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07/27/2009
« Un labyrinthe secret : une anthologie de la musique du Moyen-Age à la Renaissance »
Musique du XIIIe siècle espagnol (tirée du Codex Las Huelgas)
Musique à la Cour de Gaston Febus
Musique à la cour du roi Janus à Nicosie
Utopia Triumphans (l’art de la polyphonie à la Renaissance)
Alexander Agricola : Un labyrinthe secret
Mattheus Pipelare : Chansons diverses
Antoine Brumel : Missa « Et ecce terræ motus » à douze voix – Sequentia « Dies iræ »
Mateo Flecha El Viejo : Las Ensaladas (musiques burlesques de la Renaissance espagnole)
Costanzo Festa : Magnificat septimi toni et autres œuvres
Nicolas Gombert : Musique à la cour de Charles Quint
Pierre de Manchicourt : Œuvres diverses
Orlando di Lasso : Lagrime di San Pietro
Jacobus Gallus : Opus musicum – Missa super « Sancta Maria »
Canções, Vilancicos e Motetes Portugueses
João Lourenço Rebelo : Lamentations pour le jeudi Saint – Psaume des Vêpres

Huelgas Ensemble, Paul Van Nevel (direction)
CD 1 (Codex Las Huelgas), 3 (Musique à la cour de Nicosie), 7 (Brumel), 8 (Flecha), 9 (Festa), 12 (Lasso) et 13 (Gallus) enregistrés en l’église cistercienne Abdij Marienlof, Belgique (9-11 octobre 1992, 16-18 juin 1993, mai 1990, 1er-2 novembre 1991, 9-11 janvier 1993, 5-8 mars 1993 et 10-12 janvier 1994), CD 2 (Musique chez Gaston Febus), 10 (Gombert) et 15 (Rebelo) enregistrés en la chapelle du Collège irlandais, Louvain (25-28 octobre 1991, 15-17 juin 1992 et 12-15 janvier 1992), CD 4 (Polyphonies de la Renaissance) enregistré en l’église Sainte Barbara, Gand (9-10 septembre 1994), CD 5 (Agricola) enregistré en l’abbaye royale de Fontevraud (25-27 mai 1998), CD 6 (Pipelare) enregistré au Begijnhofkerk de Saint Truiden, Belgique (24-26 avril 1995), CD 11 (Manchicourt) enregistré en la chapelle du Collège épiscopal, Gand (18-20 avril 1996) et CD 14 (Musique portugaise des XVIe et XVIIe) enregistré à l’auditorium municipal de San Tiago, Obido, Portugal (29-31 mars 1994) – 991’09
Coffret de 15 disques Sony Classical 88697478442 – Traduction trilingue des textes chantés (anglais, allemand, français)






Une somme ! Sony offre un véritable monument consacré à la musique vocale européenne (les œuvres présentées ici nous promènent aussi bien en France qu’en Espagne, au Portugal, en Allemagne…) du XIIIe siècle pour les plus anciennes au XVIIe siècle pour les plus récentes. Ces quinze disques avaient paru, voilà maintenant près d’une vingtaine d’années, dans l’audacieuse collection « Vivarte » : les trouver tous réunis en un seul coffret relève de l’aubaine pour tous les amateurs de cette musique colorée mais, avouons-le, extrêmement fruste du point de vue instrumental. En effet, si les pièces présentent une très grande diversité, force est de constater que ce sont essentiellement les voix qui sont mises à l’honneur, l’orchestration étant généralement absente ou réduite à sa plus simple expression.


Un premier ensemble peut être constitué par les trois disques consacrés à la musique qui se jouait dans différentes cours d’Europe, qu’il s’agisse de celle de Gaston Febus (1331-1391), vicomte de Béarn, de Janus de Lusignan (1375-1432), roi de Chypre, ou de Charles Quint (1500-1558). Dans le premier disque, on s’attachera notamment au beau dialogue instauré entre les voix féminines et les cornets à bouquin dans Le Mont Aon de Thrace, pièce anonyme datant vraisemblablement de 1370, et dans Febus Mundo Oriens, œuvre d’une étonnante modernité vocale. Quant à l’Inter densas, il vaut surtout par le jeu des timbres des différentes flûtes et du dulcian, ancêtre du basson qui avait comme originalité d’avoir un pavillon tourné vers le haut et non, comme habituellement, vers le bas. La cour de Nicosie s’avère, à l’écoute du présent disque, plus festive : il en va ainsi de la marche solennelle Personet Armonia, où les rythmes à contretemps d’une partie des instruments (vraisemblablement des chalémies) s’avèrent du plus bel effet. Le plus beau morceau du disque reste néanmoins la longue mélodie « Si doulcement me fait amours – Nulz vrais amans » : près de vingt minutes dominées par une extrême douceur, où les chanteurs prennent le temps de déclamer leurs phrases, soutenus de temps à autre par un orgue discret. La cour de Charles Quint, certainement une des plus opulentes parmi toutes les cours d’Europe de l’époque, a accueilli plusieurs compositeurs parmi lesquels figurait en bonne place Nicolas Gombert (dont on ne sait s’il est né en 1495 ou en 1500 et dont la mort date peut-être de 1556). Ce n’est pas un hasard s’il fut affublé du sobriquet de « Gombert le Profond » tant sa musique refuse toute concession au style galant ou grivois ; au contraire, la tristesse, le recueillement dominent une œuvre principalement composée de pièces religieuses. Les trois qui sont ici enregistrées sont particulièrement illustratives : on retiendra surtout le magnifique Regina Cœli (où les voix s’insèrent en canon et se superposent ensuite un en impressionnant crescendo sonore) et le très beau Magnificat secundi toni, qui renvoie davantage aux chants moyenâgeux qu’à la modernité musicale du XVIe siècle.


Un deuxième ensemble peut être constitué en rassemblant les disques consacrés à la musique populaire ou, tout du moins, qui puise ses racines dans les fêtes de villages et les carnavals. Ayant notamment été au service du Laurent de Médicis, Alexander Agricola (1446-1506) fut un des compositeurs les plus réputés de son temps tant pour ses œuvres sacrées que pour ses chansons profanes. Ne sollicitant aucun autre intervenant que les voix, les chansons ici enregistrées adoptent un caractère sombre en dépit des paroles (« Je nay dueil »), impression que l’on retrouve d’autant plus facilement dans la Missa Guazzabuglio dominée par un impressionnant Agnus Dei où les solistes semblent suspendus et les voix, préférant les sons filés aux fioritures inutiles, jouent habilement avec les résonances et les échos. La souplesse de la direction de Paul Van Nevel trouve ici, sans conteste, un superbe terrain d’élection. Matthaeus Pipelare (1450-1515) est également une figure célèbre parmi les compositeurs flamands de l’époque ; paradoxalement, il refuse également toute modernité, préférant retravailler le chant tel qu’il existait aux siècles précédents. C’est la raison pour laquelle sa célèbre Messe « L’Homme armé », fondée sur la chanson populaire éponyme de la Renaissance dont on ne sait toujours pas aujourd’hui si elle renvoie à l’archange Saint-Michel ou si elle n’est que le lointain écho d’une enseigne de taverne dénommée « L’Homme armé », reste principalement ancrée dans le style propre aux XIIIe et XIVe siècles. L’œuvre n’en demeure pas moins impressionnante et l’interprétation de l’ensemble Huelgas est ici superlative de recueillement et de sérénité. Les « ensaladas » de Mateo Flecha (1481-1553), dit « l’Ancien », trouvent en Paul an Nevel un intercesseur de tout premier ordre (même si l’on peut regretter son excessive sagesse qui aurait, à coup sûr, mérité d’être plus festive pour ne pas dire « débridée »), qu’il s’agisse du premier chant, El Fuego (le Feu), allégorie sur le thème du péché narrant la lutte que se livrent le Ciel et l’Enfer, de La Justa (la Joute), relatant également le combat entre le Bien et le Mal, ou La Negrina, chanson très originale mêlant chanson populaire castillane et chanson d’inspiration africaine. Les œuvres de Pierre de Manchicourt (1510-1564) permettent à l’auditeur de découvrir les chants d’un compositeur qui partagea sa carrière entre différentes chapelles flamandes et françaises avant de prendre en mains, à Madrid, les destinées de la chapelle flamande de Philippe II d’Espagne. La polyphonie des œuvres de Manchicourt est ici exposée avec une très grande clarté, notamment dans les différents passages de sa Missa « Veni Sancte Spiritus » où, là encore, les voix s’expriment seules, sans l’appui d’un quelconque instrument (le Sanctus est parfaitement illustratif de l’atmosphère voulue par le compositeur). Les trois chansons qui complètent ce disque se fondent également sur un registre où dominent le recueillement et l’abnégation, leur contexte étant évidemment religieux. Ainsi, que l’on écoute « Faulte dargent c’est douleur non pareille » ou « Ô cruaulté logée en grand beaulté », on a davantage l’impression d’entendre une exhortation à adopter un comportement très chrétien détaché des conditions matérielles d’ici-bas qu’une simple leçon de morale. Un des disques les plus intéressants de ce coffret est consacré aux chansons portugaises composées par des auteurs peu connus comme António Marques Lésbio (1639-1709), Manuel de Tavares (1585-1638) ou Gaspar Fernandes (1570-1629). Bien qu’ils aient officié à une période plus tardive que les précédents compositeurs, force est de constater que le style n’a pas pour autant véritablement évolué : chant de facture assez simple, instrumentarium inexistant ou extrêmement réduit (tambourin, dessus de viole, flûte à bec). Pourtant, la fraîcheur qui en ressort, la spontanéité qui jaillit à chaque instant, magnifiquement exprimée par les chanteurs de l’Ensemble Huelgas, ne leur confère aucun caractère routinier ou ennuyeux : une vraie réussite !


Enfin, on peut prendre en considération un troisième ensemble constitué de pièces strictement religieuses. Compte tenu de l’époque à laquelle la plupart des œuvres ici présentées ont été composées, il est normal que la religiosité soit omniprésente y compris, on l’a vu, lorsque les pièces se veulent populaires, au moins dans leur inspiration. On ne s’attachera ici qu’aux trois compositeurs les plus remarquables à nos yeux. Antoine Brumel (1460-1513) fut un maître de chant célèbre en son temps, qui voyagea à travers toute l’Europe, travaillant à Genève puis à la cour des ducs de Savoie avant d’officier dans les chœurs de Notre-Dame de Paris et de terminer sa carrière comme archiprêtre des églises unies de Saint-Jean-en-Lybie et Sainte-Sabine, à Faenza en Italie. Sa Messe « Et ecce terræ motus » est d’une construction assez complexe : les douze voix jouent habilement entre elles, passant de l’unité la plus formelle à la diversité tant dans la prononciation que dans le contenu du message délivré (écoutez le Gloria !). C’est un sommet qu’il ne faut rater sous aucun prétexte. Paul Van Nevel ne pouvait pas ignorer Orlando di Lasso (Roland de Lassus) tant la figure de ce maître du XVIe siècle (né en 1532, il meurt en 1594) s’avère écrasante. Parmi ses quelques 2000 œuvres, le choix s’est ici porté sur ses célèbres Lagrime di San Pietro, composition de 1594 qui n’a fait l’objet que d’une publication posthume en 1595. Ces vingt-et-un madrigaux narrent l’incroyance de saint Pierre puis, finalement, sa rédemption, celui-ci devenant ainsi un de ses plus fervents partisans et disciples. Van Nevel prend son temps pour distiller le message contenu dans chaque partie, veillant à varier les climats tout en tenant la ligne du discours sans coup férir. Enfin, on signalera le très beau disque consacré à João Lourenço Rebelo (1610-1661), compositeur portugais dont la renommée doit beaucoup à son protecteur, le roi Jean IV du Portugal (1604-1656) qui, en mécène averti, contribua activement à la publication et à l’archivage dans la bibliothèque royale de ses œuvres. S’il fait appel à quelques instruments (saqueboutes, trombes, flûtes), il donne lui aussi la priorité aux voix qui, à l’instar de ses prédécesseurs, renvoie davantage au Moyen-Age qu’au XVIIe siècle, époque qui connaît des esprits aussi inventifs que Tunder, Becker ou, dans un autre genre naturellement, Monteverdi !


Quelles que soient les réserves que l’on puisse légitimement exprimer sur tel ou tel compositeur, l’inventivité et la modernité du discours ne figurant pas toujours parmi leurs premières qualités, force est de constater que la somme ici présentée est aujourd’hui difficilement surpassable. Servie par des interprètes d’exception qui, depuis la création de l’Ensemble Huelgas au début des années 1970, n’ont cessé de défricher avec talent et discernement tout un pan de la musique européenne, cette anthologie ravira sans conteste les amateurs et les curieux.


Sébastien Gauthier

 

 

 

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