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01/14/2009 Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour violon et orchestre n° 5 en la majeur, K. 219
Richard Strauss : Sinfonia domestica opus 53
Pinchas Zukerman (violon), Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Vladimir Ashkenazy (direction)
Enregistré en public à la Philharmonie de Berlin (19 septembre 1998 et 20 octobre 1996) – 78’31
Audite 97 535 (distribué par Intégral) – Notice en allemand et en anglais de Habakuk Traber
Mieux vaut tard que jamais… Telle pourrait être la première réaction en écoutant ce disque puisque, bien que publié en 2008, il rassemble des œuvres issues de deux concerts datant respectivement de 1996 et 1998 ! On peut se demander ce qui a si longtemps retenu l’éditeur de les publier. Il est vrai que le Cinquième concerto pour violon de Mozart et la Sinfonia domestica de Richard Strauss ne sont pas inconnus et nombre de versions sont dores et déjà disponibles sur le marché.
Pinchas Zukerman lui-même a déjà enregistré ce concerto avec l’Orchestre de chambre de Saint-Paul (chez Sony), gravure qui était passée relativement inaperçue comme nombre de ses consœurs. Les concertos pour violon occupent une place restreinte dans la vie de Mozart puisque les cinq opus furent presque tous composés de juin à décembre 1775, seul le Premier datant de 1773. Le Cinquième, achevé le 20 décembre, est empli de trouvailles mélodiques et rythmiques (notamment dans le troisième mouvement) qui en font une œuvre novatrice témoignant, encore une fois, du génie d’un compositeur qui n’avait pas encore vingt ans… Le présent enregistrement est nettement préférable à la précédente gravure de Zukerman puisqu’il bénéficie, en premier lieu, d’un très bel accompagnement orchestral, même si Mozart ne figure pas, hormis ses œuvres pour piano, parmi les compositeurs de prédilection de Vladimir Ashkenazy. La conception générale de l’interprétation s’avère très classique (son opulent, sens assez développé du legato) : on peut le regretter mais elle est, en tout état de cause, bien préférable par exemple aux « innovations » d’un Giuliano Carmignola, sec et caricatural de bout en bout dans la gravure qu’il a réalisée sous la direction de Claudio Abbado (chez Archiv Produktion). Les tempi sont assez retenus : si l’Allegro aperto est abordé avec une vivacité qui veille à ne jamais devenir précipitation, l’Adagio est joué avec sérénité, splendide moment en dépit de certaines limites techniques de Zukerman. Le Rondeau final est également très convaincant, abordé là encore avec une certaine bonhomie dans le tempo. Bien que le public réserve un accueil chaleureux à l’interprétation, on en restera néanmoins à la version classique d’Isaac Stern (Sony) dont la poésie n’a, pour le moment, été surpassée par aucune autre gravure moderne.
Vladimir Ashkenazy a toujours entretenu de profondes affinités avec l’œuvre orchestral de Richard Strauss, ayant enregistré la plupart de ses grands poèmes symphoniques à la tête de l’Orchestre de Cleveland et, plus récemment, de la Philharmonie tchèque. Cela dit, il faut aimer cette musique et la comprendre avant d’interpréter la Sinfonia domestica qui est sûrement, parmi les grandes œuvres symphoniques de Strauss, la plus difficile à appréhender. Composée à l’automne 1903 et créée à New York en mars 1904 sous la direction du compositeur, l’œuvre est dédiée « à ma femme bien-aimée et à notre fils ». En effet, alors qu’elle requiert un effectif orchestral pléthorique (comportant notamment huit cors, un hautbois d’amour, quatre bassons, quatre saxophones…), elle a pourtant pour ambition de peindre la vie intime, familiale et domestique du foyer Strauss. Bien que l’œuvre se baptise « symphonie », elle est jouée d’un seul tenant et comporte quatre séquences qui décrivent successivement les thèmes des trois protagonistes (père, mère, enfant), le bonheur des parents et la berceuse du soir, les rêves et les sollicitudes de la nuit et, enfin, la querelle entre époux qui se conclut par une heureuse réconciliation. L’accueil fut contrasté. Si le public ovationna l’œuvre à sa création, la critique, pour une part plus rétive à toute musique à programme, fut en revanche beaucoup plus véhémente. Ainsi, un journal américain a pu écrire : « Home, sweet home selon Strauss… Papa, Maman et bébé glorifiés par un impressionnant amas de musique orchestrale ! »
Au disque, la Sinfonia domestica connaît déjà plusieurs versions de très grande valeur : Herbert von Karajan, Rudolf Kempe, Franz Konwitschny, Fritz Reiner, Lorin Maazel, Dimitri Mitropoulos et, surtout, Wilhelm Furtwängler à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin ont donné ses lettres de noblesse à une partition dont la complexité nécessite un orchestre virtuose et un chef aguerri. Force est de constater que la présente version répond parfaitement à ces deux exigences. Dès l’entrée des violoncelles et contrebasses, le Deutsches Symphonie-Orchester de Berlin brille de mille feux : on remarque autant certaines individualités, le merveilleux hautbois d’amour (censé imager l’enfant au sein de la famille) ou le violon solo, que de magnifiques ensembles portés par les pupitres de cordes à la force et à l’homogénéité admirables. Vladimir Ashkenazy appréhende la première partie de la Symphonie de manière nonchalante, mettant en exergue les accents paternalistes inhérents à la partition, avant de lancer les musiciens dans des élans coutumiers de la musique straussienne. Après la brève accalmie instaurée par le hautbois d’amour, l’orchestre aborde la deuxième partie avec fougue, alternant phrases burlesques, berceuses, pauses et éclats sonores. La troisième partie est un Adagio merveilleusement contrasté qui porte la marque de certaines mélodies déjà dévoilées dans le dernier épisode d’Une vie de héros (1898), précédent opus autobiographique de Richard Strauss. Le retour du thème principal inaugure le Finale qui illustre le réveil puis la querelle entre les époux avant qu’ils ne se réconcilient pour retrouver la quiétude initiale du foyer. Sous la double houlette du chef d’orchestre et de la trompette solo, l’orchestre se plonge avec délice dans les méandres d’une partition foisonnante dont il déjoue chacun des pièges… L’accueil triomphal que lui réserve le public prouve que Vladimir Ashkenazy figure aujourd’hui parmi les grands interprètes de Richard Strauss : à n’en pas douter, et même si certains « grands anciens » restent au sommet, on tient sans doute ici la version moderne de la Sinfonia domestica.
Sébastien Gauthier
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