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01/14/2009 Philip Glass : Waiting for the Barbarians
Livret de Christopher Hampton d’après une nouvelle de John Michael Coetzee
Richard Salter (préfet/magistrat), Eugene Perry (Colonel Joll), Michael Tews (Officier Mandel), Elvira Soukop (Fille Barbare), Kelly God (Cook), Marisca Mulder (Star), Andreas Mitschke (Vieil homme), Peter Umstadt, Maté Solyom Nagy, Manuel Meyer (gardiens/soldats), Grit Redlich (petite fille), Philharmonishes Orchester Erfurt, Dennis Russell Davies (direction)
Enregistré en public au théâtre d’Erfurt (2005) – 133’
Album de deux disques Orange Mountain Music 0039 (distribué par Codaex)
Waiting for the Barbarians est l’avant-dernier des treize ouvrages lyriques de Philip Glass, le dernier étant Book of Longing (2007). Créé en 2005, il vient d’être diffusé, en 2008, sous le label Orange Mountain Music. Les deux disques sont malheureusement accompagnés d’une plaquette assez indigente (ou minimaliste) ne présentant ni les chanteurs, ni la nouvelle éponyme publiée en 1980 par l’écrivain sud-africain, prix Nobel de littérature (2003), John Michael Coetzee, et ne comportant ni synopsis ni livret en français, mais simplement agrémentée de photographies d’une mise en scène apparemment pauvre, comme cela est désormais si fréquent, représentant de sinistres gardiens aux longs et sempiternels manteaux nazis et aux lunettes noires, maniant des battes de base-ball pour brutaliser sans doute quelque nouvel esclave des temps modernes.
L’histoire conte il est vrai l’installation progressive d’une dictature fondée sur la peur et le grossissement de la menace de barbares imaginaires, tout simplement différents car nomades, et les cruautés destinées à asseoir son pouvoir, la faible lueur d’espoir dans ce monde sordide résidant simplement dans l’amour naissant entre un magistrat finalement épris de justice et une jeune prisonnière aveuglée par les tortures de l’affreux colonel Joll. La violence est donc encore une fois au centre d’un opéra contemporain.
Dans ces conditions, l’impression première n’est évidemment pas très favorable. L’audition la conforte malheureusement.
Philip Glass est le Telemann (cent quarante-cinq Cantates et quarante Passions, tout de même) ou, mieux, le Vivaldi (six cents concertos identiques comme le disait méchamment Stravinski) du vingtième siècle : une production considérable, souvent insipide, où beaucoup de médiocre côtoie des œuvres formidables et réellement novatrices (Concerto pour violon, Einstein on the beach, Koyaanisqatsi, pour ne prendre que trois œuvres relevant des domaines orchestral, lyrique ou cinématographique), production marquée par un recyclage de partitions frisant le scandale, sans commencement ni fin. Chez lui, au moins au début de sa carrière, ce recyclage est même fait de répétitions, jusqu’à la nausée, de thèmes souvent interprétés sur des claviers électriques. Au fond, il traduit parfaitement le Pop Art en musique avec des moyens faisant songer à l’Arte povera. Si Andy Warhol produisait dans sa Factory de New York ses sérigraphies, sans imagination, de boîtes Campbell, Philip Glass a tendance, lui, à débiter des boîtes de soupe musicale pour un système dont il profite ou qu’il exploite à fond, tout en demeurant relativement populaire.
Cela étant, celui qui se définit comme « Juif, taoïste, hindou, toltèque et bouddhiste », influencé par Erik Satie comme par Ravi Shankar, a évolué. Peut-on dire sans rire qu’il tend à se laisser aller ? En tout cas, pour éviter l’impasse totale, l’instrumentation devient plus classique, moins primaire, la mélodie plus facile et le style plus expressif et parfois luxuriant. Et, au fond, plus banal.
Waiting for the Barbarians incarne parfaitement ce moment de la création de Glass. Les messages généreux et humanistes sous-jacents de l’œuvre littéraire remplacent l’ère du vide si caractéristique de la première époque. L’opéra est de structure éminemment classique : trame traditionnelle, actes et brèves scènes bien découpés, de durées à peu près équivalentes, chœurs, interventions alternées des chanteurs – surtout pas de duos, forcément trop compliqués –, quelques solos d’instrumentistes d’un orchestre classique. Tout cela s’écoute sans déplaisir – le métier est indéniable – mais aussi sans surprise telle une vaste musique de film, plutôt romantique et bien faite, parfois à la Ennio Morricone. La musique ne prend pas la tête. On peut faire réviser les cours de maths du fiston sans problème en écoutant. On est donc loin de la fascinante et emblématique trilogie consacrée à des figures de la physique (Einstein), de la vie politique (Gandhi dans Satyagraha) et de la vie religieuse (Akhenaton), de sa mécanique vide mais hypnotisante et de sa provocation, ou encore de La Belle et la Bête (1994), œuvre inclassable et si originale. Certes il y a toujours ces progressions additives, ces crescendos très rythmés et assez impressionnants, à force de roulements de caisse claire, de trombones, de trompettes et de triangle. La signature de Philip Glass est là. Mais la vulgarité aussi (par exemple, la scène 8 de l’acte II).
L’interprétation, enregistrée sur le vif, sous la direction du fidèle Dennis Russell Davies, créateur d’Akhenaton en 1984 et du Concerto pour violon en 1987 et à l’évidence fin connaisseur de l’œuvre de Glass, ne rattrape pas l’impression négative. Les voix, aux tessitures flottantes, peu caractérisées, sont assez laides et peu fermes (plage 7, 5’28 par exemple). Mais, les adeptes de Glass répondront que, comme l’Opéra de quat’sous, Waiting for the Barbarians ne doit pas être chanté comme Les Noces de Figaro. Dans cet esprit, il vaut donc mieux passer sous silence les interventions des différents pupitres, parfois assez médiocres.
L’ensemble, maniériste au mauvais sens du terme, paraît au total fatigué, usé. Il conviendrait, évidemment, de le voir monté à Paris pour envisager un jugement moins sévère. Malheureusement, les œuvres lyriques – expression assurément préférable au mot « opéra » – de Glass tournent actuellement plus en province qu’à Paris (1). Leur montage économique, au succès quasiment garanti auprès d’un public finalement divers, devrait pourtant inciter les programmateurs à envisager d’attendre les barbares non loin de la colline Sainte-Geneviève compte tenu des temps qui courent.
Le site de Philip Glass
(1) Hydrogen jukebox (1990), actuellement à Nantes, sera ensuite présenté à Orléans, Angers, Dijon, Besançon, Poitiers et Caen, et In the penal colony (2000) d’après Kafka sera donné à partir du 23 janvier à Lyon, également en création française.
Stéphane Guy
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