Back
04/05/2010 Frédéric Chopin : Concertos pour piano et orchestre n° 1, opus 11 (#), et n° 2, opus 21
Lang Lang (piano), Wiener Philharmoniker, Zubin Mehta (direction)
Enregistré en (#) et sans public dans la Grosser Saal du Musikverein de Vienne (juin 2008) – 72’57
Deutsche Grammophon 477 7449 (distribué par Universal) – Notice de présentation en français, anglais et allemand
Rafał Blechacz (piano), Koninklijk Concertgebouworkest, Jerzy Semkow (direction)
Enregistré en (#) et sans public dans la Grote Zaal du Concertgebouw d’Amsterdam (juillet 2009) – 74’40
Deutsche Grammophon 477 8088 (distribué par Universal) – Notice de présentation en français, anglais et allemand
On vous l’avait bien dit: 2010… c’est l’année Chopin! La parution simultanée de ces deux nouveautés à l’apparence bien similaire en est une preuve éclatante. Même éditeur (DG), même programme (les deux Concertos de Chopin), distribution de même nature (deux jeunes pianistes très en vue, soutenus par deux chefs très aguerris), même élitisme dans l’accompagnement (deux des meilleurs orchestres au monde), même soin porté au lieu d’enregistrement (deux salles à l’acoustique légendaire), même principe de captation (un Premier concerto capté en concert et un Second sans public). La tentation est donc grande de comparer le match que se livrent à distance le Chinois Lang Lang (né en 1982) et le Polonais Rafał Blechacz (né en 1985)… ne serait-ce que pour relever que le visage du premier apparaît douze fois dans la notice alors que celui du second n’y figure qu’à sept reprises.
Une approche trop centrée sur l’aspect commercial de cette entreprise parallèle serait néanmoins injuste, tant ces deux disques se révèlent être de qualité. Qualité de la prise de son d’abord, le cadre (Musikverein de Vienne d’un côté, Concertgebouw d’Amsterdam de l’autre) y étant pour beaucoup. Qualité de l’accompagnement ensuite, même si la direction d’orchestre très «terre-à-terre» de Zubin Mehta (qui confond Brahms et Chopin à la tête d’un Philharmonique de Vienne qu’on a connu plus subtil) ne peut rivaliser avec la distinction et la subtilité de Jerzy Semkow, bien aidé par un Concertgebouw vaillant et attentif. Qualité du piano enfin, tant Lang Lang que Rafał Blechacz méritant sans conteste leur réputation de jeunes prodiges du clavier.
Le constat interprétatif est néanmoins sans appel: Rafał Blechacz bat Lang Lang à plate couture... et dans toutes les phases du jeu! Dans le Premier concerto en mi mineur d’abord, où l’affrontement est pourtant plus équilibré qu’en seconde mi-temps. Ainsi l’Opus 11 du pianiste chinois ne trahit-il en aucune manière la partition de Chopin, prodiguant une frappe riche et brillante, peinant toutefois à s’imposer face aux innombrables références discographiques. Lang Lang a beau multiplier les métaphores (dans la notice), «songer simplement à un beau paysage – ou à [sa] mère…», laisser aller son imagination comme dans «une histoire d’amour », penser «à des amoureux» ou se voir «en train de [se] promener avec quelqu’un dans un jardin […] si proche de la nature», on en reste à une interprétation très ordinaire de ce concerto.
Si l’orchestre est plus appliqué avec Semkow qu’avec Mehta, l’accompagnement demeure, en définitive, assez conventionnel dans les deux versions de l’Opus 11. Certes, le pianiste chinois livre sa propre définition de la Romance. Larghetto: «c’est comme si on était sur un bateau qui quitte la rive. Et lorsque l’orchestre fait son entrée, on voit une jeune fille. C’est très net pour moi»... mais ça l’est beaucoup moins pour l’auditeur qui entend surtout une forme de sentimentalisme dans ce deuxième mouvement que Blechacz appréhende avec une simplicité et une délicatesse de toucher plus convaincantes – à défaut d’être véritablement bouleversantes. Sans révolutionner l’interprétation, Rafał Blechacz s’impose par la personnalité de son jeu, respectueux du texte (à l’inverse des égarements du couple Lang/Mehta dans le dernier mouvement) mais jamais passif vis-à-vis des accents et des nuances, en particulier dans un Rondo. Vivace où la cracovienne est animée avec gourmandise par le natif de Pologne.
L’écart se creuse en seconde mi-temps... Dans le Maestoso qui ouvre le Second concerto en fa mineur, on apprécie d’abord le magnifique jeu de Lang Lang, franc et direct... trop direct malheureusement, au point que les ralentis et les contrastes de nuances semblent par moments très artificiels. A l’inverse, Rafał Blechacz offre un toucher moins puissant mais une frappe toujours intelligente et autrement plus inspirée. Dans un Larghetto d’anthologie, le pianiste polonais émeut sans artifices ni grosses ficelles, avec franchise (les trilles) et simplicité (les nuances piano), en harmonie parfaite avec l’accompagnement exceptionnel du Concertgebouw: tout l’inverse de Lang Lang et Zubin Mehta qui ne semblent pas beaucoup s’écouter l’un l’autre. Quant au dernier mouvement de l’Opus 21, Blechacz s’y exprime avec une infinie liberté, parvenant à libérer la mazurka du cadre ennuyeux où beaucoup de solistes la plongent. Mieux vaut donc, après une interprétation aussi réussie, ne pas s’attarder sur l’Allegro vivace de Lang Lang (bien trop inégal) et de Zubin Mehta (franchement insipide).
Le site de Lang Lang
Le site de Rafał Blechacz
Gilles d’Heyres
|