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11/30/2010
111 years of Deutsche Grammophon

Catalogue trilingue (anglais, allemand, français) de 112 pages et un disque promotionnel – 51’19
Publié en juin 2009





La célèbre petite étiquette jaune a réussi le pari fou de faire sortir la musique classique du seul cercle des mélomanes, la plongeant (et les artistes de son catalogue avec elle) dans le grand bain commercial au point d’assimiler, avant tout autre éditeur musical, le disque musical à un produit de grande consommation. Il était donc normal que la firme Deutsche Grammophon, qui appartient aujourd’hui au géant Universal, fasse l’objet d’une rétrospective historique et artistique digne de la notoriété qui est la sienne depuis plusieurs décennies: le catalogue qui nous est ici présenté en constitue pourtant une tentative bien maladroite et sans grand intérêt.


En effet, ce livre oscille constamment entre historique brossé à grands traits et marketing grossier, les illustrations participant elles-mêmes à ce vaste désordre, comme on va le voir. Reprenons néanmoins, à l’aide également d’un excellent article de Rémy Louis paru dans Diapason (novembre 2009) et consacré à l’histoire de Deutsche Grammophon de 1898 à 1925, les grandes lignes de l’émergence et du développement de cette firme qui, plus que n’importe laquelle de ses consœurs, symbolise le disque classique.


La Deutsche Grammophon Gesellschaft GmbH est fondée à Hanovre en décembre 1898 par les frères Joseph et Emile Berliner. Sa notoriété va découler de l’alliance de deux idées de génie. Tout d’abord, l’adoption d’un nouveau procédé de fabrication des disques qui, éclipsant l’ancien cylindre d’Edison, va désormais les concevoir à base de gomme-laque (importée d’Inde), ceux-ci étant ensuite commercialisés par la Grammophone Company, fondée en 1899 par l’associé londonien d’Emile, William Barry Owen qui, dans les faits, détient Deutsche Grammophon à 60 % (l’usine de Hanovre devient donc également propriété anglaise ce qui, on le verra, aura des conséquences non négligeables par la suite). Ensuite, la ferme volonté de faire enregistrer les plus grands artistes de leur époque: dès 1902, Enrico Caruso grave un 78 tours consacré à André Chénier de Giordano («Un di all’ azzuro spazio») puis, rapidement, vont suivre Francesco Tamagno (qui n’est autre que le créateur du rôle d’Otello de Verdi! Quelle époque!), Alessandro Moreschi (le dernier castrat), Luisa Tetrazzini ou Mattia Battistini. Le succès est tel que la production de disques s’envole: 36 000 exemplaires pour la seule fête de Noël 1907, 6 200 000 en 1908. Face à cette véritable lame de fond, les artistes accourent: Wilhelm Backhaus effectue ainsi le premier enregistrement d’extraits du Clavier bien tempéré en 1908 et, en 1910, le premier enregistrement d’un concerto (il s’agit en fait du premier mouvement du Concerto de Grieg avec le New Symphony Orchestra sous la direction de Landon Ronald). Surtout, en 1913, paraît la première œuvre intégrale jamais enregistrée: la Cinquième symphonie de Beethoven par l’Orchestre philharmonique de Berlin sous la direction du légendaire Arthur Nikisch (1855-1922) à l’aide de ces étranges objets que l’on appelait les Strohviolinen (instruments à cordes conçus spécialement pour les enregistrements, dépourvus de caisse de résonance mais dotés d’un pavillon comme les tubas ou les trombones!). Quelques mois plus tard, le Philharmonique enregistre quelques extraits de Parsifal sous la direction, cette fois, d’Alfred Hertz.


La Première Guerre mondiale bouleverse l’industrie phonographique puisque la gomme-laque est utilisée à des fins uniquement militaires tandis que le capital de Deutsche Grammophon est réquisitionné par le Reich car appartenant à des Anglais! Tant bien que mal, l’activité artistique se poursuit néanmoins, Richard Strauss enregistrant des extraits de son Bourgeois gentilhomme avec l’Orchestre du Staatsoper de Berlin, le chanteur Heinrich Schlusnus réalisant lui aussi son premier enregistrement pour l’entreprise, «Für dein Glück und für dein Leben», extrait du Bal masqué de Verdi. Au lendemain de la guerre, Emile Berliner quitte le directoire (1921) puis le conseil de surveillance (1922) de la société pour incompatibilité de vues avec l’équipe dirigeante en place, qui ne compte désormais plus de fondateur en son sein. Par ailleurs, en 1924, la firme est de nouveau autorisée à utiliser la marque «Die Stimme seines Herrn» («La voix de son maître») qu’elle avait adoptée en 1900 et dont elle avait été privée d’usage en 1918.


Deutsche Grammophon, toujours à la pointe de la technologie, met au point un nouveau procédé de prise de son électroacoustique en 1925, ce qui l’oblige à réenregistrer l’intégralité de son répertoire! Côté artistique, les années 20 sont d’ailleurs on ne peut plus florissantes: elles voient ainsi les premiers enregistrements pour la firme de Wilhelm Kempff (Chopin) en 1920, de Bruno Walter avec Berlin (l’ouverture de Coriolan en 1923), d’Otto Klemperer avec l’Orchestre du Staatsoper en 1924 (la Première symphonie de Beethoven), de Wilhelm Furtwängler avec Berlin en 1926 (la Cinquième symphonie de Beethoven et l’ouverture du Freischütz de Weber) ou de Bruno Kittel qui réalise le premier enregistrement de la Missa Solemnis avec le Philharmonique de Berlin toujours en 1928 (ce qui représentait alors une somme de onze disques!). En 1929, Deutsche Grammophon emploie 600 personnes dans sa seule usine de Hanovre (des usines ayant essaimé dans toute l’Europe ainsi qu’aux Etats-Unis) et produit annuellement plus de dix millions de disques, le chiffre tombant à 2,5 millions en 1932 du fait de la grande dépression (1,7 million en 1933 et, même, 1,4 million en 1936). En 1937, la Deutsche Grammophon AG est liquidée et remplacée par la Deutsche Grammophon GmbH, principalement financée par la Deutsche Bank et par la société Telefunken. L’année suivante, date ô combien importante, Herbert von Karajan est engagé et effectue, en septembre, son premier enregistrement pour la firme: ce sera l’ouverture de La Flûte enchantée à la tête, déjà, de l’Orchestre philharmonique de Berlin (il réalisera également pour Deutsche Grammophon son dernier enregistrement, la Septième symphonie d’Anton Bruckner en avril 1989, quelques mois avant sa mort). Comme cela avait été le cas vingt-cinq ans auparavant, le second conflit mondial cause de sérieuses difficultés à l’entreprise qui, ayant été entretemps achetée par Siemens (1941), poursuit de façon plus limitée ses enregistrements: on remarque tout de même une Passion selon saint Matthieu sous la direction de Bruno Kittel en 1941 (soit dix-huit disques de trente centimètres chacun!) et un Don Quichotte sous la direction de Richard Strauss en 1943, avec l’Orchestre d’Etat de Bavière. La production discographique reprend dès la fin de la guerre, le label Archiv Produktion étant créé en 1946 et inauguré par l’enregistrement d’œuvres pour orgue de Johann Sebastian Bach sous les doigts de Helmut Walcha (septembre 1947). Enfin, c’est en 1949 que Deutsche Grammophon mérite véritablement le surnom de «marque à la petite étiquette jaune» puisque c’est cette année-là que l’entreprise adopte son actuel logo élaboré par Hans Domizlaff.


L’apparition de la hi-fi en 1934 puis du microsillon à la fin des années 1940 est exploitée avec succès par Deutsche Grammophon qui, bien plus tard mais toujours avec ce souci d’utiliser au mieux les avancées technologiques, lancera également le disque compact au début des années 1980: le premier est enregistré par Karajan en 1981 (il s’agissait de la Symphonie alpestre de Richard Strauss). Pendant toutes les années d’immédiat après-guerre, les géants que sont Ferenc Fricsay (dirigeant la Cinquième de Tchaïkovsky avec Berlin en 1948), Dietrich Fischer-Dieskau (qui enregistre les Chants sérieux de Johannes Brahms en 1949), le Quatuor Amadeus en 1951, Lorin Maazel en 1957, Martha Argerich en 1960 signent en exclusivité chez Deutsche Grammophon, générant ainsi la constitution d’un panel d’artistes sans égal dans l’univers de la musique classique. La firme voit son siège transféré à Hambourg en 1956 avant de subir une forte restructuration qui conduira à la création de DGG/PPI (Philips Phonographic Industry) en 1962, sa restructuration en 1971 conduisant cette fois-ci à la création de Polygram. Les dernières années de l’entreprise sont plus connues: changements d’artistes-phares (Karajan, Böhm, Bernstein mais aussi Kempff ou Horowitz ayant disparu), développements de l’interactivité (Deutsche Grammophon crée son site Internet et lance en 2007 son «DG Web Shop», qui permet de télécharger de multiples concerts et disques ayant parfois disparu du catalogue général) et accroissement de l’offre aussi bien au niveau des concerts audio (la série «DG Concerts» étant créée en 2006) que des prestations filmées.


Face à une telle histoire (technique, musicale, politique, commerciale aussi) et à une telle richesse tant au niveau du répertoire que des artistes engagés, le livret qui nous est ici présenté fait bien piètre figure. L’histoire est certes rappelée mais seulement dans ses grandes lignes sous forme de tableaux chronologiques, les autres écrits étant présentés de manière fort désordonnée et étant seulement constitués de contributions flatteuses distillées par tel ou tel artiste (Anne-Sophie Mutter, Anna Netrebko...). On est également surpris par la pauvreté iconographique alors que Deutsche Grammophon s’est toujours distinguée par la grande recherche et la grande beauté de ses couvertures de disques: signe des temps, les premiers musiciens qui apparaissent en photo ne sont pas Karajan, Böhm ou Schneiderhan mais Lang Lang, Hélène Grimaud et Gustavo Dudamel... Enfin, que dire du disque qui accompagne le livre? Rien, absolument rien, si ce n’est qu’il fait voisiner quelques références bien établies du catalogue (une Danse hongroise par Abbado et Vienne, une Polonaise par Pollini...) avec des extraits de prestations d’artistes commercialement emblématiques d’aujourd’hui, Gustavo Dudamel dans Estancia de Ginastera ou Rolando Villazón dans «Questa o quella», extrait de Rigoletto. On l’aura aisément compris: cet ensemble n’est qu’un produit marketing et l’histoire passionnante de Deutsche Grammophon reste à écrire.


Le site de Deutsche Grammophon


Sébastien Gauthier

 

 

 

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