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02/06/2009 Johann Sebastian Bach : Cantate BWV 51 « Jauchzet Gott in allen Landen » – Cantate BWV 82a « Ich habe Genug » – Cantate BWV 199 « Mein Herze schwimmt im Blut »
Natalie Dessay (soprano), Neil Brough (trompette), Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction)
Enregistré à la Paroisse Notre-Dame du Liban à Paris (2-4 janvier 2008 et 6-24 février 2008) – 63’55 + 53’04 (DVD sur les coulisses de l’enregistrement)
Disque Virgin Classics 50999 235004 2 6 – Notice trilingue de Mark Audus
Ce disque marque la nouvelle collaboration entre Nathalie Dessay et Emmanuelle
Haïm, après plusieurs disques consacrés à Bach, Haendel (lire ici), et le déjà célèbre recueil de Lamenti (lire ici), tous publiés chez Virgin Classics. Il est, cette fois, exclusivement consacré à Jean-Sébastien Bach (1685-1750) et comporte trois cantates dont deux figurent sûrement parmi les plus enregistrées à ce jour.
La Cantate BWV 51 « Jauchzet Gott in allen Landen » est destinée à être interprétée pour le quinzième dimanche après la Trinité ou, nous précise une mention autographe figurant sur la partition, « pour tous les temps ». Exécutée pour la première fois le 17 septembre 1730, elle n’est donc pas censée avoir une vocation exclusivement religieuse ; la trompette solo, qui dialogue avec virtuosité avec la soprano, est un élément important du caractère festif de cette cantate dont le titre peut se traduire par « Jubilez dans toutes les contrées ! ». A bien des égards, elle emprunte beaucoup au concerto, qu’il s’agisse du premier mouvement ou du dernier, les trois séquences centrales retrouvant en revanche le caractère strict du chant religieux tel que Bach a pu le magnifier au fil de son œuvre. Même s’il peut étonner de prime abord, le dialogue entre le chant et la trompette est courant au XVIIIe siècle, cet instrument (qu’il se soit agi du cornet à bouquin puis, à partir de la fin du XVIIe siècle, de la trompette naturelle ou clarino dont les capacités virtuoses furent accrues grâce à une tessiture plus aiguë) étant alors considéré comme le plus proche de la voix humaine. Néanmoins, cette collaboration est assez rare dans les cantates de Bach, contrairement à ce que l’on peut entendre dans d’autres œuvres du Cantor (on pense notamment à l’Oratorio de Pâques ou à la Messe en si mineur), chez Vivaldi ou chez Alessandro Scarlatti.
Natalie Dessay s’attaque à son tour à cette cantate magnifiquement servie au disque par Edith Mathis (sous la direction de Karl Richter), Agnes Giebel (le trompettiste étant alors Maurice André), Emma Kirkby (sous la direction de John Eliot Gardiner) et, récemment, Carolyn Sampson (sous la houlette de Masaaki Suzuki). L’accompagnement orchestral est ici superbe : Neil Brough, qui a exercé ses talents sous la direction de différents chefs d’orchestre de renom (Gardiner, Pinnock notamment), se joue des difficultés techniques avec une déconcertante facilité. Quant au continuo, il offre un écrin idéal à la chanteuse pour l’aria centrale « Höchster, mache deine Güte ». L’interprétation de Natalie Dessay, si elle est très fidèle au texte, s’avère pourtant moyennement convaincante du point de vue musical : les lignes vocales ne sont pas toujours parfaitement tenues et le ton employé mériterait davantage de retenue, même si la joie doit effectivement présider à cette œuvre…
La Cantate BWV 82a « Ich habe Genug » est une des œuvres les plus célèbres que Bach ait composées pour voix de … basse, car telle est en effet la tessiture sous laquelle on l’entend habituellement, la première audition ayant vraisemblablement eu lieu le 2 février 1727. Pour voix de basse et en do mineur dans la version initiale, la Cantate BWV 82 fut ensuite confiée à une soprano, en 1731, la partition étant à cette occasion transposée en mi mineur ; chantée par une mezzo-soprano en 1735 (la flûte ayant également remplacé le hautbois), elle revient dans le giron des voix de basse au début des années 1740. Inspirée de l’Evangile selon Saint Luc, elle frappe singulièrement par l’emploi de la première personne du singulier et par son caractère profondément intimiste. Natalie Dessay convainc davantage que dans la pièce précédente, notamment dans la superbe aria « Schlummert ein, ihr matten Augen », où les accents de la voix humaine sont repris à l’identique par la flûte d’Olivier Bénichou. Si l’orchestre s’avère suffisamment allant, on regrettera que Natalie Dessay soit un peu trop désincarnée dans l’aria conclusive, ne sachant peut-être quelle inspiration instiller à des paroles qui voient la mort comme une amie fidèle qui, seule, permettra de rejoindre le royaume de Dieu.
Enfin, le disque se conclut par la Cantate BWV 199 « Mein Herze schwimmt im Blut » (« Mon cœur nage dans le sang »). Si la première des cantates du programme met en exergue la trompette et la seconde la flûte, ce troisième chant requiert un hautbois parfaitement lyrique (superbe Patrick Beaugiraud) qui, comme c’est fréquent chez Jean-Sébastien Bach, est autant un soliste qu’un appui sur lequel le soliste vocal sait pouvoir se reposer en toute quiétude. Interprétée pour la première fois le 12 août 1714 pour le onzième dimanche suivant la Trinité, c’est une cantate qui, à l’instar des deux précédentes, ne fait appel qu’à une voix de soprano, accompagnée d’un petit effectif orchestral comportant notamment un basson. Natalie Dessay adopte, comme le lui commande le texte, un ton contrit (« Und ihr nassen Tränenquellen »), introduisant parfaitement le reste de la déclamation qui n’est, du début à la fin, qu’une demande d’expiation des péchés commis sur Terre. Parfaitement dans son rôle, elle en donne une très belle interprétation qui s’avère parfaitement convaincante.
Le DVD qui accompagne ce disque nous fait assister aux séances d’enregistrement de la majeure partie du programme. Nimbé de l’éclairage des bougies et de quelques faibles projecteurs, le film nous permet de constater l’implication physique des différents protagonistes, le Concert d’Astrée, Natalie Dessay mais surtout Emmanuelle Haïm, superbe ordonnatrice d’un disque, finalement, tout à fait recommandable.
Sébastien Gauthier
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