About us / Contact

The Classical Music Network

CD

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

11/02/2010

André-Ernest-Modeste Grétry : Andromaque

Karine Deshayes (Andromaque), Maria Riccarda Wesseling (Hermione), Sébastien Guèze (Pyrrhus), Tassis Christoyannis (Oreste), Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Olivier Schneebeli (chef de chœur), Chœur et orchestre du Concert Spirituel, Hervé Niquet (direction)
Enregistré dans la salle Henry Le Bœuf du Palais des Beaux-Arts, Bruxelles (octobre 2009) – 88’47
Un livre et deux disques Glossa GES 921620-F (distribué par Harmonia mundi) – Notices exemplaires en français (articles de Benoît Dratwicki, Buford Norman, Laura Naudeix et Alexandre Dratwicki)






André-Ernest-Modeste Grétry : Céphale et Procris
Pierre-Yves Pruvot (Céphale), Katia Vellétaz (Procris), Bénédicte Tauran (Aurore), Isabelle Cals (Palès, La jalousie), Aurélie Franck (Flore), Caroline Weynants (L’Amour), Chœur de chambre de Namur, Les Eléments, Guy Van Waas (direction)
Enregistré en public à la Salle Philharmonique de Liège (novembre 2009) – 149’09
Album de deux disques Ricercar RIC 302 (distribué par Harmonia mundi) – Notice exemplaire trilingue (français, anglais, allemand) d’Alexandre Dratwicki et traduction trilingue des textes chantés





André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813) est un compositeur méconnu, auteur pourtant de plus d’une centaine d’œuvres, dont une majorité de pièces lyriques, d’Isabelle et Gertrude ou les Sylphes supposés (opéra comique en un acte datant de 1767) à Zelmar ou Les Abencérages (drame lyrique en deux actes de 1802). Arrivé à Paris en 1767 après un classique détour par Rome, il compose un opéra à succès, Le Huron (1768), sur un livret de Marmontel qui s’inspirait lui-même d’une œuvre de Voltaire, L’Ingénu. Compositeur très en cour, il fut même rémunéré en 1774 par la reine Marie-Antoinette, qui en fit un de ses protégés. Finissant ses jours dans les cadres les plus institutionnels qui soient (décoré de la Légion d’Honneur, il est représentant de la musique dans les classes des Beaux-Arts et devient inspecteur du Conservatoire de musique de Paris), il laisse derrière lui un certain nombre d’opéras très intéressants, qu’il s’agisse de Richard Cœur de Lion (véritable pièce de ralliement des royalistes pendant la Révolution), L’Amant jaloux, La Caravane du Caire ou Zémire et Azor.


Bâtie sur un livret de Louis-Guillaume Pitra (1735-1818), Andromaque, tragédie lyrique en trois actes, fut créée le 6 juin 1780 au Théâtre de l’Académie royale de musique de Paris. L’accueil, comme le relève pertinemment Benoît Dratwicki dans son article, fut pour le moins mitigé. Ainsi, dans sa correspondance avec Grimm, Diderot se montre particulièrement sévère: «C’est l’Andromaque de Racine arrangée, d’autres veulent qu’on dise déracinée, par un honnête particulier de Lyon, M. Pitra, qui ne s’est avisé, comme Francaleu, qu’à quarante ans passés, de ses dispositions pour la poésie. La musique est de M. Grétry, mais dans la manière du chevalier Gluck; peu de chant, beaucoup de récitatifs, et des chœurs sans nombre (…) Ainsi l’on a fait de nos meilleurs poèmes lyriques, de nos meilleures tragédies, des ballets pantomimes, des opéras dans le goût moderne, réchauffés tantôt par les accents mélodieux du chant italien, tantôt par les symphonies bruyantes de la musique allemande» (Correspondance littéraire, philosophique et critique de Grimm et de Diderot de 1753 jusqu’à 1790, tome 10, page 290).


Certes, cet opéra n’est pas un chef-d’œuvre absolu: il ne mérite pas pour autant d’excès d’indignité. L’Ouverture s’avère on ne peut plus classique dans ses timbres et sa forme, s’enchaînant immédiatement avec le premier numéro confié aux chœurs, mais elle constitue néanmoins une très agréable entrée en matière. L’orchestre, mené avec vivacité et finesse par Hervé Niquet, est d’ailleurs excellent de bout en bout, que ce soit dans les ensembles (la marche orchestrale concluant le premier acte au son des flûtes et des tambours) ou dans les accompagnements (mention spéciale aux bassonistes, excellents dans le chœur «Ne fuyez point un exemple si doux» ou, avec les hautbois, dans la Gavotte, deux extraits du deuxième acte). Il témoigne ainsi de la richesse de l’écriture de Grétry (écoutez le vrombissement et l’éclat des armes lors du «Combat» à l’acte III, scène 4), inventivité que l’on peut également trouver chez ses confrères de l’époque que sont par exemple Gossec ou Francœur.


Outre la musique proprement dite, force est de constater que le chant révèle également de très beaux moments. Bien que le titre de l’œuvre fasse référence à une héroïne, c’est surtout la très belle voix de Pyrrhus qui, en premier lieu, mérite d’être saluée. Sébastien Guèze est superbe, héroïque et plaintif selon les sentiments qui le traversent (n’oublions pas qu’il tombe amoureux d’Andromaque alors que celle-ci est sa prisonnière et jure de rester fidèle à la mémoire de son défunt mari, Hector), faisant preuve d’une très belle technique et d’une non moins agréable projection vocale. A ce titre, on ne peut que recommander d’écouter, au premier acte, ses airs «Je ne fus que trop implacable» (scène 2), «Le fils dans ma juste colère» (fin de la scène 4) ou l’ensemble de ses interventions dans la scène 5. Tassis Christoyannis incarne un fier Oreste («Au vainqueur des Troyens», acte I, scène 2) même si l’on peut regretter quelques approximations au niveau de la justesse (le mot «jurez» dans l’air «Jurez de venger son injure» à la fin de l’acte II) dans ses néanmoins trop rares interventions. Maria Riccarda Wesseling est également idéale pour chanter le rôle d’Hermione, personnage le plus ambigu du drame qui se déroule sous nos yeux puisque, vouant Pyrrhus aux Gémonies, elle se suicide néanmoins en apprenant que celui-ci a été exécuté, pourtant sur ses ordres. L’air «Si, fidèle au nœud qui l’engage» au premier acte (scène 1) est un parfait exemple des accents mozartiens que peut ainsi revêtir la musique de Grétry, Maria Riccarda Wesseling faisant montre d’une belle technique quel que soit le registre sollicité. Quant à Karine Deshayes, elle participe pleinement à la réussite de l’ensemble même si Andromaque n’est peut-être pas le personnage le mieux servi vocalement. Son air «Laissez-moi baigner de mes larmes» (scène 7 de l’acte II), accompagné notamment par des flûtes très douces et des cordes non moins dramatiques, est superbe, au même titre que le puissant et lugubre «Ombre chérie, ombre sacrée» (début de la scène 1 de l’acte III).


A l’image de ce que l’on pouvait entendre dans les tragédies antiques, le chœur a ici une très grande importance. Le chœur ou, devrait-on plutôt dire, les chœurs puisque participent à l’enregistrement non seulement les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles mais aussi le chœur du Concert Spirituel. L’ensemble fonctionne on ne peut mieux, adoptant à l’occasion des accents que l’on retrouvera peu ou prou chez Berlioz (la parenté avec Les Troyens par exemple est étonnante dans le chœur des matelots «Hâtons-nous, hâtons-nous et quittons ce rivage» à l’acte II, scène 5). Paisible et affectueux dans l’air «Chantons, célébrons l’hyménée» (scène 4 de l’acte III), il sait également célébrer les vertus masculines et guerrières («De tous nos rois, secondez la colère» à l’acte I, scène 2) ou l’horreur de l’action commise (c’est naturellement le cas pour le chœur conclusif «Dieux implacables, dieux vengeurs», lui aussi parsemé d’accents dignes du grand Wolfgang).


Autant le personnage d’Andromaque est relativement connu, autant ceux de Céphale et Procris demeurent quelque peu mystérieux. Leur histoire, célébrée aussi bien par Virgile que par Strabon ou Ovide, n’est en fait qu’une allégorie de la jalousie: ils s’aiment jusqu’à ce que l’Aurore, tombée amoureuse de Céphale, incite ce dernier à tester la jalousie de Procris afin de démasquer son infidélité en ensuite de se rapprocher de lui. Sans s’attarder sur les péripéties émaillant leurs aventures, disons qu’après s’être mutuellement trompés, les deux amants se réconcilient. Mais, comme dans toute tragédie qui se respecte, on ne pouvait en rester là! En effet, rongée par la jalousie, Procris, pensant que Céphale continue à voir l’Aurore en cachette, suit ce dernier lors d’une sortie nocturne; or, Céphale, voyant un branchage bouger, croit que c’est une biche et lance son javelot qui, malheureusement, tue la belle Procris. Céphale, fou de douleur, se suicide à son tour.


Cette histoire inspira à André-Ernest-Modeste Grétry un ballet héroïque en trois actes, créé lors d’une célébration officielle puisqu’à l’occasion du mariage du Comte d’Artois, frère du roi Louis XVI, le 30 décembre 1773, à l’Opéra royal du Château de Versailles. L’orchestre auquel recourt ici Grétry s’inscrit davantage dans l’époque classique tardive qu’il ne le faisait dans Andromaque: ainsi, son Ouverture est-elle très proche de certains mouvements de symphonies composées par Gossec ou, même, Haydn par sa nervosité, ses coups acérés, ou son opposition entre les cuivres d’une part, les bois (magnifiques clarinettes, comme elles le seront d’ailleurs à chacune de leurs interventions) et les cordes de l’autre. Les instruments distillent ainsi une formidable quantité d’atmosphères, de la chasse (le chœur des Nymphes de Diane à la scène 5 de l’acte I) à celle des salons, rappelant par exemple ce que pouvait composer Vogler à la même époque (les flûtes dans la Pantomime à la scène 5 de l’acte I). L’orchestre allie savamment virtuosité (les bois dans le Tambourin concluant le premier acte), douceur mélodique (l’accompagnement des bassons dans la scène 7 concluant l’acte II) et, de manière générale, s’équilibre parfaitement avec les voix (l’air de Céphale dans la scène 2 de l’acte I ou le chœur «Fille cruelle de l’Amour» au début de l’acte III). Sans vouloir faire de jeu de mots trop facile, disons que Guy Van Waas est ici dans son élément, comme il l’avait déjà prouvé lorsqu’il avait donné Céphale et Procris sur les lieux mêmes de sa création en novembre 2009.


Les chanteurs, qui ont eux aussi pris part à ce spectacle, sont également de très bonne tenue. Pierre-Yves Pruvot incarne généralement un très bon Céphale (on renverra l’auditeur aux airs de l’acte I «De mes beaux jours» à la scène 2 ou de l’acte III, «Tout m’épouvante, tout m’alarme» à la scène 6). Il n’empêche que celui-ci souffre parfois de problèmes de stabilité vocale qui passent plus ou moins inaperçus selon la beauté (scène 4 «Parais, mortel amoureux») ou non du chant (ainsi de l’ariette à la scène 6 de l’acte II). Katia Vellétaz joue également très bien son rôle, chantant avec beaucoup de finesse les airs que lui a dévolus Grétry. On écoutera tout spécialement l’air «Témoin de ma naissante flamme» (acte III, scène 2) magnifiquement accompagné par un orchestre où s’illustrent en priorité hautbois et violoncelles, ou son duo avec la Jalousie («Ah, j’ai bien mérité l’injure!», acte III) qui nous plonge immédiatement dans l’univers mozartien. Bénédicte Tauran est la véritable révélation de cet enregistrement: elle incarne au mieux l’Aurore qui, ne l’oublions pas, en étant la tentatrice de Céphale, entraînera ce dernier, ainsi que son amante, dans l’abîme. Même si ses aigus ne sont pas toujours idéalement maîtrisés, elle donne une prestation qui doit ici être chaleureusement saluée (écoutez par exemple l’ariette à la scène 3 de l’acte I «Mon cœur blessé» ou son air «Ne vois-tu pas ce qui m’engage?» à la scène 6 de l’acte II). Caroline Weynants brille en un seul endroit (la partition est ainsi faite...) mais de quelle manière: son air «Plus d’ennemis dans mon Empire» dans la dernière scène de l’acte III est magnifique, lui permettant de faire montre de toute l’étendue de sa technique, la partition s’avérant ici particulièrement redoutable. Isabelle Cals et Aurélie Franck, même si elles n’ont pas de partie soliste importante, se fondent elles aussi avec bonheur dans l’ensemble (notamment au début de l’acte II). Enfin, soulignons la participation active du Chœur de chambre de Namur qui alterne efficacement entre atmosphère bucolique («Dieux du printemps, dieux des bergers» à la scène 1 de l’acte II) et brillance pure (le chœur conclusif de l’œuvre est splendide).


André-Ernest-Modeste Grétry est encore aujourd’hui un inconnu: voici deux gravures, superbement réalisées, qui permettent de mieux le connaître et de ne pas négliger un compositeur ô combien talentueux, dont on ne peut qu’espérer le voir affiché dans les salles de concerts et d’opéras. Il serait bien dommage de se priver de tels moments!


Le site de Karine Deshayes
Le site de Maria Riccarda Wesseling
Le site de Sébastien Guèze
Le site du Centre de musique baroque de Versailles et du chœur des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles
Le site du Concert Spirituel
Le site de Pierre-Yves Pruvot
Le site de Bénédicte Tauran
Le site du Chœur de chambre de Namur, de l’ensemble Les Éléments et de Guy Van Waas


Sébastien Gauthier

 

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com