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04/14/2010
Benedetto Marcello : Cassandra, cantata per alto
Johann Sebastian Bach : Concerto en ut mineur d’après Benedetto Marcello, BWV 981

Kai Wessel (contre-ténor), David Blunden (clavecin)
Enregistré à La-Chaux-de-Fonds, Suisse (24-26 septembre 2009) – 66’42
æon AECD 1087 (distribué par Harmonia mundi) – Notice en anglais, français et allemand de Kai Wessel et David Blunden, livret d’Antonio Conti in extenso





Musicien nobile dilettante, homme de lettres et homme de loi connu pour ses pamphlets satiriques, tel Il Teatro alla moda dirigé contre le monde de l’opéra italien, le compositeur Benedetto Marcello (1686-1739) laisse un important catalogue tant instrumental que vocal dont l’œuvre maîtresse est sans doute l’Estro poetico-armonico recueil en huit livres des cinquante premiers psaumes paraphrasés en italien et mis en musique dans le style cantate. La cantate en soi, cependant, sacrée ou profane, est un genre que Marcello prisait tout particulièrement : il en composa près de quatre cents.


La cantate Cassandra (1727) a connu de nombreuses représentations à son époque, comme en témoignent les vingt-cinq copies toujours en existence, mais elle est rarement reprise de nos jours, peut-être en raison de la difficulté qu’elle représente pour les interprètes qui doivent assurer une partie de chant qui demande une tessiture de plus de trois octaves et une souplesse qui permet le passage aisé de la voix de fausset – voix de tête – à la voix de poitrine. C’est un monologue de près de cinquante minutes destiné à une seule voix d’alto qui passe sans heurt au registre de basse ou de baryton pour une meilleure mise en relief du texte, lors de certains effets dramatiques, et qui s’y installe pour évoquer les paroles de Priame prononcées à un moment crucial du drame. Moins exigeant, le rôle du clavecin est un rôle de soutien et d’accompagnateur, la prédominance ne lui échouant que lors de brèves introductions ou de phrases conclusives. Toutefois, selon l’usage baroque, David Blundel a recours par deux fois à l’improvisation thématique, ce qui a l’avantage de reposer la voix, de souligner l’articulation du texte, qui passe de l’oracle à la description des faits, et d’éveiller l’auditeur à ce changement de sphère.


Le livret retrace la guerre de Troie soumise à l’intervention chaotique des dieux en s’inspirant des textes d’Homère et d’Euripide. De style assez austère, la cantate est une suite soutenue de récitatifs et d’ariosos, cinq airs de dimensions modestes s’interposant à des moments-clés. Les fines modulations inattendues, les transitions harmoniques, les ruptures stylistiques et les embellissements vocaux mettent en valeur le son et le sens des mots du librettiste, le poète vénitien Antonio Conti, dans une dramatisation des événements et des affects vivante mais discrète. La technique vocale de Kai Wessel est parfaite. Il négocie avec adresse les difficultés d’une partition aux fines nuances harmoniques et aux étonnants effets insolites tant vocaux que dramatiques. Le timbre de sa voix est parfois un peu sec, trop blanc, peut-être, peu développé et trop peu vibré sur certaines notes, mais Kai Wessel file les aigus avec une douceur satinée d’une pureté remarquable.


Alors qu’une interprétation à deux voix avec continuo semble envisageable à l’écoute de l’œuvre, la décision de maintenir l’effectif à une seule voix d’alto, c’est à dire de basse en altus, et de remplacer le continuo par le seul clavecin est un choix mûrement réfléchi à partir de témoignages et critiques de l’époque de la création et au-delà et d’un examen minutieux des manuscrits que Wessel avait à sa disposition. (L’une des copies était de la main de Johann Christoph Friedrich Bach). Le résultat est d’un impressionnant style épuré qui laisse transparaître tout naturellement les affects du texte selon le souhait du compositeur. Le mélomane peut saluer avec plaisir tout autant l’exploit que l’enregistrement qui est une première mondiale.


Caractéristique du baroque italien à son apogée, la musique instrumentale de Benedetto Marcello recèle des trésors qui ont attiré l’attention de confrères et d’interprètes à travers les siècles, de Bach à Bartók. Jean-Sébastien Bach, sensible au concerto italien en son jeune âge, ornementa le Concerto pour hautbois du compositeur vénitien et fit du Concerto pour violon en mi mineur, deuxième des Concerti a cinque, une remarquable transcription pour clavier en ut mineur que nous entendons ici au clavecin sous les doigts agiles et expressifs de David Blunden. Sans acidité agressive, le piquant et la sève intacts, le beau son moelleux du clavecin est dû au facteur Andrea Restelli de Milan qui fit en 2002 une copie d’un clavecin de 1748 de Philip Jacob Specken conservé au Musée d’instruments de musique de Stockholm. La sonorité relève aussi d’une prise de son qui préserve toute la discrétion du son naturel du clavecin sans porter atteinte à sa clarté.


Le concerto de Marcello, l’un des joyaux des Concerti a cinque, «fournit un bel exemple des possibilités structurales, théâtrales et virtuoses du concerto italien» comme l’écrit et en témoigne David Blunden. Le claveciniste soigne la hauteur de vue et la respiration aérée des deux mouvements rapides, en deuxième et quatrième position. Le contrepoint en imitation, dialogue entre les deux mains aux échos délicieux et aux ritenuti taquins, exige technique et virtuosité et les interprétations peuvent en paraître parfois mécaniques ou extérieures – on pense peut-être à Elizabeth Farr ou à Peter Watchorn – mais celle de Blunden rayonne d’une joie intérieure. Son expressivité et le ciselé de sa légèreté de touche servent bien l’intériorité des deux mouvements lents, plus dramatiques, animant avec grâce la profondeur mélancolique pénétrée de regret du second Adagio qui s’établit sur un jeu de contraste entre accords autoritaires et fluidité mélodique. L’ornementation de ce beau troisième mouvement et les cadences violonistiques du concerto sont de la main de David Blunden suivant la plus pure pratique des instrumentistes baroques.


Kai Wessel, contre-ténor allemand, et David Blunden, claveciniste australien, se donnent souvent séparément à la musique ancienne et baroque sur le plan professionnel, le point de rencontre étant la Schola Cantorum Basiliensis. Leur souci ici était l’authenticité musicologique tant pour la version exécutable de la cantate, qu’ils ont établie avec science et sensibilité à partir de nombreuses recherches, que pour l’ensemble des techniques d’interprétation. C’est un programme rare exécuté avec finesse et conviction.


Le site de Kai Wessel


Christine Labroche

 

 

 

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