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05/22/2009
Alfred Schnittke : Symphonie n°9 (reconstitution d’Alexander Raskatov)
Alexander Raskatov : Nunc dimittis

Elena Vassilieva (mezzo-soprano), Hilliard Ensemble: David James (contre-ténor), Steven Harrold (ténor), Roger Covey-Crump (ténor), Gordon Jones (baryton) – Dresdner Philharmonie, Dennis Russell Davies (direction)
Enregistré à la Lukaskirche, Dresde (7-9 janvier 2008) – 53’02
ECM New Series 4766994 (distribué par Universal)






Dennis Russell Davies à la tête de la Philharmonie de Dresde propose ici une reconstitution de la Neuvième symphonie tant attendue d’Alfred Schnittke (1934-1998). Il s’agit de la dixième symphonie du compositeur si l’on tient compte de la toute première de 1956-57, maintenant numérotée n°0 et enregistrée pour une première fois en 2007 par O.A. Hughes et l’Orchestre philharmonique du Cap pour BIS. En sollicitant la reconstitution, Irina Schnittke, l’épouse du compositeur trop tôt disparu, a tenu à souligner l’importance de cette œuvre ultime qu’il écrivait « pour son départ », son désir étant d’y exprimer « un accelerando du temps ».


Cette Neuvième symphonie écrite entre 1996 et 1998 reste inachevée dans le sens où l’on ne sait rien avec précision des intentions du compositeur en ce qui concerne le nombre de mouvements, l’orchestration et les tempi. Trois mouvements en existent à l’état d’esquisses dans une écriture minuscule tracée de la main gauche peu sûre d’un compositeur droitier, victime d’une quatrième attaque cérébrale qui, en 1996, le laissa paralysé du côté droit. En 1998, Rojdestvenski avait le premier tenté de mettre en forme une version de concert de la symphonie à partir de ces feuillets manuscrits difficilement déchiffrables mais Schnittke avait refusé l’arrangement proposé, n’y reconnaissant pas une version possible de sa toute dernière œuvre de grande envergure.


La version proposée ici est celle du compositeur Alexander Raskatov. Convaincue de l’importance testamentaire de l’œuvre, Irina Schnittke, qui avait d’abord proposé ce travail de reconstitution au compositeur Nikolai Korndorf, décédé en 2001 avant d’avoir pu le mener à bien, s’est tournée ensuite vers ce compositeur né en 1953 que Schnittke avait une fois présenté comme « l’un des plus intéressants compositeurs de sa génération ». Commande de la Philharmonie de Dresde, de l’Orchestre Bruckner de Linz et de la Juilliard School de New York, la reconstitution, peut-être la complétion, qu’il propose ne peut pas ne pas attirer l’attention des admirateurs de Schnittke qui apprécient son écriture musicale expressive, dense, passionnée, souvent grinçante, voire caustique, aux effets toujours inattendus. Cependant, c’est peut-être dans leurs rangs que l’on trouvera le plus grand nombre de déçus.


Les textures plus affinées des dernières symphonies ne laissaient pas espérer le caractère iconoclaste de la Première, la riche religiosité de la Quatrième ou l’esprit mutin de l’opulente Cinquième rapidement cauchemardesque, mais à l’image de la Huitième acérée et élégiaque, aux climats mahlériens, on pouvait espérer une œuvre hautement originale, aérée, peut-être, mais à la tension permanente, intense, contrastée, aux timbres travaillés et aux tournures insolites. Or, les textures étiolées, les sonorités adoucies, et les lents effets de langueur et de legato évoquent certaines écoles polonaise ou nordique plutôt que l’école russe ou germano-russe. L’ensemble manque d’urgence, de direction et de cohésion. Ce ne sont que méandres là où on attendrait un tracé hardi et ferme.


Dans le respect de l’accelerando symbolique souhaité par Schnittke, Raskatov propose un judicieux Andante pour le premier mouvement, resté sans indication, avant le deuxième, sommairement indiqué Moderato, et le troisième, Presto. Toutefois, non seulement les tempi adoptés par Russell Davies peuvent paraître plus lents mais il semble préférer une légère accélération quasi permanente quoiqu’irrégulière tout au long de l’œuvre. Les textures varient peu mais l’emploi des cuivres, notamment des cors, fournit un certain relief à un ensemble largement dominé par les cordes, relief plus accentué lors du deuxième mouvement. Le premier mouvement, d’une durée du plus du double des deux autres, s’ouvre sur un motif ascendant d’une beauté éthérée mais perd ensuite son acuité initiale pour s’anémier dans une suite de gestes inaboutis, inconsistants et flous, l’épice soudaine, mais trop peu relevée, d’un rythme marque seulement le pâle reflet des audaces d’un Schnittke en forme. Bien que nettement plus affirmé, plus agité, aux cuivres plus présents encore, le troisième mouvement reste toujours trop peu charpenté et progresse sans logique apparente, sans révéler de vision claire de structure et d’orientation. La partition s’achève sur une brève coda en choral.


C’est une œuvre énigmatique dont le sens profond se devine métaphysique. Au lendemain de sa création en 2007 à Dresde, le journaliste allemand Alexander Keune écrivait : « En regard des rythmes et des couleurs orchestrales mis en œuvre, les textures sonores sont si clairsemées que l’on peut supposer qu’au lieu d’offrir des réponses, la symphonie n’est qu’une suite de questions posées à l’espace béant ». Le travail important d’Alexandre Rastakov devant un tel projet ne peut qu’inspirer le respect. Lui-même souligne la fidélité de son approche et son souci de ne jamais ajouter aux écrits du compositeur. L’interprétation de la Philharmonie de Dresde sous la direction de Russell Davies est tout aussi respectueuse au point où l’on la sent parfois trop retenue, étouffée de peur de faire d’excès. Seul Schnittke était en mesure de libérer la partition – et les interprètes – et nul ne peut savoir combien ce que nous entendons ici s’approche ou s’éloigne de ses intentions profondes.


En hommage à Schnittke et comme un bref épilogue à cette aventure, Alexander Rastakov a composé une œuvre pour mezzo-soprano, quatuor vocal et orchestre, Nunc dimittis. Le sens des paroles évangéliques reste pleinement pertinent mais les textes choisis par le compositeur sont du moine orthodoxe Starets Siluan et du poète Joseph Brodsky, très prisé de Schnittke. L’œuvre d’une quinzaine de minutes, n’est pas sans rappeler, par certains côtés, le travail d’un Pärt plus terrien ou d’un Tavener aux rehauts à la Ligeti. Les différentes phases du texte rythment l’ensemble en imposant la logique d’une part des variations et des reprises, d’autre part des climats changeants. Posées sur un incessant bourdonnement dans le grave, ponctuées et ornementées de bois et percussions dans l’aigu, les parties solistes, évoquant des chœurs d’église tantôt orthodoxe, tantôt protestante, bénéficient de toute la souplesse de l’Ensemble Hilliard. Elena Vassilieva, soprano dramatique, sait adapter sa voix à toutes les exigences de sa partie, peut-être le point fort de l’œuvre, qui demande une grande expressivité à travers notes veloutées, intervalles étendus et cris rauques. Comme un écho à la coda de Schnittke un choral vocal, également en coda, ponctué à chaque reprise par la voix de mezzo-soprano, cède peu à peu la place à un orchestre de plus en plus dissonant qui aussitôt s’interrompt...


L’enregistrement est très soigné comme à l’accoutumée chez ECM mais la question se pose du bien-fondé in fine d’une telle entreprise, sentimentalement et peut-être musicologiquement nécessaire mais musicalement moins convaincante, cela sans que le compositeur soit seul en cause.


La notice informative de Helmut Peters, en allemand et en anglais, propose, en plus d’une présentation du compositeur et de la neuvième symphonie, un entretien avec Alexander Raskatov qui affine certains points de détail, les poèmes de Siluan et Brodsky et une reproduction de deux pages manuscrites de cette œuvre ultime.


Le site de la Philharmonie de Dresde
Le site de l’Ensemble Hilliard
Le site d’Elena Vassilieva


Christine Labroche

 

 

 

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