiste française, qui s’est évertuée avec succès à dénicher des perles rares parmi les 555 Sonates, laisse admirer une belle versatilité de caractérisation qui trahit à chaque instant son plaisir de se promener dans ces paysages musicaux: poétique K. 144, espiègle K. 441, tourbillonnante K. 373, dansante K. 56, primesautière K. 83. Mais comme rien ne peut être parfait en ce bas monde, dommage que la description des plages et la pochette indiquent que la K. 373 est en si bémol (alors qu’elle est en réalité en sol mineur).


Plus sage et étale, le jeu de Cavé rappelle la rondeur de celui de Maria Tipo, dont il revendique l’enseignement dans sa présentation liminaire complétant la notice (en anglais et en français). Il y a quelque chose de félin chez le pianiste, mais plutôt matou à pattes de velours et ronronnant de satisfaction que chat bondissant ou griffant. Le seul point de contact des récitals de Cavé et d’Ader est la K. 32, simple et admirable «aria» sur une seule page: le premier travaillant davantage la sonorité et la souplesse, la seconde privilégiant le dépouillement et la rigueur.


Tharaud a également retenu cette sonate, qu’il aborde dans un tempo légèrement plus allant et qu’il ornemente davantage, pour trouver une sorte de juste milieu entre le souci du son et l’austérité du ton. Après Couperin et Rameau, le parallèle entre son parcours et celui accompli voici plus d’un demi-siècle par Marcelle Meyer, dont l’anthologie scarlattienne (trente-deux sonates chez EMI) demeure une référence, se prolonge donc, mais dans un contexte qui a évolué, marqué par les conquêtes et victoires des clavecinistes intervenues depuis lors. En même temps, il doit assumer son statut de vedette, ce qui explique sans doute pourquoi il y a à peine plus de plages enregistrées que de portraits du pianiste sur la pochette et dans le livret (en français, anglais et allemand), où l’on apprend, selon le texte d’Adélaïde de Place et sa traduction allemande, que Scarlatti est né deux ans avant Rameau et même, selon sa traduction anglaise, dix ans avant (alors qu’il avait en réalité deux ans de moins que son homologue français).


Deux à deux, les rapprochements se révèlent ici encore instructifs: dans la K. 8 où Ader, bien que plus lente, paraît plus fluide mais aussi plus mate; dans la K. 64, «Gavotte» où son mordant l’emporte sur un Cavé plus moelleux et maniéré, ou dans la K. 239, «Fandango» par lequel Tharaud ouvre son programme et où il ne retient pas la même option de furia pétillante que son jeune confrère suisse. Indépendamment de ces parallèles, s’il n’apporte rien de fondamentalement nouveau aux célébrissimes K. 9 et K. 380 (parfois sous-titrées respectivement «Pastorale» et «Cortège»), on pourra admirer dans les K. 132, K. 208 et K. 481 une expression dépourvue de toute affectation et ce sens du cantab(b)ile si essentiel chez Scarlatti, dans les K. 29 et K. 72 un propos qui fuse de toute part, dans la K. 420 un élan et un tranchant irrésistibles, dans la K. 514 une délicieuse volubilité.


Avec son intégrale enregistrée chez Erato à l’occasion du tricentenaire de la naissance du compositeur, Scott Ross a-t-il définitivement la question pour ce qui est des clavecinistes? Oui, dans la mesure où la seule entreprise comparable par son exhaustivité, chez Naxos, a été réalisée au piano (qui plus est en changeant d’interprète pour chacun des quatorze volumes) et non au clavecin. Non, bien sûr, en ce sens qu’il est impossible d’avoir tout dit sur un corpus d’une aussi grande richesse. Dupouy le démontre amplement, car en matière de «grattage», c’est de «poil à gratter» qu’il s’agit avec lui: silences exacerbés, surprises, aspérités, voilà un Scarlatti rêche et astringent, de fort tempérament, jouant jusqu’à l’étrangeté des possibilités offertes par le «tiorbino». Mais les tenants de saveurs plus traditionnellement ibériques et gitanes, vives et poivrées (K. 175, K. 178, K. 284, K. 513), ou même d’atmosphères plus méditatives (K. 213) ne seront pas déçus pour autant.


Auteur de la notice (en français et en anglais), Dupouy y justifie notamment le parti pris consistant à omettre certaines des reprises en expliquant que «Scarlatti viole à un moment ou à un autre à peu près toutes les règles de composition» et qu’il ne voit donc pas pourquoi il «n’aurait de toutes les règles respecté que celle-là». Il se situe évidemment dans un univers tout autre que celui des pianistes, mais dame le pion aussi bien à Cavé qu’à Tharaud dans la K. 64 (Gavotte), fulgurante démonstration de ce qu’elle a été écrite pour le clavecin et non pour le piano. Et dans la miniature K. 431, Dupouy, qui en fait une sorte d’improbable Menuet lent au parfum de cymbalum, s’oppose radicalement à Tharaud, qui virevolte en moins de quarante-cinq secondes (y compris les deux reprises); le contraste est également radical entre le claveciniste et le pianiste dans la K. 141, imprévisible toccata chez l’un, impétueuses rafales chez l’autre. Rien de commun, de même, dans les K. 124 et K. 193, entre les sonorités recherchées de Dupouy et la grâce moelleuse de Cavé, qui offre une alternative tout aussi intéressante dans la K. 492.


Ne respectant pas non plus systématiquement les reprises mais ne partageant aucune sonate en commun avec Dupouy, Cuiller signe la notice (essentiellement biographique) la plus complète (en français et en anglais), sans compter le commentaire du tableau de Goya par Denis Grenier. Sur un clavecin de Philippe Humeau (2002), plus policé (quoique lui aussi «dans la tradition des instruments italiens de la première moitié du XVIIIe») mais capté par des microphones suffisamment proches pour laisser entendre la mécanique de l’instrument voire les pages de la partition ou la respiration de l’interprète, il ne peut paraître que moins déraisonnable et extravagant que Dupouy, satisfaisant ainsi ceux qui apprécient un Scarlatti plus attendu et plus équilibré. S’il est difficile de le départager avec Ader dans la K. 25 ou avec Tharaud dans la K. 420, ceux-ci confèrent toutefois davantage de variété au cantabile des K. 132 et K. 144. Mais la profondeur des K. 426 et K. 462 y est, de même que la hauteur de vue dans la K. 30 (fugue), et la K. 115 ne manque pas de caractère.


Et Soler dans tout ça? Cuiller donne son célèbre Fandango, dont la paternité a été contestée, avec la même virtuosité que dans certaines sonates de Scarlatti (K. 475), mais aussi une fougue communicative et une revigorante truculence qui font défaut à certaines autres (K. 65). Pérez lui consacre l’intégralité de son disque: assez peu fréquenté par les clavecinistes, le compositeur espagnol l’est encore moins par les pianistes, mais alors même qu’il a vécu durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, pourquoi ne jouirait-il pas lui aussi de la possibilité d’être découvert sur ces deux instruments? La notice (en espagnol, français et anglais) plaide bien sûr en ce sens et, plus encore, cette publication en elle-même: quinze des près de cent quarante Sonates laissées par le «padre» et un bref Prélude extrait de La Clef de la modulation (1762). Dans un corpus dont l’intégralité n’a semble-t-il pas encore été publiée et dont la numérotation est passablement compliquée par la superposition des catalogues établis par le père Samuel Rubio (1912-1986) puis par Frederick Marvin (né en 1926), le pianiste madrilène est remonté aux sources, c’est-à-dire aux manuscrits.


Si l’influence de Scarlatti est encore perceptible (Quinzième, Dix-huitième), s’annonce déjà l’univers préromantique de Haydn et Carl Philipp Emanuel Bach, d’autant que la forme se rapproche des canons classiques, que l’étendue du clavier s’élargit spectaculairement dans le grave comme dans l’aigu, que les modulations (Quatre-vingt huitième) et tonalités (fa dièse mineur et majeur, bémol) s’enhardissent, que les irrégularités rythmiques se développent et que Pérez, en accord avec les hypothèses formulées par les musicologues, regroupe les œuvres par deux de même tonalité mais de tempo contrasté (lent/vif), formant ainsi des paires qui évoquent certaines des sonates en deux mouvements du maître d’Esterházy. Malgré un jeu qui tend à la raideur et à la dureté, une passionnante invitation, en particulier pour les pianistes, à découvrir de vastes espaces pour la plupart encore inexplorés.


Le site d’Oliver Cavé
Le site de Luis Fernando Pérez
Le site de Bertrand Cuiller
Le site d’Alice Ader
Le site d’Alexandre Tharaud


Simon Corley

 

 

 

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