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11/18/2010 «Dom Quichotte… Cantates et concertos comiques»
Michel Corrette : Concertos comiques V «La femme est un grand embarras» et XXIV «La Marche du Huron»
Pierre de La Garde : Cantate «La Sonate»
Marin Marais : La Sonnerie de Sainte-Geneviève-du-Mont
Nicolas Racot de Grandval : Cantate «La Matrone d’Ephèse»
Philippe Courbois : Cantate «Dom Quichotte»
Dominique Visse (contre-ténor), Café Zimmermann: Diana Baroni (flûtes), David Plantier (violon), Petr Skalka (violoncelle), Guido Balestracci (viole de gambe), Eric Bellocq (luth et guitare baroque), Céline Frisch (clavecin et orgue), Pablo Valetti (violon et direction)
Enregistré aux Dominicains de Haute-Alsace, Guebwiller (décembre 2008) – 66’10
Alpha 151 (distribué par Harmonia mundi) – Notice exhaustive et traduction bilingues (français et anglais) de Denis Grenier et Thierry Favier
La série de disques parus chez Alpha et publiés sous les auspices de la formule ut pictura musica (la musique est peinture, la peinture est musique) est, pour une fois, trompeuse sur son véritable contenu. En effet, alors que le titre général fait référence au célèbre héros de Cervantès et que le tableau illustrant la jaquette nous montre Don Quichotte au bal chez Don Antonio, peinture multicolore et fort attrayante de Charles-Antoine Coypel (1694-1752), seule une pièce du disque fait directement référence à Don Quichotte. Il s’agit de la cantate du même nom de Philippe Courbois (1705-1730). Pourtant, la thématique aurait pu être enrichie par de nombreuses autres pièces musicales de la même époque tant ce héros par excellence a été une source d’inspiration pour les compositeurs: pensons au ballet en trois actes de Joseph Bodin de Boismortier Don Quichotte chez la duchesse (1743) ou à la Serenata Don Quichotte auf der Hochzeit des Comacho de Georg Philipp Telemann (1761).
Pour autant, on écoutera avec curiosité cette cantate écrite, donc, en 1710 par un certain Philippe Courbois, jeune compositeur un temps au service de la duchesse du Maine, dont la vie est inconnue et qui n’a laissé que peu d’œuvres (on compte également la cantate Ariane, magnifiquement interprétée par Agnès Mellon dans un disque Alpha 068 paru il y a quelques années). L’aspect comique de cette pièce, puisque tel est l’autre fil conducteur de ce disque, ne réside pas dans la musique mais dans les paroles ou, plutôt, dans le décalage qui existe entre le contenu de paroles, facilement pédantes, et la personnalité de leur auteur, plutôt fruste. La pièce, qui fait alterner quatre récits et quatre airs, fait également allusion à l’inévitable personnage de Sancho Pança, plus préoccupé par son bien-être terrestre («Là, le sobre Sancho secondant son courage/Par un reste de cervelas/A son large flacon livrait de doux combats») que par d’improbables histoires de cœur. La musique est peu recherchée mais tout à fait agréable, requérant les instruments sur un registre plaintif (le violon puis la flûte au début de l’air «Loin des yeux qui m’ont fait captifs») ou volontairement vulgaire (dans le dernier air, on croit ainsi véritablement entendre une vielle à roue accompagnant la maxime «A bon chat bon rat»).
Les deux autres cantates au programme sont respectivement composées par Pierre de La Garde (1717-1792), compositeur de la chambre du Roy en 1756, et Nicolas Racot de Grandval (1676-1753), qui fut notamment organiste à Saint-Eustache pendant plusieurs années. Ces deux pièces constituent un véritable hommage au ridicule des personnages qui, tel le Bourgeois gentilhomme, essaient de se comporter d’une certaine manière dans un milieu qui, à l’évidence, n’est pas le leur et dont ils ne maîtrisent absolument pas les codes. Dans la première, c’est l’histoire d’un compositeur qui dirige une de ses œuvres (la cantate débute d’ailleurs par le son des musiciens qui s’accordent, l’auditeur entendant par ailleurs à quelques reprises le chef d’orchestre taper sur le pupitre avec sa baguette) et qui, naturellement, se ridiculise en pensant avoir composé un véritable chef-d’œuvre. On appréciera à leur juste valeur aussi bien le jeu du dialogue entre la voix et les instrumentistes (une longue plainte des cordes répondant à la question «Etes-vous bien d’accord?») que le mimétisme entre les deux, voire l’illustration de la voix par les musiciens. Même si Dominique Visse a parfois tendance à trop forcer le trait, ses talents de comédien font néanmoins merveille, renforcés par l’extrême attention qu’il porte à la prononciation (ainsi, «ma foi» se dit «ma foué» et «cette plainte» se prononce «cette plète»). La cantate La Matrone d’Ephèse s’avère encore plus recherchée: riche de cinq personnages (la matrone, le récitant, la suivante, le soldat et la mari défunt), il s’agit d’une véritable pièce de théâtre où le burlesque (un cadavre pendu au bout d’un gibet est volé alors qu’il était censé être surveillé par un garde...) côtoie avec beaucoup de tact le sentimentalisme. Là encore, Dominique Visse joue sur les prononciations (on dit «fourniment et tabaque» et non «fourniment et tabac», de même que l’on doit dire «votre épousse» et non «votre époux») et sur les registres, passant de l’aigu au médium avec une réelle facilité. Les instrumentistes sont au diapason de ce climat comique (écoutez la voix spectrale du mari défunt accompagné des couinements du violon): la réalisation est ainsi parfaite. Une anicroche cependant: on regrettera les nombreuses petites erreurs que comporte le livret: le soldat chante «la charmante Aurore» (et non «la brillante Aurore»), tandis que le récitant fait allusion à «ce triste discours» et non au «discours» seul.
Plus connu que les trois compositeurs précédents, Michel Corrette (1707-1795), auteur de nombreuses compositions pour la flûte notamment, est ici représenté par deux «concertos comiques». Cette qualification est quelque peu sujette à discussion puisque, comme le dit Thierry Favier dans sa notice, elle désigne aussi bien l’origine des mélodies de ces concertos que le fait que ces mêmes pussent être joués en guise d’intermèdes lors des représentations de comédies interprétées sur de simples tréteaux, à l’attention de la population que. Les concertos surnommés La femme est un grand embarras et La Marche du Huron sont fortement influencés par le style italien, le deuxième mouvement de la première pièce joué par la flûte rappelant très fortement le style d’Antonio Vivaldi (1678-1741), le premier mouvement mettant quant à lui davantage en valeur un superbe violon, secondant avec habileté une très belle flûte. Même s’ils n’ont pas l’imagination instrumentale d’autres concertos comiques (on pense par exemple aux vielles et musettes dans Les Amours de Thérèse avec Colin), ces deux œuvres de Michel Corrette sont parfaitement illustratives de ce XVIIIe siècle galant et plein de finesse. Quant à la célèbre Sonnerie de Sainte Geneviève-du-Mont (1723), issue des pièces de trio composées par Marin Marais (1656-1728) pour le violon, la viole et une basse continue, il est difficile d’adhérer à l’opinion de Thierry Favier dans sa notice qui estime que «c’est moins le rire que le sourire que le compositeur cherche à faire naître, à travers une évocation pittoresque des cloches qui rythmaient la vie de la montagne Sainte-Geneviève». Le rythme lancinant et les variations effectuées par les instruments solistes illustrent bien davantage une certaine nostalgie, voire tristesse: on l’écoutera néanmoins avec un grand plaisir, son interprétation étant habitée de bout en bout, quand bien même Don Quichotte serait, là encore fort éloigné de nos préoccupations...
Le site de l’ensemble Café Zimmermann
Le site de Dominique Visse
Le site de Diana Baroni
Le site de Petr Skalka
Le site de Céline Frisch
Sébastien Gauthier
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