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Provocations et vertiges

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
03/27/2014 -  et le 28* mars 2014
Erik Satie : Parade
HK Gruber : Frankenstein!!
Bernard Herrmann : Vertigo, suite
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 6 en si mineur, opus 54

Heinz Karl Gruber (chansonnier)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


HK Gruber


Heinz Karl Gruber (ou plus familièrement HK Gruber) est un curieux bonhomme, sorte d’électron libre voire de farfadet attardé d’une musique contemporaine savante tentée par le bizarre et le burlesque. Et que cet incorrigible farceur septuagénaire tout rond soit d’origine autrichienne, pays toujours un peu raide à l’égard de ce genre de non-conformisme débridé, ne fait que pimenter un peu plus l’affaire. En tout cas ce diable d’homme sait tout faire : composer, diriger, chanter, écrire... et surtout mettre immanquablement son public dans sa poche. Un malicieux cabotin, certes, mais qui assume pleinement son art de plaire, y compris en dérangeant.


Frankenstein !!, sous-titré «Un Pan-Démonium pour chansonnier et orchestre», a été écrit pour le Liverpool Philharmonic, qui l’a créé en 1978 sous la direction de Simon Rattle. La première exécution de la chose a dû faire quelques étincelles, mais pour autant l’oeuvre n’a pris aucun coup de vieux aujourd’hui, bizarre patchwork d’images poétiques et de gestes orchestraux forts, dont l’apparent désordre rend en définitive l’objet encore plus attachant. Le soliste vocal doit y assumer une psalmodie mi-parlée mi-chantée -d’aucuns appelleraient immanquablement cela du sprechgesang, et pourtant on reste assez loin de la sécheresse un peu docte de cet univers là-, expression en fait plus proche du cabaret carnavalesque germanique, avec une bonne rasade de surréalisme en plus. L’esprit d’un Kurt Weill n’est pas loin, mais semblerait probablement sage voire morose si on s’essayait vraiment à comparer les deux esthétiques. Bref c’est indescriptible et évidemment le compositeur en personne reste le mieux à même de reproduire les intentions de sa partition : très bon comédien et «chansonnier» intéressant, équipé si besoin de quelques accessoires décalés (beaucoup de jouets d’enfants défilent), HK Gruber nous campe une série de silhouettes dont les ombres se télescopent, du vampire au super-héros de bande dessinée, avec une jubilation qui va du franchement drôle à l’insidieusement inquiétant. A l’arrière-plan l’orchestre joue lui-aussi un rôle théâtral, quelques pupitres (le timbalier !!) ayant pas mal d’interventions d’un nonsense savoureux à assumer. Tout ce carnaval amuse beaucoup mais occulte peut-être trop une science d’écriture et d’orchestration qui affleure nettement ici ou là voire invite à une réécoute plus attentive, car la personnalité de HK Gruber paraît infiniment plus intéressante que celle d’un simple provocateur. A ce titre on est vraiment curieux de savoir à quoi va ressembler son nouvel opéra Geschichten aus dem Wienerwald, dont la création est annoncée à la fin du mois de juillet 2014 au Festival de Bregenz. Un pari osé de la part de l’intendant David Pountney, mais qui sera peut-être gagnant.


Programme composite tout autour, où ironie et inquiétude règnent largement, avec en premier lieu les provocations d’un autre âge du Parade de Satie, «ballet réaliste en un tableau sur un thème de Jean Cocteau»: déjà la tentation du composite, du coq-à-l’âne et de la poésie du bizarre, mais d’une mesure encore très française. Avec le recul de presque un siècle maintenant l’ensemble paraît un peu réchauffé voire pas toujours très habilement écrit, mais un charme suranné continue à opérer. Une musique anguleuse, aux contours secs, dont Marko Letonja et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg restituent bien l’ambiance pince-sans-rire, ponctuée des bruits bizarres de rigueur (sirènes, machine à écrire, etc.). Dans un certain sens aussi une musique qui reste «à voir», même dépourvue de la danse qu’elle escortait au départ, et qu’il est intéressant de découvrir ainsi, dans ses dimensions propres, au concert.


L’image manque davantage aux trois fragments extraits de la musique écrite par Bernard Herrmann pour le Vertigo d’Alfred Hitchcock. Mais la personnalité mélodique de ces thèmes est tellement forte qu’on ne peut s’empêcher d’y associer mentalement quelques célèbres plans où se croisent et se cherchent la superbe Kim Nowak et le timide James Stewart. Musique de cinéma cependant, qui répugne un peu à développer, pensée de toute façon pour des utilisations fragmentées. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg y joue le jeu de l’opulence et d’un certain glamour, culminant bien sûr dans la célèbre Love Scene, mais en restant parfois un peu en deçà de la charge émotionnelle voire du simple luxe sonore que l’on serait en droit d’attendre à ce moment clé.


Dernier volet copieux, peut-être même trop : une Sixième Symphonie de Chostakovitch certes relativement courte en minutage mais quand même amplement construite voire difficile à habiter, surtout au cours de son vaste Largo initial, succession de musiques de désolation et d’angoisse, juxtaposées davantage qu’imbriquées : difficile de percer tous les secrets de cette sinueuse plainte pour laquelle le très compétent Orchestre philharmonique de Strasbourg manque de personnalité. Parfois un certain ennui s’installe, à mesure que se prolongent des effets répétitifs dont la nécessité n’est pas clairement démontrée. Il faudrait davantage de creusements voire de déchirements pour que toutes les inquiétudes longuement ressassées par Chostakovitch nous touchent davantage. On retient l’exemple d’une flûte monotone et peu impliquée dans un passage particulièrement lancinant et répétitif, mais ce n’est ici qu’un moment pauvre en substance parmi beaucoup d’autres. Impression mitigée, heureusement corrigée par les sarcasmes et le brillant des deux mouvements suivants, qui permettent de conclure avec élan et brio ce concert intelligemment construit.



Laurent Barthel

 

 

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