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08/25/2010
Jonathan Harvey : Scena – Jubilus – Speakings

Elizabeth Layton (violon), Scott Dickinson (alto), BBC Scottish Symphony Orchestra, Ilan Volkov (direction), Gilbert Nouno, Arshia Cont, Grégoire Carpentier (recherches et réalisation informatique musicale, Ircam)
Enregistré aux City Halls de Glasgow (5-6 mars [Speakings] et 30 avril 2009) – 56’06
aeon AECD 1090 (distribué par Harmonia mundi) – Notice de présentation en anglais et en français de Bruno Bossis





Le compositeur britannique Jonathan Harvey (né en 1939) attache une importance musicale, technique, sociologique et philosophique à la voix humaine comme en témoignent tant son catalogue, qui comporte à ce jour une petite trentaine d’œuvres avec voix, que l’attention que les ensembles vocaux prêtent à ses compositions plastiquement bien adaptées à la voix dans une veine tout à fait originale.


Les trois œuvres de la sélection ne font pas appel à la voix directement mais en sont étroitement inspirées. Elles en présentent trois états: Speakings la voix naturelle de la naissance de la parole à l’éloquence, Jubilus son caractère rituel, spirituel et poétique, et Scena la voix vibrante mais distanciée de l’art théâtral et de l’art lyrique. D’un attrait inventif, la première par ordre chronologique, Scena (1992) met en avant l’artiste lyrique et son rapport à l’opéra et à l’émotion au moyen du chant, du jeu et du tempérament. Il n’y a pas d’argument à cette scène d’opéra. Il s’agit plus largement d’une évocation voire d’une affirmation de l’intemporalité du genre et de l’expressivité vocale des principaux intervenants. Pour violon (une diva) et neuf instruments sans cuivres (1.1.0.0. perc. guitare, harpe, piano, 1.1.0.1.), la pièce fait appel à la virtuosité des instrumentistes, acteurs du drame et créateurs des climats. Toutefois, l’écriture se concentre principalement sur les jeux de résonance entre les différentes cordes (dont le piano), qui créent un décor mobile, fluctuant et instable, parfait écrin pour la diva (le violon) qui évolue à travers cinq «événements» qui permettent l’épanouissement de son talent. Elizabeth Layton, premier violon de l’orchestre, jouit d’une connivence avec les musiciens que l’on peut penser de première importance ici et elle assume avec bonheur l’expressivité ad hoc d’une soprano qui se livrerait successivement à l’imaginaire fécond d’un «Lament», d’un «Mystical Event» peuplé d’oiseaux, d’un «Romantic Event» et d’un sombre «Dream», pourtant plus onirique que cauchemardesque, avant les dix variations agitées de la «Metamorphosis» et la coda finale.


Les tintements en introduction de Jubilus (2002) pour alto et ensemble créent aussitôt une image de rite religieux que souligne le recueillement du beau thème de l’alto qui s’enchaîne. Aussitôt, cependant, la pièce verse d’un plain-chant familier dans d’indélicates sonorités cuivrées proches du carnyx des temps antiques. C’est ainsi que l’alto s’impose, par rapport à l’ensemble, en anachorète itinérant, lien incontestable entre les pratiques religieuses d’occident et d’orient d’hier et d’aujourd’hui. L’écriture pour les huit instruments – dont une clarinette contrebasse et une percussion métallique actives – se nourrit de tradition mais reste d’une grande inventivité compositionnelle. L’alto traverse des paysages sonores qui évoquent fugitivement des cloches de culte, le bronze des bols tibétains ou le gamelan et son chant, né d’un travail d’amplification sur les mélismes éclatés de l’Alléluia grégorien, laisse résonner tout à coup le chant grave des moines bouddhistes, les jubili émiettés se glissant entre les gouttes de la Pluie des fleurs, pur chant de tradition Drukpa. L’altiste écossais, Scott Dickinson, évolue à l’aise entre les registres extrêmes de son instrument et son expressivité transmet un sentiment de paix harmonieuse et de sérénité universelle, les derniers sons filés proches de l’extase dans un aigu élevé d’une douceur infinie.


Pour grand orchestre, un ensemble de onze solistes et dispositif électronique, Speakings (2007-08) est le troisième volet d’une vaste trilogie orchestrale sur la purification dans l’acception bouddhiste du terme, celle de l’esprit (...towards a pure land 2005), du corps (Body Mandala 2006) et de la parole. L’élaboration progressive de la partition s’effectua grâce à l’expertise de trois chercheurs et du compositeur lui-même travaillant en étroite collaboration à l’Ircam. L’analyse spectrale d’échantillonnages de cris, de balbutiements, de mantras, de paroles et de discours de sources diverses permit une double notation – mélodique par le phonème et l’intonation, harmonique par le timbre – qui irrigua les procédés d’écriture d’un compositeur qui «rêvait d’un orchestre qui parle» et ouvrit au développement, selon les mêmes paramètres, d’un dispositif électronique destiné à intervenir en temps réel pour modeler le son des instruments de l’ensemble en se synchronisant sur le chef d’orchestre grâce à un clavier midi. Le résultat est une pièce fascinante en trois parties enchaînées qui mettent en musique trois étapes de la parole humaine: la naissance de la parole et les premiers balbutiements de l’homme et de l’enfant, les multiples facettes d’un bon emploi ou d’un abus de parole, jacassant et volubile, et la communication spirituelle née d’un sage usage de la parole, la musique réverbérée comme dans un vaste lieu de culte. Jonathan Harvey spatialise son travail en partie grâce à l’intervention de l’électronique sur huit canaux mais l’essentiel se prépare en amont – le compositeur a souvent recours à des groupes instrumentaux composés et opposés à travers l’orchestre, il joue sur les textures raréfiées ou enrichies et il effectue une recherche timbrale à la fois raffinée et audacieuse. Les trois parties sont de caractère très différent: les choix instrumentaux et la spatialisation des deux parties extérieures installent pour chacune un climat hors du temps, mystique sinon métaphysique, alors que l’importante section centrale devient une chaotique tour de Babel qui maintient une clarté structurelle tout à fait remarquable.


Ilan Volkov fut le chef de la création à Londres en 2008 à la tête de ce même orchestre. On imagine aisément les liens étroits qui se sont développés et entretenus entre l’œuvre et les exécutants et on ne peut que constater la conviction avec laquelle ils s’y prêtent. Les différents instrumentistes des trois ensembles plus réduits que demandent les trois œuvres de ce disque en deviennent des solistes inspirés et c’est certain que l’auditeur bénéficie de la compréhension approfondie de la musique de Jonathan Harvey qui en résulte. C’est un programme bien défendu, plein de sensibilité, qui mérite l’attention de tout mélomane ouvert et prêt à l’aventure.


Le site de Jonathan Harvey


Christine Labroche

 

 

 

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